Serbie
Les bastions ouvriers, laissés-pour-compte de la transition
Autrefois, les mines de cuivre, d’or et d’argent de Bor, en Serbie orientale, étaient l’un des piliers de l’économie de la Yougoslavie tout entière. Le maréchal Tito est souvent venu visiter la ville-champignon qui a poussé à côté des puits de mine, martelant toujours le même message : «produisez le plus de cuivre possible !» Aujourd’hui, la ville et la région de Bor sont totalement sinistrées. La catastrophe sociale se double d’une catastrophe écologique.
De notre envoyé spécial à Bor
Le combinat des «Mines et fonderies de Bor» compte encore 13000 employés, mais la production n’est plus que symbolique : 2 600 tonnes de cuivre concentré en 2002, contre plus de 40 000 tonnes à la fin des années 1970. La teneur en cuivre des gisements encore en exploitation ne cesse de baisser, et les coûts de production sont proches de 2 000 dollars la tonne, alors que les cours mondiaux du minerai ne dépassent guère 1 400 dollars.
Il y a deux ans encore, le combinat employait 22 000 personnes. Deux mille sont parties à la retraite, et 5 000 employés ont bénéficié du programme social négocié par le gouvernement. Ils ont quitté volontairement l’entreprise en touchant une indemnité de départ de cent euros par année d’expérience professionnelle. «Quasiment tous les employés ont utilisé cette somme pour payer leurs dettes. Maintenant, ils n’ont plus rien. Le programme social a produit autant de cas sociaux», explique Aleksandar Ivanovic, le coordinateur régional du syndicat Nezavisnost.
Le combinat a été placé sous tutelle de l’État, qui assure le versement des salaires, puisque la production ne couvre pas les coûts de production. Les ouvriers touchent une centaine d’euros par mois. Le gouvernement serbe essaie de dégraisser le combinat, pour privatiser séparément les différentes entreprises qui le composent. Tous les projets de rachat des mines ont cependant avorté.
Le visage maigre et fatigué, mangé par une grande barbe, Zoran est un des fondateurs du syndicat Nezavisnost à Bor. En mai 2002, il a choisi de quitter l’entreprise en bénéficiant du programme social du gouvernement. Vingt-cinq années d’expérience professionnelle lui ont permis de toucher la somme de 2500 euros. Ce petit pactole a vite été dépensé : Zoran a payé ses dettes, acheté une flûte traversière à sa fille qui étudie la musique à Nis. Depuis, il n’a plus rien. Sa femme, ancienne employée à la Banque de Bor, est également au chômage. Zoran avait le projet de créer un petit atelier de conservation de champignons sauvages. Pour le réaliser, il lui aurait fallu un investissement minimal de 10 000 euros.
Pour survivre, il est devenu «voyageur de commerce», comme il l’explique avec un rire amer. Presque tous les jours, il prend la route de la Bulgarie, d’où il ramène des haricots secs, de la charcuterie, parfois des vêtements. Les prix étant de 20 à 30% moins élevés en Bulgarie, cette misérable contrebande permet de dégager un petit bénéfice. «Je revends à mes voisins et à mes connaissances, mais la moitié des anciens travailleurs de Bor font de la contrebande de haricots», explique Zoran.
Une catastrophe écologique
Dans les années 1990, malgré les sanctions internationales contre la Yougoslavie, la production s’était maintenue à un niveau élevé, sans que l’on sache par quelles filières le régime de Milosevic parvenait à exporter le cuivre. La Bulgarie voisine absorbait sûrement une part de cette production. Les mines de Bor présentaient aussi un intérêt stratégique en raison de leur importante production d’or. «La nuit, des véhicules de la police venaient chercher des cargaisons d’or qui disparaissaient des statistiques de production. Le métal était revendu par des filières clandestines, à Chypre ou en Suisse», explique Aleksandar Ivanovic. À l’époque, les dirigeants du combinat étaient toujours des proches de Slobodan Milosevic. L’ancien ministre de l’Intérieur, Nikola Sainovic, aujourd’hui détenu au Tribunal pénal international de La Haye, avait commencé sa carrière politique comme maire de Bor. Le syndicat Nezavisnost, fortement engagé dans la lutte contre le régime de Milosevic, n’a pu se développer dans la région de Bor qu’à la fin des années 1990.
