Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Burundi

L’ancienne rébellion consacrée parti de gouvernement

<P>Trois&nbsp;millions d'électeurs étaient appelés aux urnes. 72% ont voté.</P>(Photo : AFP)

Trois millions d'électeurs étaient appelés aux urnes. 72% ont voté.


(Photo : AFP)
Le parti du président de la Transition, l’historique Front pour la démocratie au Burundi (Frodebu) conteste déjà la victoire de ses enfants rebelles de Conseil national pour la défense de la démocratie (CNDD-FDD). Mais les jeux sont faits. Reste à proclamer le verdict des urnes. Il faut en effet attendre le résultat des partielles organisées le 7 juin, dans six communes (sur 129 au total) où le scrutin a dû être repris pour cause d’attaques (non revendiquées) contre des bureaux de vote, le 3 juin. Dans la nuit de lundi à mardi, des tirs d’obus ont à nouveau retenti. Mais 72% des quelque trois millions d’électeurs burundais avaient déjà bravé grenades et rumeurs, vendredi, pour affluer dans les 6 000 bureaux de vote ouverts au suffrage universel après douze ans de guerre civile. Selon la presse, dans plus de cent communes, ils ont massivement élu les candidats du CNDD-FDD.

Le président du Frodebu, Jean Minani, a perdu son sang-froid. Lundi, à l’issue d’une réunion post-électorale du comité directeur du parti, il a signé un texte virulent qui dénonce «un plan de déstabilisation des élections» prémédité, selon lui, par le CNDD-FDD. Jean Minani accuse le parti de Pierre Nkurunziza d’avoir influencé les votes dans tout le pays, à coup de «menaces de mort» à l’encontre des électeurs potentiels du Frodebu. Il lui impute même les attentats du 3 juin, qui ont fait un mort et plusieurs blessés, parmi lesquels un casque bleu de l’Opération des Nations unies au Burundi (Onub), dans les provinces du Bubanza et de Bujumbura rural où le scrutin a dû être recommencé.

Selon Jean Minani, les anciens combattants du CNDD-FDD (les ex-Forces de défense de la démocratie) ont profité de leur recyclage dans la police nationale pour obliger également les électeurs à leur prouver qu’ils n’avaient pas voté Frodebu, en rapportant les bulletins inutilisés. Il en veut pour preuve le petit nombre de bulletins aux armes du Frodebu rassemblés dans les sacs poubelles que son parti a pu examiner «tout au long du scrutin». Le président du Frodebu en avait-il déduit trop vite que les électeurs les glissaient massivement dans les urnes ? Faut-il considérer la longue diatribe du docteur Minani comme une tentative pour se dédouaner par avance d’une défaite assurée ? Le Frodebu «se réserve le droit de saisir les instances judiciaires habilitées» pour faire invalider le scrutin. Il est vrai qu’il donne le ton des élections à venir : les législatives le 4 juillet prochain et la présidentielle, au suffrage indirect, le 19 août.

Plus de 65 % des suffrages

S’il est minuit pour le Frodebu, il est beaucoup plus tard encore pour l’autre CNDD, concurrent de celui de Pierre Nkurunziza et conduit par un ancien ministre de l’Intérieur du Frodebu, Léonard Nyangoma. C’est ce dernier qui avait initié le passage à la lutte armée en 1994 avant de retomber largement dans les oubliettes de l’Histoire au profit de la branche Nkurunziza, elle-même issue de diverses scissions. Pour prix de sa précocité, mais aussi d’une notoriété locale dans ses terres natales, Léonard Nyangoma recevra sans doute un petit lot de consolation communale. Mais les communales sonnent aujourd’hui l’heure du CNDD-FDD. Les journalistes burundais se sont voulus des observateurs attentifs et fiables dans ce scrutin. Ils évaluent le score du CNDD-FDD à plus de 65% des suffrages, mieux peut-être que le résultat historique du Frodebu en juin 1993. Sorti des limbes de la dictature peu avant ce premier scrutin pluraliste, le Frodebu avait alors conduit à la victoire Melchior Ndadaye, le premier président hutu sorti des urnes burundaises. Et cela  face au major Pierre Buyoya, le candidat inévitablement tutsi de l’ancien parti unique, l’Unité pour le progrès social (Uprona).

