Pétrole
Le baril frôle les 60 dollars
(Photo : AFP)
Avec cette nouvelle flambée des cours du pétrole qui a frôlé les soixante dollars le baril en Asie, à New York, et à Londres, l’inquiétude est de mise. Remplir sa cuve de fuel en prévision de l’hiver, faire le plein d’essence pour aller travailler, partir en vacances, faire tourner des industries, utiliser des machines agricoles, transporter des marchandises en camion, tout cela va coûter plus cher. L’augmentation du prix de l’énergie aura des conséquences sur le niveau de la croissance.
Une croissance revue à la baisse
Il y a un an, le prix du pétrole avait déjà atteint un niveau que les spécialistes pensaient à l’époque exceptionnel. Lundi, le baril de Brent a été échangé à 59,37 dollars sur le marché new-yorkais. Devant de tels sommets, cette fois, plus personne ne pense revoir le baril sous la barre des 40 dollars. C’est pourtant sur cette base qu’a été élaborée une partie du budget prévisionnel de la France. Mardi matin, au cours de sa seconde conférence de presse depuis son arrivée à la tête du ministère de l’Economie, Thierry Breton a donc revu à la baisse les perspectives de croissance du pays. Pour l’année en cours, l’objectif maximum visé est de 2% alors que les précédentes prévisions tablaient sur une croissance de 2 à 2,5%. Thierry Breton est resté prudent, indiquant que «le chiffre de deux pour cent devient un plafond au lieu d’un plancher».
«Si le choc pétrolier est rampant, on a aussi un choc psychologique rampant», estime pour sa part Emmanuel Hache, économiste au Centre d’observation économique de la Chambre de commerce de Paris et spécialiste du pétrole. Difficile donc pour le ministre de l’Economie de donner un signal optimiste aux ménages qui sont très sensibles à la hausse du prix de l’essence notamment en période estivale, alors qu’ils viennent déjà d’apprendre la hausse de 4% du prix du gaz, lequel est indexé sur celui du pétrole.
Pas de TIPP flottante
Malgré le souhait des Français d’être rassurés, malgré un baril qui risque de s’installer à 55 dollars minimum, le ministre de l’Economie n’a pas l’intention de réactiver la TIPP (taxe intérieure sur les produits pétroliers) flottante. Lors de précédentes hausses du pétrole, ce dispositif, mis en place par le gouvernement Jospin et supprimé par le gouvernement Raffarin, avait permis d’atténuer des augmentations brutales du prix des carburants. «Je rappelle que ce mécanisme est extrêmement coûteux, il n’est pas question de le remettre en œuvre», a déclaré Thierry Breton. «On ne peut pas réagir à l’instant», a encore indiqué le ministre.
En 2000, la TIPP, prélevée par l’Etat sur les différents produits pétroliers, a représenté 8% des impôts indirects. A elle seule cette taxe constitue les deux-tiers du coût à la pompe du carburant. Donc plus la consommation d’essence augmente, plus les recettes de l’Etat augmentent. La TIPP est également proportionnelle au prix du pétrole. L’Etat est donc toujours gagnant quand le prix de cet énergie monte. La TIPP flottante avait pour but d’atténuer ces effets d’entraînement dans les hausses.
Les recettes de l’Etat augmenteront cette année par l’intermédiaire de cette taxe et de la TVA, elle aussi proportionnelle au prix de vente du carburant. En revanche la croissance économique devrait faire partiellement les frais de cette hausse des prix de l’énergie. L’économiste de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris indique encore que la croissance française est essentiellement tirée par la demande intérieure, elle-même sensible à la confiance des ménages et des entrepreneurs.
Des inflexions à la Tony Blair
De toute façon, «il faut avoir le courage de dire tout simplement que la France aujourd’hui vit au-dessus de ses moyens et les Français doivent le savoir». A la veille des vacances et alors que l’avenir est incertain, Thierry Breton parle du budget 2006 en interpellant les Français. Le constat : la France paie l’ardoise de son passé mais n’investit pas pour l’avenir et les autres générations. A tire d’exemple, la dette est devenue tellement importante que le fardeau de son remboursement prive la France de toute marge de manœuvre pour investir et stimuler sa croissance. L’année 2006 va illustrer cette dérive et sera à ce titre «exceptionnelle dans l’histoire de l’économie française», indique Thierry Breton en notant que les recettes de l’impôt sur le revenu des Français «seront pratiquement l’équivalent de la charge de la dette de la France». La dette de la France devrait être de l’ordre de 1 100 milliards d’euros en 2006. Les intérêts de cette dette sont d’un peu plus de 50 milliards d’euros, soit le niveau des recettes de l’impôt sur le revenu.
L’euro dans des zones plus acceptables
Pour inverser cette tendance, la recette de «Tony Breton» c’est que les Français doivent «travailler plus tout au long de leur vie». Thierry Breton promet une «gestion plus rigoureuse» des dépenses de l’Etat et annonce le lancement d’une «réflexion» sur la gestion de la dette publique. Toutefois, la «solution» pour s’attaquer véritablement à ce problème, est de faire en sorte «qu’il y ait plus de croissance» en France. Cette croissance repose sur l’activité et le travail.
Tandis que le ministre de l’Economie notait la remontée du prix du baril de pétrole, et le retour de l’euro dans des zones plus acceptables qui permettent aux produits français d’être plus compétitifs à l’exportation, le gouverneur de la Banque de France jugeait de son côté «crucial» que le gouvernement français respecte les règles du Pacte de stabilité et ramène le déficit sous le seuil des 3%. «Il est crucial que, conformément aux engagements qu’il a pris et aux règles du Pacte de stabilité, le gouvernement mette en œuvre les mesures permettant le retour du déficit public sous le seuil de 3% du PIB en 2005», a déclaré Christian Noyer. Le déficit public de la France s’est élevé à 3,6% du PIB en 2004 selon les derniers chiffres publiés par l’Institut national de la statistique.
Une croissance molle dans toute l’Europe
Les économistes estiment qu’un point de croissance en moins entraîne une aggravation des déficits publics d’un demi point. Ils ne croient pas que le gouvernement pourra ramener les déficits sous le seuil des 3% de PIB en 2005 et en 2006.
Ces problèmes de croissance concernent toute la zone euro. Mardi, la Suède (l’un des modèles économiques de l’Europe) a baissé sensiblement son taux directeur qui était déjà à son plus bas niveau historique. «La croissance du Produit intérieur brut a ralenti plus que prévu au début de l’année à la fois en Suède et dans la zone euro », a indiqué la Banque centrale dans un communiqué.
L’euro reste fragilisé sur le marché des changes et était côté mardi 1,2136 dollar. «Les spéculations sur les baisses de taux d’intérêt en Europe et les attentes sur des hausses de taux aux Etats-Unis devraient continuer à soutenir le dollar contre l’euro», indiquait un analyste de Bank of Tokyo Mitsubishi. La monnaie européenne a en effet glissé lundi face à la devise américaine après des rumeurs selon lesquelles la Banque centrale européenne pourrait baisser ses taux étant donné la mollesse de la croissance dans la zone euro. Pour les spécialistes, ces rumeurs sont infondées. Le président de la BCE Jean-Claude Trichet s’est toujours montré le gardien inflexible de la monnaie européenne. Et si d’aventure il changeait de philosophie, l’information serait gardée secrète jusqu’au dernier moment pour préserver son effet sur les autres monnaies.
par Colette Thomas
Article publié le 21/06/2005 Dernière mise à jour le 21/06/2005 à 16:16 TU