Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Guinée-Bissau

Premier tour de la présidentielle

Carte de Guinée-BissauDR
Carte de Guinée-Bissau
DR
Les Bissau-Guinéens ont déjà recomposé leur Parlement en mars 2004 avec des législatives «libres, justes et transparentes», selon les observateurs internationaux. Dimanche ils vont faire un premier tri crucial entre 13 candidats, au premier tour d’une présidentielle dominée par trois poids lourds : les deux présidents déchus, Kumba Yala et «Nino» Vieira, et le nouveau porte-flambeau de l’historique parti d’Amilcar Cabral (le Parti africain pour l’indépendance de la Guinée-Bissau et du Cap-Vert, PAIGC), Malam Bacai Sanha. Après des mutineries et des coups d’Etat en série, la normalisation politique de Bissau dépendra largement de la retenue des militaires, de la «sagesse» des candidats qui seront éliminés au premier tour, mais aussi du fair play de celui qui perdra le duel final, dans trois semaines.

La campagne électorale s’est terminée sans dérapage irréversible, mais Bissau a retenu son souffle plus d’une fois, tant le climat est resté tendu, en particulier entre les deux anciens présidents, «Nino» Vieira, chassé par une grogne militaire en 1999 après dix-neuf années d’un pouvoir sans grand partage, et Kumba Yala, renversé en 2003, deux ans avant la fin de son premier quinquennat. Depuis cette dernière intervention militaire au sommet de l’Etat, en septembre 2003, une junte imposait ce qu’il est désormais d’usage d’appeler transition, en attendant le retour des civils au pouvoir. Celui-ci se fera dans le meilleur des cas à des conditions qui n’ont finalement guère changé en deux ans, même si finalement le rapport des forces entre Kumba Yala et Nino Viera s’annule au profit d’un tiers. Les péripéties tonitruantes qui ont marqué le retour de ces dinosaures sur le théâtre politique bissau-guinéen n’augurent en tout cas rien de vraiment novateur.

Le 7 avril dernier, «Nino» Vieira avait mis en scène son retour d’exil du Portugal, débarquant triomphalement au stade du 24-Septembre où s’était posé à grand bruit l’hélicoptère militaire aux couleurs nationales le ramenant au pays. Kumba Yala avait surenchéri, campant quatre heures durant au palais présidentiel, dans la nuit du 24 au 25 mai, sous la protection d’une vingtaine de militaires. Dix jours plus tôt, il avait même essayé de couper court au scrutin en se réaffirmant président en titre. Le président intérimaire, Henrique Rosa, et l'Union africaine (UA) avaient dénoncé une tentative de coup d’Etat. 58 militaires et une dizaine de militants du PRS avaient été arrêtés. A toute fin utile, les autorités de transition ont également fait savoir qu’elles ouvraient une enquête criminelle contre Kumba Yala. Mais visiblement, chacun préfèrerait étouffer l’affaire et sauter le cap de la présidentielle. C’était d’ailleurs déjà dans un souci de conciliation, que la Cour suprême, avait examiné avec bienveillance les dossiers de candidature des deux hommes, Kumba Yala pour son Parti pour la rénovation sociale (PRS) et «Nino» Vieira sans étiquette, à défaut de PAIGC.

Quatorze candidats

Fin mai, quatre candidats – sur les dix-sept initialement retenus par la Cour suprême – ont jeté l’éponge faute de moyens. En effet, il était prévu que la Commission nationale électorale verse une subvention de 20 000 dollars à chacun des candidats. Mais, «n'étant pas en mesure de verser cette subvention, le gouvernement a promis de le faire pour ceux dont le score serait supérieur à 5% des suffrages», explique le ministre de l'Administration interne. Finalement, outre les trois poids-lourds, onze candidats seront dans l’arène au premier tour. Parmi eux : l'ancien Premier ministre Francisco Fadul, investi par le Parti uni social-démocrate (PUSD), Idrissa Djalo pour le Parti de l'unité nationale (PUN), Faustino Fudut Imbali du Parti du manifeste du peuple (PMP), ou encore la seule femme candidate, Antionieta Rosa Gomes, ex-ministre des Affaires étrangères et chef de file du Forum civique bissau-guinéen/Social-démocrate (FCG/SD).

