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Politique française

La malédiction de Bercy

Le ministre français de l'Economie et des finances, Thierry Breton, le 21 juin 2005 à Bercy.(Photo: AFP)
Le ministre français de l'Economie et des finances, Thierry Breton, le 21 juin 2005 à Bercy.
(Photo: AFP)
Thierry Breton a pris la tête du ministère de l’Economie et des Finances après la démission d’Hervé Gaymard. Cette fois, l’un des ministres les plus importants du gouvernement est concerné par deux affaires judiciaires ayant à voir avec son passé dans le monde de l’entreprise.

Quatre mois seulement après sa nomination à Bercy, Thierry Breton entraîne à nouveau dans la tourmente le ministère de l’Economie et des Finances. Thierry Breton a succédé en février dernier à Hervé Gaymard, obligé de quitter ses fonctions après les révélations concernant son train de vie. Après plusieurs années à la tête du ministère de l’Agriculture, l’arrivée du jeune chiraquien dans l’un des ministères français les plus prestigieux lui donne la folie des grandeurs. Au moment où le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin demande aux Français de faire des économies, Hervé Gaymard choisit comme appartement de fonctionnement un luxueux duplex de 600 mètres carrés, expliquant, lorsque la presse révèle le prix du loyer et la surface du logement, qu’il n’a rien pour se loger à Paris ce qui, par la suite, se révèle faux.

Huit ministres de l’Economie en dix ans

Il y a quatre mois, Thierry Breton prend donc la suite d’Hervé Gaymard, passe à travers le remaniement ministériel de l’après-référendum et garde son super-ministère, économie, finances et industrie. Sera-t-il plus stable que les précédents tenants du titre ? En tout cas, avant lui, depuis l’élection de Jacques Chirac à la présidence en 1995, le poste a déjà été occupé par huit ministres, dont cinq ont été obligés de démissionner. Des successions rapides mal comprises en France et à l’étranger à un poste gouvernemental réputé stratégique.

C’est au moment où il arrive à New York pour prononcer un discours aux Nations unies sur le financement des pays pauvres que le ministre de l’Economie et des Finances apprend la perquisition de son bureau de Bercy. C’est une première dans l’histoire de la cinquième République.

Les juges et les policiers qui perquisitionnent le bureau du ministre de l’Economie effectuent des enquêtes sur deux affaires qui concernent le passé professionnel de Thierry Breton. Son nom, mais ce n’est pas le seul,  est cité dans l’enquête sur la société Rhodia. Une présentation inexacte des comptes de ce groupe chimique aurait été faite entre 1999 et 2002. A l’époque, Thierry Breton faisait partie des administrateurs de cette société française. «Je n’étais qu’un des dix administrateurs, dont les plus grands noms de la finance et de la chimie» explique le ministre pour se défendre.

Des personnalités comme Jean-René Fourtou, à l’époque PDG de Rhône-Poulenc, la maison-mère de Rhodia, Igor Landau PDG d’Aventis, née d’une nouvelle répartition des activités chimie et pharmacie au moment de la fusion avec Hoechst, ou Pierre-Gilles de Gennes, prix Nobel de physique, faisaient eux aussi partie de ce conseil d’administration de Rhodia. Thierry Breton assure également que le comité d’audit de ce conseil d’administration, qu’il a présidé entre 1998 et 2002, n’a «aucune existence juridique et n’est là que pour préparer le travail en amont».

Un financier à l’origine de l’affaire

Hughes de Lasteyrie, l’un des actionnaires de Rhodia et qui a porté plainte, conteste ce point. Il estime que «les membres du comité d’audit avaient une responsabilité particulière» dans le contrôle du groupe. Ce financier, qui est à l’origine de l’affaire, est convaincu d’avoir été dupé par les anciens administrateurs de Rhodia, dont Thierry Breton faisait partie. La spécialité de ce banquier, c’est de repérer les sociétés sous-cotées pour y investir et de proposer ensuite à leurs dirigeants de changer de stratégie pour faire repartir les actions à la hausse.

Cette politique d’achat pousse Hughes de Lasteyrie à investir dans Rhodia fin 2001. Il est persuadé que Rhodia est sous-évaluée. Le titre vaut à l’époque environ 10 euros. Quatre ans après, l’action vaut quasiment dix fois moins. Le financier, qui possède encore 0,8% de Rhodia évalue ses pertes à 40 millions d’euros. Il est convaincu d’avoir été «trompé» sur la réalité des comptes de l’entreprise : «Rhodia a été volé par sa maison-mère. C’est la plus grande escroquerie d’une société privée cotée en France». Le banquier dénonce entre autres «une politique systématique de dissimulation et de manipulation de l’information sur la situation de Rhodia mise en place semestre après semestre par la direction générale à partir du 30 juin 2000». Accusé par l’un de ses détracteurs d’être «un raider implacable qui a joué et perdu sur Rhodia», le financier se défend. Il ne cherche qu’à récupérer sa mise. Edouard Stern, le banquier français assassiné en février dernier en Suisse, avait lui aussi porté plainte dans cette affaire.

Informations fausses, ou pas

La justice cherche donc à établir si les dirigeants de Rhodia ont diffusé des informations « fausses ou mensongères » sur le groupe chimique entre 1999 et 2003. L’autorité des marchés financiers a pour sa part conclu à des irrégularités comptables entre 2000 et 2003 dans les bilans de l’entreprise.

L’autre enquête dans laquelle Thierry Breton est impliqué est la vente, en 2002, d’une filiale de Vivendi Universal (VU) à Thomson Multimédia, dont le ministre de l’Economie était à l’époque le PDG. Et si les juges se sont d’abord intéressés à Rhodia, ils ont ensuite fait des perquisitions au siège de Thomson et à celui de Canal + Technologies.

Des hommes d’affaires qui se connaissent bien

Jean-René Fourtou a quitté Rhône-Poulenc pour devenir président de Vivendi Universal (il est aujourd’hui président du conseil de surveillance). Vivendi va mal. En 2002, le PDG vend cette filiale Canal + Technologies à Thomson Multimédia. Les cadres de l’entreprise qui détiennent des stocks options estiment que le prix de la société est bradé. Une fois propriétaire de Canal + Technologies, la direction de Thomson démantèle cette filiale et la revend par morceaux, ce qui permet d’améliorer les comptes du groupe. Là encore, c’est Edouard Stern qui avait déposé plainte. Thierry Breton indique qu’il était sur le départ lorsque la transaction a eu lieu.

Les juges d’instruction qui suivent cette affaire connaissent bien Vivendi puisque ce sont eux qui ont mis en examen Jean-Marie Messier, l’ancien patron du groupe. Délit d’initiés, diffusion de fausses informations, «golden parachute», Messier avait finalement été rattrapé par la justice. Quant à Thierry Breton, il dénonce «une manipulation invraisemblable qui donne la nausée». A l’Elysée comme à Matignon, on préfère certainement le croire.


par Colette  Thomas

Article publié le 30/06/2005 Dernière mise à jour le 30/06/2005 à 17:14 TU