Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Togo

Edem Kodjo, un Premier ministre sans transition

Edem Kodjo, nouveau Premier ministre du Togo.(Photo : AFP)
Edem Kodjo, nouveau Premier ministre du Togo.
(Photo : AFP)
Les Togolais ont appris sans grande surprise le contenu du décret signé par Faure Gnassingbé, que le ministre de la Communication est venu lire à la télévision mercredi soir : «Edem Kodjo est nommé Premier ministre». La veille, le chef de l'Etat avait opposé une fin de non-recevoir catégorique aux revendications de la Coalition de l’opposition. Celle-ci réclamait un «gouvernement transitoire d’unité nationale» dirigé par un Premier ministre issu de ses rangs, pour apurer le passif politico-militaire de ces dernières décennies et préparer de futurs scrutins incontestables. Faure Gnassingbé refuse et campe sur ses positions présidentielles. Edem Kodjo a mission de composer un «gouvernement d’union nationale», pour tourner la page de la contestation en évitant tout véritable changement.

«Réconciliation» est le maître mot d’Edem Kodjo. C’est déjà la tâche qu’il avait accepté d’accomplir pour Gnassingbé Eyadema, en 1994. L’année précédente, les bulletins à son effigie de présidentiable étaient restés dans les urnes, finalement boycottées par l’opposition. Edem Kodjo portait alors son flambeau, du moins celui d’une partie des opposants. Chef d’un parti d’opposition de forte audience, le Comité d’action pour le renouveau (Car), l'avocat Yawovi Agboyibo, ne s’était en effet pas résigné à s’effacer devant Edem Kodjo. Mais au final, Gnassingbé Eyadéma seul en lice avait conservé son fauteuil présidentiel, sa garde prétorienne réduisant en charpie les dernières velléités d’indépendance du Premier ministre sorti de l’opposition, Kokou Koffigoh, et de l’Assemblée nationale multicolore. Avec Edem Kodjo, Premier ministre de 1994 à 1996, Gnassingbé père avait alors retrouvé la tranquillité de la «démocratie apaisée», celle où aucune tête d’opposant ne dépasse. Aujourd’hui, Gnassingbé fils demande au même Edem Kodjo de rééditer l’entreprise, dans des circonstances somme toute analogues et avec une classe politique à peine recomposée.

Au début des années quatre-vingt-dix, la petite «Suisse de l’Afrique» avait, à la surprise quasi-générale, vu des foules de manifestants braver le pouvoir militarisé de Gnassingbé Eyadéma. Quelques militaires courageux étaient même venus en pleurs s’expliquer sur leurs exactions passées devant une Conférence nationale à la souveraineté rapidement bafouée. Le vent avait quand même menacé de tourner pour le parti unique, le Rassemblement du peuple togolais (RPT), dont Edem Kodjo fut l’un des pères fondateurs et le secrétaire général, de 1969 à 1971. Mais outre la mémoire des morts tombés au champ de l’espoir démocratique, il reste surtout de cette époque un pluralisme politique en trompe-l’œil, avec, comme arrière-goût amer pour les partisans du changement, le souvenir des ratages à répétition de l’opposition face aux recettes éculées du pouvoir. Cette fois, c’est le dernier acte de la succession de Gnassingbé Eyadema qu’il s’agit de régler.

Agboyibo moque un Premier ministre «d’ouverture à qui veut»

