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Serbie

Nouvelles pressions américaines sur Belgrade

C’est devenu une tradition depuis la chute de l’ancien président Slobodan Milosevic. Tous les ans, à l’approche du 31 mars, les Etats-Unis, qui adoptent à cette date leur budget, posent des conditions à leur aide à la Serbie. Et à chaque fois, le pays de l’oncle Sam demande une coopération plus intense avec le Tribunal Pénal International de la Haye (TPIY), politiquement difficile à mettre en œuvre car la majorité des serbes le considèrent comme partial.
De notre correspondante à Belgrade

Fin mars 2001, le gouvernement serbe a fait arrêter Slobodan Milosevic pour le mettre en prison ; en 2002, une loi de coopération a été adoptée. Ce qui sera sacrifié sur l’autel des bonnes relations américano-serbes, cette année, reste une inconnue. En tous cas, le récent départ volontaire de l’ancien président serbe Milan Milutinovic ne suffit pas. L’ambassadeur américain chargé de la question des crimes de guerre a été limpide lors de sa visite à Belgrade qui vient de s’achever : «Le but de mon séjour est d’expliquer clairement qu’il est temps que des mesures agressives soient prises pour que la question des crimes de guerre soient enfin derrière nous. Le 31 mars approche, et nous avons décidé que le moment est venu de régler le problème une bonne fois pour toutes».

Pour les analystes, les raisons sont claires : donner un signal positif au monde musulman qui voudrait voir les responsables serbes du meurtre de leurs coreligionnaires jugés, et fermer le TPIY au plus vite. L’ambassadeur Pierre-Richard Prosper a été précis : «D’ici le 31 mars, il faut livrer trois personnes à la Haye». L’ancien chef militaire des serbes de Bosnie, le général Ratko Mladic, tenu responsable notamment du massacre de Srebrenica, au cours duquel on considère que 7 000 personnes ont été tuées ; les deux restants de la «troïka de Vukovar», Veselin Sviljancanin et Miroslav Radic, accusés d’avoir en 1991, lors du siège de Vukovar, en Croatie, transféré 200 civils de l’hôpital à la ferme de Ovcar et de les avoir fait liquider. Le troisième membre de la troïka, Milo Mrksic, s’est rendu volontairement à la Haye en mai dernier. Pour les Américains, on pourrait s’arrêter là. «Les Etats Unis et la communauté internationale insisteront pour que la majorité des autres inculpés par le TPIY soient jugés en Serbie et seront prêts à fournir une aide technique», a déclaré M. Prosper.

Des propos accueillis diversement par les responsables politiques serbes qui doivent tenir compte de leur électorat, en majorité hostile au TPIY. «S’il y a une constante dans les sondages, c’est la mauvaise image du Tribunal», affirme Srdan Bogosavljevic, directeur de l’agence SMRI. Pour lui, 60% de la population le considèrent comme étant parti pris. Car pour l’écrasante majorité des Serbes, les guerres qui ont ravagé l’ex-Yougoslavie dans les années 90 n’étaient pas une «agression» de Belgrade, mais une entente de partage de territoire entre d’anciens camarades communistes, devenus nationalistes, qu’étaient les leaders serbe Slobodan Milosevic, le croate Franjo Tudjman et le musulman Alija Izetbegovic. Ce qui s’est traduit sur le terrain par une guerre civile.

«Arrêter Ratko Mladic finirait en bain de sang»

Quant au Kosovo, il s’agissait, encore une fois pour la majorité, d’une lutte que l’on admet à demi-mots disproportionnée, contre une «guérilla terroriste». «Pourquoi le président bosniaque musulman Alija Izetbegovic n’est-il pas inquiété, pourquoi n’a-t-on pas inculpé le président croate Franjo Tudjman avant sa mort ou un responsable de la guérilla albanaise de l’UCK?», demande indignée Boyana, une traductrice de cinquante-deux ans ?

«Les politiques n’ont initié aucune prise de conscience des serbes concernant l’ampleur des crimes qui ont été commis en leur nom. Résultat ils se considèrent toujours comme étant les principales victimes car pendant 10 ans ils ont écouté la propagande officielle ne parler que des crimes commis envers les serbes», considère Latinka Perovic, historienne. Rappelant le tollé qu’avait soulevé la projection à la télévision publique d’un film de la BBC racontant le massacre de Srebrenica, elle considère que le «programme de purification ethnique de Slobodan Milosevic n’a toujours pas été dénoncé».

Dans ce contexte, les menaces américaines mettent les politiques serbes dans une position délicate. Le président yougoslave Vojislav Kostunica, nationaliste modéré qui jouit de la plus grande popularité, a été fidèle à lui-même. Si cette fois, il n’a pas parlé de «nausée» à l’évocation du TPIY, il a considéré que «les faits démontrent que la justice du TPIY est sélective et rejette la principale responsabilité dans le camp serbe». Quant au premier ministre serbe Zoran Djindjic, qui a pris la décision d’arrêter Slobodan Milosevic et de le transférer à la Haye, il joue au funambule, sachant que sa popularité est faible : «Ne paniquons pas à cause du 31 mars. Il y a un rythme dans ce pays qui a sa logique. Ce serait bien d’obtenir les 200-300 millions de $, mais s’ils ne viennent pas, ce n’est pas tragique».

Une analyse que ne partage pas le ministre franco-serbe des finances, Bozidar Djelic : «Il faut lever les obstacles qui nous empêchent de devenir un partenaire stratégique des Etats-Unis dans la région. Cela aura une influence sur les investissements, la conférence des donateurs et l’intégration européenne». «La Grande-Bretagne votera contre l’entrée de la Serbie et du Monténégro au Conseil de l’Europe s’il n’y a pas d’avancée dans la coopération avec le TPIY», a en effet annoncé l’ambassadeur Charles Crawford.

«Le fait est qu’ils ne peuvent pas arrêter Ratko Mladic car il est bien protégé par quelques centaines de fanatiques. Ce serait un bain de sang. Il finirait par se suicider ce qui en ferait un martyr», analyse une source occidentale qui ajoute : «Par contre, les cas de Veselin Sviljancanin et Miroslav Radic sont plus faciles à régler, d’autant plus que la population n’en a cure». Ce qui explique la déclaration du premier ministre Djindjic après son entretien avec Pierre-Richard Prosper. Après avoir redit qu’une reddition volontaire des inculpés serait un «acte patriotique» de leur part qui débarrasserait la Serbie des pressions et chantages, mentionnant Sviljancanin et Radic, il a annoncé : «Contrairement à Mladic, ce sont des citoyens de Serbie. Les probabilités sont grandes pour qu’ils soient sur notre territoire. Je pense que nous manquons de crédibilité si à chaque fois que quelqu’un est recherché nous répondons que nous ne savons pas où il est». Aussi a-t-il demandé à ses services de mieux s’occuper de cette question... Est-ce une annonce d’une future liste de passagers pour la Haye ?



par Milica  Cubrilo

Article publié le 25/01/2003