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Kenya-Tanzanie

Controverse autour du mont Kilimandjaro

Vue du mont Kilimandjaro depuis le parc national Amboseli, au Kenya.(Photo: AFP)
Vue du mont Kilimandjaro depuis le parc national Amboseli, au Kenya.
(Photo: AFP)
Après les propos du ministre kenyan du tourisme affirmant que le mont Kilimandjaro est «une des principales attractions touristiques de son pays», la colère gronde dans les milieux du tourisme en Tanzanie, où se trouve le plus haut sommet d’Afrique. Un mécontentement dont les enjeux sont à la fois symboliques et économiques.

De notre correspondant à Arusha

«C’est un hold-up contre nos touristes… Un énorme mensonge… C’est triste que le ministre kenyan ait tenu de tels propos»… «Et nous qui pensions que seuls les tours opérateurs kenyans se prêtaient à ce jeu»… Entre incrédulité et colère, les acteurs du secteur touristique en Tanzanie n’en finissent pas de protester contre les propos de Morris Dzoro, ministre kenyan du tourisme. Des propos jugés «inacceptables dans la bouche d’un ministre» s’étrangle un tour opérateur d’Arusha, la petite bourgade du nord tanzanien, capitale du tourisme national depuis plus d’une décennie, où une onde de choc a parcouru bureaux et agences touristiques depuis plus de deux semaines.

En cause, une petite phrase, prononcée par le ministre, et censée mettre en valeur les principales attractions du voisin kenyan. L’officiel s’exprimait, fin mai, devant un parterre d’acteurs venus de divers pays d’Afrique, d’Europe et d’Amérique du Nord et réunis dans le cadre d’une des nombreuses grand messe du tourisme mondial. «Le mont Kilimandjaro est une des principales attractions du Kenya» s’est enflammé Morris Dzoro. Problème: le plus haut sommet d’Afrique (5 895 m d’altitude) ne se trouve pas au Kenya, mais en Tanzanie, à plus d’une centaine de kilomètres de la frontière kenyane de Namanga. Loin, très loin donc. Et pourtant nombreux ceux qui pensent, en toute bonne foi, que le Kilimandjaro se trouve au Kenya. «Par la faute des tours opérateurs kenyans» explique Mustapha Akunaay, directeur exécutif de l’association tanzanienne des Tours opérateurs. «Depuis fort longtemps, ils vendent le Kilimandjaro aux touristes occidentaux en leur disant qu’il est chez eux. Les propos du ministre se situent dans cette logique et c’est pourquoi ils provoquent tant de colère ici en Tanzanie.»

Les enjeux sont symboliques et économiques

La «sortie» du ministre kenyan et les réactions tanzaniennes révèlent donc surtout une question sensible qui date d’il y a quelques décennies déjà. Dès la fin des années soixante, alors que la Tanzanie s’engage, sous la direction de Julius Nyerere, sur la voix du socialisme «ujamaa», la priorité est donnée à l’autosuffisance alimentaire à travers le développement de l’agriculture, au détriment des autres industries, dont celle du tourisme par exemple. Au Kenya pendant ce temps, ce secteur est très vite mis en valeur. Face à la fascination dont jouit le Kilimandjaro auprès des touristes occidentaux et parce que le «toit enneigé de l’Afrique» est visible depuis le Kenya, nombreux sont les tours opérateurs installés à Nairobi qui comprennent l’avantage qu’ils peuvent tirer de la proximité de cette attraction inexploitée chez le voisin tanzanien. Ainsi s’ouvre la longue période pendant laquelle les Kenyans proposent -ou au minimum suggèrent- à leur clientèle qu’entre autres attractions durant leur séjour au Kenya, il y a le Kilimandjaro. Au-delà des dividendes symboliques, le pays recueille les retombées financières de ce mensonge. L’ascension du Kilimandjaro coûte en moyenne l’équivalent de 1 000 dollars à qui tente l’aventure. Ils sont plus de 20 000 à le faire chaque année.

Mais côté tanzanien, la fin des années 80 marque un revirement spectaculaire des orientations économiques. Oubliée l’époque socialiste, le tourisme devient progressivement un secteur porteur. Le pays s’ouvre, les investissements dans le secteur affluent. Depuis peu, ce sont plus de quatre cent mille touristes qui visitent le pays chaque année. A l’horizon 2010, il est question d’en attirer un million. Entre autres arguments de vente, le mont Kilimandjaro, dont les neiges recouvrant son sommet ne sont plus éternelles. On le sait depuis peu, selon les spécialistes, dans une vingtaine d’années, elles auront complètement disparu. Raison de plus, pour les acteurs tanzaniens du tourisme, d’en profiter avant que sans doute l’affluence touristique retombe. D’où leur grande colère suite aux propos du ministre kenyan.

Des propos que le ministre ne s’est même pas empressé de retirer en dépit du tollé soulevé en Tanzanie, confirmant aux yeux de beaucoup le caractère délibéré de ces paroles. «Si ces propos avaient été une maladresse, le ministre aurait présenté ses excuses» se lamente Amant Macha, de l’office tanzanien du tourisme. «Il faut pourtant que nos voisins kenyans cessent d’accaparer notre bien» s’insurge un tour opérateur d’Arusha. A quoi, de l’autre côté de la frontière, on reste sourd et muet, comme un voisin pris en faute dans le jardin d’autrui et qui ne se veut pas se résoudre à un changement de conduite.


par André-Michel  Essoungou

Article publié le 18/06/2005 Dernière mise à jour le 18/06/2005 à 13:21 TU