L‘Uprona devrait survivre dans une poignée de communes. Le Parti pour le renouveau national (Parena) du colonel Jean-Baptiste Bagaza (évincé du fauteuil présidentiel par Buyoya en 1987) pourrait surnager. De son côté, le colonel Epitace Bayaganakandi espère aussi éviter la noyade, après son échec de l’an 2000 à se faire adouber par la minorité tutsi comme alternative possible à Buyoya. En revanche, on n’entendra sans doute plus guère parler de la foultitude de micro-partis extra-parlementaires qui se sont cramponnés à la table des négociations d’Arusha entre 1998 et 2000 pour participer, dans la Transition, au partage du pouvoir et de ses attributs. Ces batailles appartiennent au passé. En revanche, il reste encore à «domestiquer» les rebelles des FNL-Palipehutu (Forces nationales du parti de libération du peuple hutu) dont le dernier dirigeant en date, Agathon Rwasa, est censé parler de paix, à Dar Es-Salaam, ces jours-ci. En attendant, les bruits de canons de Bujumbura rural sont attribués à ses troupes par la majorité des observateurs, à l’exception de ceux du Frodebu, qui accusent leurs tombeurs du CNDD.

Vote sanction pour le Frodebu

C’est bien sûr sans surprise qu’une carte à dominante hutu sort du jeu électoral burundais. Que le vote prenne la forme d’une sanction du Frodebu ne surprend pas davantage. Au fil de douze longues années de troubles politico-militaires la ligne du CNDD apparaissait en effet comme la plus facile à déchiffrer pour une population saignée par la guerre. En revanche, une lourde incertitude restait attachée aux échecs politiques répétés du Frodebu face à l’armée adverse. Il s’était avéré difficile en effet pour la majorité hutu de comprendre, autrement que comme une faiblesse plus ou moins coupable, le compromis politique, la «Convention de gouvernement» consentie à ses adversaires tutsi en septembre 1994 par Sylvestre Ntinbantunganya. Ce dernier était le troisième chef d’Etat burundais issu du Frodebu, après feu Melchior Nadaye, assassiné par des partisans de Buyoya en octobre 1994, et après Cyprien Ntaryamira, mort dans l’attentat contre l’avion du Rwandais Juvenal Habyarimana, en avril 1994.

Ntinbantunganya balayé du pouvoir par Buyoya, en juillet 1996, le rapport de force musclé entretenu par le CNDD-FDD est apparu comme une option parfaitement logique. Plus tard, sa décision de boycotter les négociations politiques d’Arusha, en réclamant des pourparlers directs avec l’armée, est restée cohérente. En même temps, à la différence des FNL par exemple, le CNDD-FDD a su se garder des sirènes ethnistes. Il s’est structuré politiquement, sans façons communautaires particulières. Les électeurs étaient au rendez-vous.

La Commission électorale nationale indépendante (Ceni) n’a pas encore confirmé les résultats des 109 communes (sur 129 au total) dont les médias ont assisté au dépouillement. D’après leurs chiffres consensuels, le CNDD-FDD arriverait en tête dans 79 communes et serait au deuxième rang dans une vingtaine d'autres. Le Frodebu ne conteste pas ces résultats qu’il accuse en revanche le CNDD d’avoir extorqué aux électeurs. Tel n’est pas l’avis de la représentante de l’Onu au Burundi, Carolyn McAskie. A ses yeux, «le processus électoral est une réussite, ceux qui ont voulu le perturber n'ont pas réussi». Visiblement, le Frodebu va devoir s’accommoder de la deuxième place sur la scène politique nationale et, sans doute, passer son tour à la présidentielle.


par Monique  Mas

Article publié le 07/06/2005 Dernière mise à jour le 07/06/2005 à 18:10 TU