Le plus ancien puits de mines se trouve au beau milieu de la ville. Cette énorme excavation, de plusieurs kilomètres de diamètre et de près de 500 mètres de profondeur, fait peser un énorme danger sur toute la ville. Déjà, des routes et des maisons, situées sur les bords du puits, se sont effondrées. D’autres maisons ont dû être abandonnées, mais un quartier tsigane s’est établi à proximité du puits. Tout le monde sait que la production de cuivre a entraîné une catastrophe écologique dans la région de Bor, mais les chiffres font défaut. «Il y a encore deux ans, toutes les données concernant la pollution étaient encore frappées du secret d’État», expliquent les syndicalistes
À l’hôpital de Bor, les responsables s’empêtrent dans des statistiques contradictoires. Le docteur Rilak, responsable du service de médecine préventive et sociale, dispose d’un tout petit bureau dans les sous-sols de l’hôpital, et d’un seul ordinateur hors d’âge. Les courbes statistiques qu’il essaie d’établir révèlent cependant que le nombre de cancers a décuplé en quatre ans. Tout le monde est unanime sur un constat : on ne vit pas vieux à Bor, et bien peu de mineurs peuvent bénéficier de leur retraite.
Le syndicat Nezavisnost appelle ses adhérents et ses sympathisants à voter pour les partis démocratiques lors des élections du 28 décembre. «Nous n’avons pas le choix», explique Aleksandar Ivanovic. «Soit la Serbie accélère les réformes, soit nous revenons à l’isolement des années 1990. Avec une éventuelle victoire de l’extrême droite, la situation pourrait même être pire que tout ce que nous avons connu». «Nezavisnost est favorable aux privatisations», explique-t-il. «Par contre, nous voulons que ces privatisations s’accompagnent de véritables garanties sociales et que le gouvernement ait une véritable stratégie de développement économique de la Serbie». Nezavisnost estime que la Serbie compte un million de chômeurs, contre 1 250 000 personnes ayant encore un emploi.
À Bor, seulement 30% des électeurs ont pris part aux élections présidentielles invalidées du 16 novembre dernier, et les partis démocratiques auront bien du mal à mobiliser l’électorat des chômeurs et des travailleurs sous-payés.
Le combinat des «Mines et fonderies de Bor» compte encore 13000 employés, mais la production n’est plus que symbolique : 2 600 tonnes de cuivre concentré en 2002, contre plus de 40 000 tonnes à la fin des années 1970. La teneur en cuivre des gisements encore en exploitation ne cesse de baisser, et les coûts de production sont proches de 2 000 dollars la tonne, alors que les cours mondiaux du minerai ne dépassent guère 1 400 dollars.
Il y a deux ans encore, le combinat employait 22 000 personnes. Deux mille sont parties à la retraite, et 5 000 employés ont bénéficié du programme social négocié par le gouvernement. Ils ont quitté volontairement l’entreprise en touchant une indemnité de départ de cent euros par année d’expérience professionnelle. «Quasiment tous les employés ont utilisé cette somme pour payer leurs dettes. Maintenant, ils n’ont plus rien. Le programme social a produit autant de cas sociaux», explique Aleksandar Ivanovic, le coordinateur régional du syndicat Nezavisnost.
Le combinat a été placé sous tutelle de l’État, qui assure le versement des salaires, puisque la production ne couvre pas les coûts de production. Les ouvriers touchent une centaine d’euros par mois. Le gouvernement serbe essaie de dégraisser le combinat, pour privatiser séparément les différentes entreprises qui le composent. Tous les projets de rachat des mines ont cependant avorté.
Le visage maigre et fatigué, mangé par une grande barbe, Zoran est un des fondateurs du syndicat Nezavisnost à Bor. En mai 2002, il a choisi de quitter l’entreprise en bénéficiant du programme social du gouvernement. Vingt-cinq années d’expérience professionnelle lui ont permis de toucher la somme de 2500 euros. Ce petit pactole a vite été dépensé : Zoran a payé ses dettes, acheté une flûte traversière à sa fille qui étudie la musique à Nis. Depuis, il n’a plus rien. Sa femme, ancienne employée à la Banque de Bor, est également au chômage. Zoran avait le projet de créer un petit atelier de conservation de champignons sauvages. Pour le réaliser, il lui aurait fallu un investissement minimal de 10 000 euros.
