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République démocratique du Congo

Recensement sous haute-tension

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Le recensement des électeurs a commencé lundi à Kinshasa dans un climat d’impatience et d’angoisse. Le principal parti d’opposition, l'Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) d’Etienne Tchisekedi appelle au boycott des opérations et projette une marche de protestation. L’UDPS s’oppose à la prolongation de la transition qui devait conduire les Congolais aux urnes le 30 juin prochain et qui vient d’être reconduite pour six mois. De son côté, la Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco) accuse les hommes de la transition de faire passer leur carrière politique avant les attentes des Congolais «confrontés à l’incertitude du lendemain, à l’insécurité grandissante et à la misère intolérable». Pour sauver les élections à venir, l’Eglise exige transparence et rédemption de la transition.


Les grilles du cimetière de Kinshasa, sur lesquelles les sans domicile font sécher leur linge. Le recensement commence dans un pays en proie à l'insécurité et à la misère.
(Photo : AFP)
En quarante-cinq ans d’une indépendance tourmentée, les citoyens Congolais n’ont jamais pu dire leur mot dans des élections pluralistes, libres et transparentes. C’est encore partie remise puisque le rendez-vous du 30 juin est reporté de six mois, sine die voire renvoyé aux calendes grecques, selon le degré d’amertume des Congolais, en dehors du cercle de la transition. Les «entités» politico-militaires ou civiles qui la composent sont en effet manifestement peu pressées d’abandonner les bribes, plus ou moins consistantes, du pouvoir qu’elles se sont péniblement partagé à Sun City en décembre 2002. Pour sa part, l’épiscopat congolais renvoie dos à dos ceux «qui tiennent à une prolongation automatique de la transition, sans bilan ni sanction, et ceux qui exigent la fin de cette même transition, au 30 juin 2005, tout en brandissant la menace du chaos».

La «psychose du 30 juin»

Omniprésente à tous les échelons de la société congolaise, où elle organise, coopte et subventionne un vaste écheveau associatif, l’église catholique ne manque pas pour autant de vision politique. Le tableau qu’elle brosse dans sa lettre ouverte du 22 juin décrit une véritable «psychose du 30 juin». Selon l’épiscopat, cette psychose cristallise la montée explosive de la défiance populaire provoquée par les errements de l’équipage «1+4» (un président, Joseph Kabila, et quatre vice-présidents issus des trois anciennes rébellions et d’une fraction de l’opposition non armée). Chargé de tirer le Congo des ornières de la division, il paraît aux évêques un peu trop occupé à se disputer le pouvoir. «Les institutions de la transition sont devenues des caisses de résonances des familles politiques et un tremplin de la campagne électorale», à leur seul usage, écrivent les ecclésiastiques.

Stigmatisant la «corruption généralisée, le pillage du patrimoine (principalement dans les domaines forestiers et miniers), et le malaise social lié au non-paiement des fonctionnaires, des enseignants et des militaires, à l’inaccessibilité des soins médicaux ou au difficultés de transports», soulignant aussi les vices de forme qui obèrent le Programme national de désarmement, démobilisation et réinsertion (DDR), les évêques congolais demandent aux hommes de la transition de s’expliquer au plus vite sur leur échec, d’en établir les responsabilités et de prendre des sanctions en conséquence. Ils les pressent surtout de fournir un programme et un calendrier précis pour les six mois à venir. Pour l’épiscopat, il est en effet crucial de sauver la transition pour garder une chance d’en arriver aux urnes. Mais cette fois, il propose de la placer sous étroite surveillance. Et pour ce faire, ils offrent leurs services.

Dans le camp de l’opposition, l’UDPS estime que la transition a assez duré. Il menace de soulever la rue le 30 juin pour la défaire. En attendant, «l'UDPS invite le peuple à ne pas souscrire à cette mascarade d’opération d'identification et d'enrôlement des électeurs» engagée lundi par la Commission électorale indépendante (CEI). Celle-ci chiffre les électeurs potentiels autour de 28 millions. La CEI se félicite d’avoir enregistré 11 400 électeurs, ces deux derniers jours, dans les six communes de Kinshasa où elle vient de démarrer les opérations. Mais, après la capitale et les quelque six millions d’habitants de ses quartiers en ruines, le recensement devra se poursuivre en province, dans un immense territoire balkanisé où la vétusté des infrastructures de communication se conjugue avec l’insécurité.

Selon l’Onu, les deux guerres du Congo (1996-1998) auraient fait «3,5 millions de morts», directs et indirects. «Il y a encore 2,4 millions de déplacés dans le pays et 380 000 réfugiés congolais dans les pays limitrophes de la RDC, où 17 millions d'habitants souffrent de malnutrition et 3 millions du Sida». Il faut aussi compter avec les réactions imprévisibles des chefs de guerre ou de bandes armées qui foisonnent. Enfin, à l’instar de l’UDPS, nombre de déçus et de laissés pour compte de la transition ne veulent pas entendre parler de prolongation. Et, aux yeux d’Etienne Tshisekedi, «la CEI s'est révélée le bouclier par excellence du gouvernement» de transition. Ses envoyés ne sont pas les bienvenus.

Tshisekedi veut la mort de la transition

Le président de l’UDPS note que la CEI «n’a réalisé aucune opération préélectorale» tout au long des 24 mois écoulés, comme si le report était décidé d’avance. Dans le détail, il l’accuse de collusion avec certains affairistes, avec l’entreprise choisie pour fournir le matériel informatique par exemple. Tshisekedi dénonce aussi l’échec de la transition au plan politique et sécuritaire, insistant sur la présence étrangère qui perdure, dit-il, à Kinshasa où restent stationnés quantité de soldats angolais ou zimbabwéens et même d’anciens miliciens rwandais. Des renforts de troupes venues du Katanga (la province du cuivre chère au président Kabila) seraient également arrivés récemment dans la capitale. Bref, le sphinx du Kasaî (rival diamantifère du Katanga) accuse Joseph Kabila de se préparer à garder militairement Kinshasa. Plus largement, Tshisekedi menace de ses foudres une transition qui l’a savamment contourné. Au passage, il fustige la «complicité» du Comité international d’accompagnement de la transition (CIAT) (Chine, Etats-Unis, France, Royaume-Uni, Russie, l'Afrique du Sud, Angola, Belgique, Canada, Gabon, Zambie, Union africaine, Union européenne et Mission des Nations unies au Congo).

Pour Etienne Tshisekedi, «l’échec des animateurs actuels de la transition est aussi celui du CIAT». Il appelle les Congolais à célébrer le quarante-cinquième anniversaire de l’indépendance en mettant fin à la transition. Mardi, dans son fief de Mbuji-Mayi, la métropole du Kasaï, des étudiants se sont affrontés à des renforts policiers cantonnés dans l’école où ils avaient l’habitude de réviser leurs examens. Le mois dernier, une bataille rangée entre militants de l’UDPS et police «nationale» avaient fait deux morts à Mbuji-Mayi. La tension est très vive à la veille du 30 juin, journée de frustration électorale.


par Monique  Mas

Article publié le 23/06/2005 Dernière mise à jour le 23/06/2005 à 18:13 TU