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Ethiopie

Dérapage post-électoral

Démonstration de force musclée entre les étudiants et la police à Addis Abeba le 7 juin 2005.(Photo : AFP)
Démonstration de force musclée entre les étudiants et la police à Addis Abeba le 7 juin 2005.
(Photo : AFP)
Mercredi, la répression des manifestations de protestation contre la victoire annoncée du parti au pouvoir aux législatives du 15 mai a fait 26 morts dans la capitale éthiopienne. Un calme précaire régnait jeudi matin dans la ville quadrillée par les forces de l’ordre.

De sources hospitalières, le bilan de la répression des manifestations estudiantines de mercredi s’élève à 26 morts, la plupart par balles, et des centaines de blessés à Addis Abeba. Selon des témoins cités par l’AFP, la police a tiré dans la foule dans au moins trois quartiers de la capitale. Des centaines de jeunes gens ont été arrêtés. Le gouvernement a justifié l’usage de la force pour faire respecter «la loi et l’ordre» et pour «protéger la population».

Les autorités rejettent la responsabilité des violences sur l’opposition. Plusieurs de ses chefs sont en résidence surveillée. Le pouvoir accuse notamment la principale formation d’opposition, la Coalition pour l’unité et la démocratie (CUD), d’inciter la population à se livrer aux pillages et à attaquer la police. Selon la CUD, les événements en cours sont spontanés. Le leader du mouvement, Hailu Shawel, avait été assigné à résidence mardi. Mais, au lendemain des protestations internationales, il a pu se rendre à son bureau jeudi, sous très étroite surveillance.

Les journalistes travaillant pour la presse étrangère ont été invités à la prudence après les mesures prises contre cinq d’entre eux, correspondants des radios internationales allemande et américaine, privés de leur accréditation, accusés par les autorités de diffuser des informations partiales.

Manifestations publiques interdites

Au lendemain de cette sanglante journée, la capitale éthiopienne s’est réveillée jeudi dans une ambiance marquée par une lourde présence policière tandis que l’activité était réduite au minimum. Les boutiques étaient fermées, ainsi que les banques privées. Malgré les appels à la reprise du travail lancés par l’administration, la circulation était faible au deuxième jour de grève entamé par les taxis et les conducteurs de mini-bus. Ils ont cessé le travail en signe de soutien aux manifestants qui, depuis le début de la semaine, revendiquent la victoire et protestent contre les fraudes qui, selon eux, ont conduit le parti sortant du Premier ministre Meles Zenawi à réclamer la victoire aux élections législatives du 15 mai, date à partir de laquelle le pouvoir a interdit les manifestations publiques.

Bien que la publication des résultats officiels ait été différée d’un mois, au 8 juillet, l’annonce des résultats provisoires a mis le feu aux poudres. Selon les chiffres disponibles, qui portent sur 513 des 547 circonscriptions, le parti au pouvoir (Front populaire démocratique révolutionnaire éthiopien, EPRDF) depuis la chute de l’ancien régime en 1991 se taille la part du lion avec 320 sièges, tandis que l’opposition dispose désormais de 193 sièges, contre 12 dans l’assemblée sortante. En tout état de cause, c’est sans précédent en Ethiopie.

Pays enclavé, sous perfusion

(Carte : DK/RFI)
Ce résultat atypique est le fruit d’une campagne électorale dans laquelle l’opposition s’est totalement engagée, sous le regard d’observateurs internationaux autorisés pour la première fois à travailler dans ce pays. De son côté le pouvoir, campé sur ses certitudes de disposer d’un électorat captif depuis 14 ans, semble avoir négligé l’hypothèse d’une défaite ou, du moins, d’un résultat plus serré qu’à l’ordinaire, propice à la contestation. Accroché au pouvoir, Meles Zenawi, l’ex guérillero du Front de libération du peuple du Tigré, tombeur de l’ancien «Négus rouge», Mengistu Hailé Mariam, sera-t-il tenté par l’aventure de son prédécesseur s'il s'avérait qu'il avait perdu la partie ? Des témoins cités par les agences de presse n’hésitent pas à comparer la situation actuelle à celle qui prévalait en 1974, à la veille du coup d’Etat militaire.

Le pouvoir n’est toutefois pas tout à fait insensible à l’image qu’il offre à l’extérieur. Autrefois fermée, l’Ethiopie est aujourd’hui un pays enclavé, depuis la perte de sa province côtière érythréenne, et sous perfusion. L’administration est largement soutenue par la communauté internationale : la Banque mondiale et l’Union européenne contribuent à hauteur de 40% au budget du pays.

Préoccupations internationales

Les réactions extérieures font part d’une vive inquiétude face aux développements de la situation. L’Union européenne (UE) exprime sa «profonde inquiétude». Sur place, la responsable de la délégation d’observateurs de l’UE, Ana Gomez, «a fait part au gouvernement de sa condamnation des mises en résidence surveillée et des mesures de harcèlement et de menaces imposées» aux opposants. Le sous-secrétaire britannique aux Affaires étrangères Lord Triesman appelle le Premier ministre éthiopien à la retenue et les partis politiques à surmonter leur querelle. Il relève «avec une profonde préoccupation que la réaction des forces de sécurité a fait de nombreux morts». Il se déclare «alarmé».

A Washington, le porte-parole du Département d’Etat, Sean McCormack a évoqué une «tragédie qui n’aurait pas dû se produire» et a invité «tout le monde à prendre du recul et éviter toute violence». A Paris, la porte-parole adjointe du ministère des Affaires étrangères a souligné la préoccupation de la France et appelé «toutes les parties éthiopiennes à faire preuve de retenue et à poursuivre le processus politique jusqu’à son terme dans un esprit de dialogue et de concertation». Le secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, s’est dit «sérieusement préoccupé par la tension née de controverses à propos de la façon dont les récentes élections ont été conduites».


par Georges  Abou

Article publié le 09/06/2005 Dernière mise à jour le 09/06/2005 à 17:23 TU