Génocide rwandais
L’introuvable Monsieur Kabuga
Photo Monique Mas
De notre correspondant à Arusha
C’est un scénario digne d’un film policier: d’un coté, quatre procureurs successifs, des dizaines d’enquêteurs, dont quelques-uns venus du prestigieux FBI, la police fédérale américaine ; et de l’autre, un homme, sorte de parrain de la mafia, manifestement couvert au plus haut niveau par quelques dictatures tropicales, bénéficiant également de soutiens en Occident et bien sur d’argent, fruit de trafics divers, plus ou moins respectables. Bientôt dix ans que dure la cavale du parrain, poursuivi – en vain jusque-là – par des limiers décidément pas très fins. L’homme est pourtant recherché par une instance judiciaire internationale dotée de grands pouvoirs, mais c’est littéralement au nez et à la barbe de tous que Félicien Kabuga, inculpé par le TPIR pour sa participation active au Génocide rwandais, poursuit sa vie… d’homme d’affaires.
Il y a quelques jours en effet, le quotidien Kenyan The Nation, citant des sources policières signalait que le suspect le plus recherché du Génocide rwandais possède un palace dans le pays, d’où il continue de «gérer quelques affaires» tout en «finançant par ailleurs une église», poursuit le journal. Le détail ne manque pas de piquant pour un homme recherché pour le massacre de centaines de milliers de personnes. D’autres sources le disent réfugié «quelque part en République Démocratique du Congo, entouré d’une milice à sa solde». Là-bas ou ailleurs, le fait est que son arrestation s’avère impossible, en dépit des efforts déployés.
Cinq millions de dollars pour sa captureEn juin 1997 déjà à Nairobi, un énorme coup de filet permet l’arrestation de quelques-uns des suspects majeurs du Génocide rwandais. Parmi eux on compte Jean Kambanda, l’ancien Premier ministre, condamné à la prison à vie un an plus tard. Félicien Kabuga, qui devait alors être arrêté en même temps que ce groupe, réussit à s’échapper. Un policier kenyan l’avait prévenu, apprendra-t-on ensuite. Les enquêteurs du TPIR et ceux de l’ONG International Crisis Group sont, quant à eux, formels : Kabuga est à l’époque protégé par le président kenyan Daniel Arap Moi. Il habite une de ses villas à Nairobi et voyage avec un passeport kenyan. En 2000, il se serait même rendu en Belgique où vit son épouse.
En 2002, dans le cadre d’un programme spécial destiné à faire arrêter les suspects poursuivis par la justice - programme dénommé «reward for justice» - l’administration américaine inscrit le nom de Félicien Kabuga dans sa liste. Cinq millions de dollars sont promis à qui aiderait à sa capture. Dans le même temps, les Américains mettent la pression sur les autorités kenyanes, qu’ils accusent publiquement de protéger Kabuga. Une accusation assortie de menaces. L’arrestation de Kabuga semble alors plus proche que jamais. D’autant que des enquêteurs kenyans, épaulés par ceux du FBI, ont réussi à infiltrer l’entourage du «financier du génocide». Mais en ce mois de janvier 2003, Kabuga échappe une fois encore à ceux qui le recherchent. Le 17 janvier, le policier kenyan qui avait réussi à infiltrer son entourage est mystérieusement assassiné, manifestement par les hommes de Kabuga.
Depuis lors, à défaut de l’arrêter, «on s’est contenté de le localiser», indique une source au TPIR. Une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU votée en août 2003 rappelle aux Etats la nécessité de collaborer à son arrestation. Mais rien n’y fait. Certes, des enquêteurs du TPIR continuent de travailler sur le «cas» Kabuga. Ces dernières semaines, si l’on en croit le quotidien The Nation, ils se sont rendus dans la région de la vallée du Rift, à l’ouest du Kenya, où Kabuga séjournerait ou même serait installé.
Proche de l’ancien président du Rwanda Juvénal Habyarimana – une de ses filles a épousé un fils de l’ancien président – Félicien Kabuga est recherché pour avoir grandement financé des achats d’armes blanches ayant servi aux tueurs lors des massacres. Au cours des mois précédents le génocide, l’homme d’affaires a acheté pour plus d’un demi million de dollars de machettes notamment. Il fut également le principal actionnaire et président de la Radio Télévision libre des Mille Collines, de triste mémoire. Lors du génocide, la RTLM ne se contentait pas seulement d’appeler aux massacres, elle donnait également avec un luxe de détails des renseignements sur les personnes à massacrer et les lieux où elles se trouvaient. Le directeur de la RTLM, Ferdinand Nahimana, a d’ailleurs déjà été condamné, en décembre 2003, par le TPIR. Kabuga est également accusé d’avoir pris part, avec d’autres, à la préparation et à la mise en œuvre du projet génocidaire. A ces divers titres et surtout par son profil de grand argentier, il fait partie – aux cotés des militaires, des politiques et autres fonctionnaires de l’Etat rwandais jugés devant le TPIR – des «grands architectes présumés» du drame rwandais d’il y a dix ans. Un «architecte» pour l’heure introuvable et qui, à 70 ans, pourrait même définitivement échapper à la justice.
par André-Michel Essoungou
Article publié le 10/07/2005 Dernière mise à jour le 10/07/2005 à 15:15 TU