Economie
La «flexsécurité» danoise
(Photo : AFP)
Avec le mot flexible, qui veut dire souple, et le mot sécurité, synonyme de garantie, les Danois ont inventé un mot. Il symbolise un nouveau modèle social qui a permis, en une dizaine d’années, de faire baisser le chômage dans ce royaume de 5,4 millions d’habitants. Le taux de chômage du Danemark est actuellement de 6,2% de la population active. Il était de 12% en 1994.
Le nouveau système danois de lutte contre le chômage combine une grande facilité de licenciement pour les entreprises (flexibilité) à des indemnités longues et importantes pour les sans-emplois (sécurité). De plus, l’administration accompagne les chômeurs dans leur parcours pour retrouver du travail. Les organisations économiques internationales estiment que cette politique peut entraîner un accroissement des dépenses de l’Etat, un dépassement du niveau d’endettement fixé par le Pacte de stabilité. Ces risques sont plus importants lorsque la croissance économique est faible, comme maintenant en Europe.
Un seul ministère
L’originalité de la solution danoise, c’est d’avoir mis l’emploi au cœur de la question sociale, de manière à changer les mentalités, que tous les Danois aient cette préoccupation de l’emploi pour tous. Au niveau étatique, la première étape fut d’abord de réunir les administrations concernées par l’emploi au sein d’un seul ministère. Avant la réforme, les chômeurs étaient gérés par deux ministères différents, celui du Travail, pour les chômeurs couverts par l’assurance chômage, et celui des Affaires sociales, pour les personnes n’ayant plus d’assurance chômage, essentiellement les bénéficiaires de l’aide sociale.
La flexibilité veut dire que les entreprises ont toute liberté de licencier. Le préavis est très court. L’Etat intervient très peu. Il n’y a pas de modèle unique de contrat de travail, pas de durée légale du travail. La loi n’encadre pas le droit de grève, ne décrète pas un salaire minimum.
Les négociations entre employeurs et salariés se font au niveau des branches concernant chaque secteur industriel ou tertiaire ou au niveau des entreprises. Ces accords directs concernent les trois-quarts des salariés danois. Les syndicats sont très puissants au Danemark puisque 80% des salariés sont syndiqués. Le pays compte essentiellement de petites entreprises, qui ont toute latitude de négocier avec leurs salariés et qui ont l’habitude d’être souples pour s’adapter au marché.
Des syndicats puissants
En cas de licenciement, l’ex-salarié est très protégé. Ce n’est pas l’entreprise qui lui verse des indemnités chômage. Elles proviennent de caisses privées, agréées par l’Etat et proches des syndicats. S’il perd son emploi, un travailleur danois est tout de suite pris en charge par l’Etat. Affilié à ces caisses, le chômeur perçoit 90% de son salaire pendant quatre ans, sans dégressivité. Pour les personnes qui ne sont pas assurées de cette manière, un système d’aide sociale municipale se substitue à ces caisses. Pour percevoir des indemnités, dans tous les cas il faut chercher un nouvel emploi. De toute façon, les municipalités prennent en charge ces personnes qui en France seraient au RMI en leur apportant toutes sortes d’aides, médicale, psychologique, ou de l’ordre du consultant.
Pendant les six premiers mois sans emploi, un(e) Danois(e) doit obligatoirement suivre des stages en entreprise ou des formations. Le versement des indemnités est conditionné à ces suivis.
La population active danoise est très mobile : 600 000 à 700 000 personnes changent chaque année de travail soit 27% de la population salariée. Contrairement aux habitudes françaises, les salariés danois passent en moyenne sept ans seulement dans la même entreprise.
La formation va de soi
Au Danemark, la formation professionnelle des adultes atteint 0,67% du PIB, un chiffre à comparer avec celui de la France qui est de 0,21% du PIB. Cette formation tout au long de la vie permet d’évoluer au niveau qualification sans dramatiser le départ d’une entreprise. Le marché est flexible, la formation va de soi, un Danois au chômage ne se coupe pas du reste de la société. Un retour rapide à l’emploi est jugé possible.
Comme ailleurs, des difficultés de recrutement existent pour les travaux pénibles ou peu qualifiés, pour le secteur public à bas niveau de salaire, pour la population immigrée dont le taux de chômage atteint 15%.
Les experts ont remarqué que ces recettes fonctionnent mieux dans des petits pays comme le Danemark. Plus ouverts sur l’extérieur, ils ont une meilleure capacité d’adaptation aux évolutions des marchés internationaux. Au contraire, les grands pays européens comme la France, l’Italie, l’Allemagne ou la Pologne ont plus de mal à s’adapter et sont confrontés à de forts taux de chômage.
Un système qui a ses limites
Le consensus explique le succès du système danois, explique encore les spécialistes car tout a été négocié dans un ensemble qui n’a rien à voir avec le système fragmenté français. Le vrai défi, à Copenhague, est pour demain, avec le vieillissement de la population et le fait qu’il paraît impossible de demander plus au contribuable danois qui est déjà l’un des citoyens les plus imposés au monde avec des prélèvements proches des 60%.
De leur côté les patrons danois réclament encore plus de flexibilité, une période d’allocations chômage plus courte, et une plus grande pression sur les chômeurs pour qu’ils reprennent un travail.
Une semaine quasiment après sa nomination, Dominique de Villepin a reçu les syndicats et les organisations patronales. « On est dans un pays où on veut tout bousiller avant de construire quelque chose de nouveau. C’est ça dont on ne veut pas », a déclaré François Chérèque après son entretien avec le Premier ministre. « Attention à ce qu’on va faire, on a besoin de redonner un vrai liant à notre société», a encore indiqué le secrétaire général de la CFDT. Toutes les organisations syndicales ont refusé une remise à plat du modèle social français. En tout cas, tous attendent le discours de politique générale de Dominique de Villepin, mercredi.
par Colette Thomas
Article publié le 06/06/2005 Dernière mise à jour le 06/06/2005 à 17:31 TU