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Serbie

Les bons calculs de l'extrême droite

En obtenant 27,7% des suffrages lors des récentes élections législatives, le Parti radical serbe, une formation d’extrême droite, s’est imposé comme la première force politique du pays. Il incarne l’espoir pour les déçus de la difficile transition économique et politique.
De notre envoyé spécial à Belgrade.

Reprenant le nom de la respectable formation qui avait dominé la scène politique serbe au début du XXe siècle, le Parti radical a été créé par Vojislav Seselj en 1990. Durant les guerres de Croatie et de Bosnie (1991-1995), le parti disposait de redoutables milices. En Serbie, il a longtemps joué double-jeu, en participant aux gouvernements de Slobodan Milosevic, tout en faisant de la surenchère nationaliste. Vojislav Seselj proposait ainsi d’épargner les couteaux, mais «d’égorger les Croates avec des petites cuillères rouillées». Dans les années 90, le Parti radical a établi des relations nourries avec le Front national français et d’autres formations d’extrême droite.

Depuis la chute du régime de Milosevic, le Parti radical cherche à fédérer tous les déçus de la difficile transition serbe. La carte de ses bastions électoraux peut se superposer à celle des régions les plus déshéritées. Les réfugiés serbes de Croatie et de Bosnie votent massivement radical, ainsi que les Serbes des enclaves du Kosovo.

À Cukarica, faubourg déshérité de Belgrade, la ville et la campagne se mélangent sans grâce. À côté des barres d’immeubles des années 1970, des jardins potagers entourent des maisonnettes délabrées. Cukarica fait partie de ces faubourgs de Belgrade qui se sont développés sans tenir compte d’aucun plan d’urbanisme. Les services publics de base sont souvent défectueux, et il faut près d’une heure de voyage dans un autobus brinquebalant pour gagner le centre de la ville. C’est ici que se sont concentrés les «paysans de la ville», comme les appellent souvent, non sans mépris, les habitants de Belgrade: migrants venus des zones pauvres de Serbie et de Yougoslavie dans les années 1970, réfugiés et déplacés chassés par les conflits des années 1990.

Le Parti radical serbe est ici sur ses terres. L’extrême droite nationaliste a commencé son ascension dans les années 1990, recueillant les suffrages des populations les plus déshéritées. Les réfugiés constituent également une clientèle attitrée des radicaux. Le gouvernement et le Haut commissariat aux réfugiés (HCR) des Nations unies essaient depuis un an de fermer les centres d’accueil collectifs. Cent trente ont déjà mis la clé sous la porte. Les réfugiés qui y vivaient, sans travail, ont touché un pactole dérisoire de quelques centaines d’euros et sont venus grossir les rangs du lumpenproletariat qui survit dans les faubourgs des grandes villes. Par contre, la majorité des Serbes chassés de Croatie et de Bosnie ont obtenu ces dernières années le droit de vote en République de Serbie. Pour un militant radical, lui-même originaire de Benkovac en Croatie, «Milosevic a trahi les Serbes de Croatie, de Bosnie et du Kosovo», tandis que les courants démocratiques seraient «vendus à l’étranger». L’extrême droite constituerait donc le seul recours.

La «Grande Serbie» pour objectif

Les 200 000 déplacés serbes du Kosovo accordent aussi majoritairement leurs voix aux Radicaux, tout comme les quelque 90 000 électeurs serbes résidant encore dans le territoire placé sous protectorat international, qui ont voté à 51% pour l’extrême droite. «On peut penser que 90 000 électeurs représentent un enjeu mineur, mais aucun dirigeant réformateur de premier plan n’est descendu faire campagne au Kosovo», déplore Dusan Janjic, le coordinateur du Forum pour les relations interethniques de Belgrade. «Dans ces conditions, comment s’étonner que les Serbes du Kosovo, se sentant abandonnés, votent pour le Parti radical ?».

Serbes des enclaves du Kosovo, retraités paupérisés, réfugiés sans espoir, populations marginalisées des faubourgs, la carte du vote radical recoupe largement celle de la Serbie la plus misérable. Et les perspectives d’intégration européenne avancées par les réformateurs n’ont aucune prise sur ces populations dont les conditions de vie ne se sont pas améliorées depuis la chute de Milosevic.

Le Parti radical ne renonce pas à l’objectif de la «Grande Serbie». Son leader, Tomislav Nikolic, expliquait après le récent scrutin que «la Bosnie est un pays qui ne peut pas survivre», même s’il se défendait de toute visée belliqueuse. Avec 83 députés sur 250, les Radicaux ont cependant obtenu une victoire à la Pyrrhus car ils ne seront pas mesure de former le gouvernement. Néanmoins, avec un tiers des députés dans le futur Parlement serbe, ils disposent désormais d’une minorité de blocage, ce qui va compliquer encore un peu plus la tâche d’un camp démocratique divisé. «Il ne sera plus possible de modifier sans nous la Constitution de la Serbie», se réjouissait Tomislav Nikolic.

La liste des Radicaux était officiellement conduite par Vojislav Seselj, mais le mandat parlementaire de ce dernier, détenu depuis février dernier à la prison internationale de Scheveningen, sera attribué à un autre élu du parti. Tomislav Nikolic, le nouvel homme fort de l’extrême droite serbe, se contente du titre de vice-président du Parti radical. Et dimanche soir, il soulignait que la victoire des Radicaux était «d’abord celle de Vojislav Seselj, et un encouragement pour tous les Serbes détenus par le TPI».



par Jean-Arnault  Dérens

Article publié le 04/01/2004