Ces dernières semaines, une femme d'affaires, présidente de la Chambre agricole de commerce et d'industrie et fondatrice de plusieurs associations de la société civile, Macaria Barai avait entrepris de faire signer un code de bonne conduite aux postulants à la magistrature suprême. Tous ont accepté, sauf Kumba Yala. Avec sa coalition de «Citoyens de bonne volonté», Macaria Barai promet de veiller au grain électoral. En octobre dernier, elle avait mobilisé une centaine de femmes pour tenter de faire entendre raison à des militaires en proie à une énième mutinerie. A défaut d’impressionner les «hommes en tenue», les chants nocturnes des citoyennes avaient surpris. Jusqu’à récemment, la société civile ne s’est guère mêlé des affaires politico-militaires qui agitent régulièrement Bissau. Provoquant plus ou moins de remous celles-ci ont en effet toujours été étroitement imbriquées depuis novembre 1980 et l’assassinat (jamais vraiment élucidé) d’Amilcar Cabral, le libérateur et le premier président de la Nation indépendante, auquel «Nino» Vieira avait succédé.

Aujourd’hui encore, dans ce pays de terre et de mer mêlées où seuls prospèrent vraiment les anacardiers (90% des recettes extérieures proviennent de l’exportation des noix de cajou), dans cette minuscule enclave inventée par les colonisateurs, entre Sénégal et Guinée Conakry, face au million et demi d’habitants, pour la plupart laissés pour compte d’une économie arriérée, il reste de bon ton d’invoquer la mémoire d’Amilcar Cabral. Celle-ci sert aussi de «raison sociale» à l’armée. Elle mène la danse en rappelant les riches heures de la lutte de libération qui fit trembler le Portugal. C’est ainsi que le Premier ministre choisi par la junte, Carlos Gomes, a pu se passer de tout programme ou projet de société pour battre la campagne du PAIGC. Un candidat chasse l’autre. En l’occurrence, le temps de «Nino» Vieira est révolu et «il faut garder les yeux ouverts, parce qu'aujourd'hui des gens rôdent pour empêcher la victoire du candidat du PAIGC». En revanche, ainsi que le soulignait «Amilcar Cabral à l'indépendance, il faut aujourd’hui un homme qui souhaite le rassemblement et qui fédère par son charisme». Or «un homme de ce genre, il en reste un, c'est Malam Bacai Sanha!».

L'armée promet de rester neutre

«Les forces armées ne s'impliqueront pas dans le processus. Nous sommes neutres et nous le resterons», proclame le chef d'état-major, le général Tagmé Na Wai. Lui-même n’a été nommé qu’à la fin de l’année dernière, après la mutinerie d'octobre 2004. Et en fonction des couches d’ancienneté ou des strates communautaires, les 9 250 militaires (parmi lesquels 2 000 gendarmes) ne marchent pas toujours comme un seul homme. C’est ce que, chacun à sa manière, «Nino» Vieira et Kumba Yala ont rappelé en rameutant les galonnés qui leur sont attachés pour donner de l’emphase à leurs candidatures. Ils gardent des fidèles dans l’armée. Le PAIGC aussi, cela va de soi. Et il n’est guère pensable que les putschistes qui ont défait tour à tour les deux vieux routiers de la politique bissau-guinéenne aient vraiment envie de voir l’un ou l’autre revenir par les urnes. A moins que tous aient compris que l’essentiel est ailleurs : dans l’économie en particulier. Mais là aussi, la confusion a souvent été la règle entre trésor public et trésor de guerre.

Pour sa part, l’envoyé spécial de l'Onu, l'ancien président mozambicain Joaquim Chissano, appelle les Bissau-Guinéens à voir plus loin. «Après la proclamation des résultats, dit-il, il faut se préparer à la reconstruction du pays, mobiliser toutes les ressources internes et de la communauté internationale pour le sortir de la situation actuelle». La situation actuelle, c’est une immense pauvreté et bien peu d’atouts pour en sortir. Reste l’aide internationale, une carotte, sans aucun doute.


par Monique  Mas

Article publié le 18/06/2005 Dernière mise à jour le 17/06/2005 à 13:48 TU