Pour survivre, il est devenu «voyageur de commerce», comme il l’explique avec un rire amer. Presque tous les jours, il prend la route de la Bulgarie, d’où il ramène des haricots secs, de la charcuterie, parfois des vêtements. Les prix étant de 20 à 30% moins élevés en Bulgarie, cette misérable contrebande permet de dégager un petit bénéfice. «Je revends à mes voisins et à mes connaissances, mais la moitié des anciens travailleurs de Bor font de la contrebande de haricots», explique Zoran.
Une catastrophe écologique
Dans les années 1990, malgré les sanctions internationales contre la Yougoslavie, la production s’était maintenue à un niveau élevé, sans que l’on sache par quelles filières le régime de Milosevic parvenait à exporter le cuivre. La Bulgarie voisine absorbait sûrement une part de cette production. Les mines de Bor présentaient aussi un intérêt stratégique en raison de leur importante production d’or. «La nuit, des véhicules de la police venaient chercher des cargaisons d’or qui disparaissaient des statistiques de production. Le métal était revendu par des filières clandestines, à Chypre ou en Suisse», explique Aleksandar Ivanovic. À l’époque, les dirigeants du combinat étaient toujours des proches de Slobodan Milosevic. L’ancien ministre de l’Intérieur, Nikola Sainovic, aujourd’hui détenu au Tribunal pénal international de La Haye, avait commencé sa carrière politique comme maire de Bor. Le syndicat Nezavisnost, fortement engagé dans la lutte contre le régime de Milosevic, n’a pu se développer dans la région de Bor qu’à la fin des années 1990.
Le plus ancien puits de mines se trouve au beau milieu de la ville. Cette énorme excavation, de plusieurs kilomètres de diamètre et de près de 500 mètres de profondeur, fait peser un énorme danger sur toute la ville. Déjà, des routes et des maisons, situées sur les bords du puits, se sont effondrées. D’autres maisons ont dû être abandonnées, mais un quartier tsigane s’est établi à proximité du puits. Tout le monde sait que la production de cuivre a entraîné une catastrophe écologique dans la région de Bor, mais les chiffres font défaut. «Il y a encore deux ans, toutes les données concernant la pollution étaient encore frappées du secret d’État», expliquent les syndicalistes
À l’hôpital de Bor, les responsables s’empêtrent dans des statistiques contradictoires. Le docteur Rilak, responsable du service de médecine préventive et sociale, dispose d’un tout petit bureau dans les sous-sols de l’hôpital, et d’un seul ordinateur hors d’âge. Les courbes statistiques qu’il essaie d’établir révèlent cependant que le nombre de cancers a décuplé en quatre ans. Tout le monde est unanime sur un constat : on ne vit pas vieux à Bor, et bien peu de mineurs peuvent bénéficier de leur retraite.
Le syndicat Nezavisnost appelle ses adhérents et ses sympathisants à voter pour les partis démocratiques lors des élections du 28 décembre. «Nous n’avons pas le choix», explique Aleksandar Ivanovic. «Soit la Serbie accélère les réformes, soit nous revenons à l’isolement des années 1990. Avec une éventuelle victoire de l’extrême droite, la situation pourrait même être pire que tout ce que nous avons connu». «Nezavisnost est favorable aux privatisations», explique-t-il. «Par contre, nous voulons que ces privatisations s’accompagnent de véritables garanties sociales et que le gouvernement ait une véritable stratégie de développement économique de la Serbie». Nezavisnost estime que la Serbie compte un million de chômeurs, contre 1 250 000 personnes ayant encore un emploi.
À Bor, seulement 30% des électeurs ont pris part aux élections présidentielles invalidées du 16 novembre dernier, et les partis démocratiques auront bien du mal à mobiliser l’électorat des chômeurs et des travailleurs sous-payés.
par Jean-Arnault Dérens
Article publié le 27/12/2003