Après les trop nombreux morts et les innombrables départs en exil provoqués par la présidentielle du 24 avril dernier, Edem Kodjo veut «tout mettre en œuvre pour que le pays retrouve sa sérénité». Le nouveau Premier ministre va donc former un gouvernement «d’ouverture à qui veut», selon le mot de maître Agboyibo, le coordinateur de la Coalition de l’opposition, qui se déclare «consterné». Reste, dit-il, la plate-forme revendicative de l’opposition. Elle a le mérite d’exister et même d’avoir permis de tester la bonne volonté du pouvoir qui vient de la rejeter par deux fois, en bloc mardi et en détail mercredi, avec la nomination d’un Premier ministre à l’écart de la Coalition. En travaillant à l’élaboration de ce document, la Coalition a pu aussi «se faire une idée claire sur ce qu’il y a lieu d’entreprendre pour mettre le pays sur les bons rails», explique Martin Aduayom, le numéro deux de la Convention des peuples africains (CDPA). L’opposant ajoute qu’il n’est pas question «d’aller à la soupe, ni même de saisir une main tendue», celle d’Edem Kodjo en l’occurrence. Ce qui compte, c’est le contenu et les objectifs de l’hypothétique concertation.

Edem Kodjo, préside aujourd’hui une formation politique baptisé Convergence patriotique panafricaine (CPP), après avoir conquis un fauteuil de député à Lomé, sous les couleurs de son ancien parti, l’Union togolaise pour la démocratie (UTD). Edem Kodjo n’est pas indifférent à la sémantique. Comme intellectuel et comme diplomate, nul doute qu’il aspire à voir gommer les épines de son pays pour lui donner meilleure figure. Diplômé de l'Ecole nationale d'administration française (ENA), ancien administrateur de l'Office de radiodiffusion et télévision français (ORTF), il a aussi été gouverneur au Fonds monétaire international (FMI), entre 1967 et 1973, gouverneur de la Banque africaine de développement (BAD) entre 1973 et 1976 et même secrétaire général de l'Organisation de l'unité africaine (OUA, l’ancêtre de l’Union africaine), de 1978 à 1983. Ministre de l’Economie en 1973 et chef de la diplomatie togolaise en 1976, toujours sous Eyadéma, Edem Kodjo enseignait (depuis 1983) l’économie du développement, à la Sorbonne parisienne quand l’appel d’air démocratique a fait vibrer le Togo. Son CV officiel de nouveau Premier ministre laisse un blanc, entre 1991 et 1994, date de sa première expérience en la matière.

Edem Kodjo vient de célébrer son soixante-septième anniversaire. Il est né le 23 mai 1938 à Sokodé, à quelque 380 kilomètres au nord de Lomé. Le destin ne lui a pas compté les honneurs. Mais s’il peut effectivement être présenté comme un homme de consensus, c’est surtout à l’extérieur, à Paris par exemple où en 1993, il se plaisait à laisser croire qu’il était le candidat alternatif de la diplomatie française, face à Eyadéma. Dix ans plus tard, les résultats officiels de la présidentielle de 2003 lui donnaient 0,96% des suffrages. Il ne s’est pas représenté en avril dernier, soutenant en revanche l’idée de gouvernement d'union nationale soutenue par l’UA et retenue par Faure Gnassingbé.

Edem Kodjo succède à Koffi Sama, en poste depuis juin 2002. Entre temps, Gnassingbé Eyadéma est mort, le 5 février dernier. Son fils Faure s’est imposé, manu militari d’abord, dans un scrutin contesté ensuite. Cela a suscité quelques froncements de sourcils internationaux imposant de renouer un dialogue. Le problème, c’est le contenu politique du projet de réconciliation nationale d’Edem Kodjo. Pour ou contre le changement des modes de gouvernement en vigueur ces quatre dernières décennies, autrement dit, pour ou contre la perspective d’une possible alternance politique ? Telle est la question.


par Monique  Mas

Article publié le 09/06/2005 Dernière mise à jour le 09/06/2005 à 17:11 TU

Audio

Edem Kodjo

Premier ministre du Togo

«Il s'agit de tout mettre en oeuvre pour que notre pays retrouve une sérénité dans tous les domaines.»

Stanislas Ndayishimiye

Journaliste au service Afrique de RFI

«Edem Kodjo a même été Premier ministre au temps de Gnassingbé père de 1994 à 1996.»

Articles