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République démocratique du Congo

La Monuc impuissante au Kivu

Selon des témoignages rapportés par la Monuc (mission des Nations unies au Congo), le massacre aurait été organisé par les rebelles rwandais.(Photo: AFP)
Selon des témoignages rapportés par la Monuc (mission des Nations unies au Congo), le massacre aurait été organisé par les rebelles rwandais.
(Photo: AFP)

Au moins une trentaine de femmes et d’enfants ont été brûlés vifs dans leurs cases et une cinquantaine de villageois ont été blessés dans la nuit de samedi à dimanche, lors de l’attaque de la localité de Ntulumamba, à environ 70 km au nord-ouest de Bukavu, le chef-lieu du Sud-Kivu. Des survivants imputent ce massacre aux rebelles des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) qui démentent et accusent des déserteurs de leurs rangs connus sous l’étiquette «Rasta». Selon des témoignages rapportés par la Mission des Nations unies au Congo (Monuc), le massacre aurait été organisé par les rebelles rwandais «en représailles à une récente offensive de l'armée congolaise» dans le secteur voisin du parc national de la Kahuzi-Biega. Plus largement, il viserait à dissuader les civils de collaborer avec la Monuc.


Les comptes n’en finissent pas de se régler dans l’Est congolais où, dans les deux Kivu comme dans l’Ituri, milices tribales maï-maï, armée nationale composite, rebelles rwandais et bandits de tous poils se disputent chaque pouce de territoire par civils interposés. Le massacre de Ntulumamba n’était pas encore parvenu aux oreilles internationales que plus d’un millier de combattants maï-maï attaquaient trois villages du Rutshuru, au Nord-Kivu, lundi matin. L’assaut a été si rude que l’armée «nationale» congolaise a dû battre retraite, sans compter les victimes. Le 23 mai, au Sud-Kivu, aux environs de Ntulumamba, déjà, 19 civils au moins étaient tombés sous des machettes mal identifiées, dans la collectivité de Nindja. Au total, les Congolais continuent de mourir de mille morts et de souffrir d’infinies exactions, pour peu qu’ils croisent un quelconque groupe armé en quête de butin ou de vengeance. Les armes proliférant, c’est devenu leur quotidien. Et même renvoyée à l’année prochaine, la perspective d’une hypothétique normalisation congolaise suffit à agiter les esprits de ceux qui se nourrissent de la guerre, en particulier les rebelles rwandais acculés par le crime de génocide dans lequel certains ont trempé en 1994.

«Le plongeon du faucon»

«Essayez donc maintenant d’appeler au secours vos amis de la Monuc !» auraient ricané les tueurs, devant le brasier de Ntulumamba, au cœur de la zone où 1 500 casques bleus se sont déployés le 4 juillet. La Monuc s’était alors félicitée haut et fort de cette opération de sécurisation des populations baptisée «iron fist» (poigne de fer), la plus vaste depuis son entrée en scène au Congo où les rebelles rwandais restent sourds à ses offres de désarmement volontaire. Quelques jours plus tôt, pour préparer ce déploiement, la Monuc avait mobilisé 400 hommes dans une «vaste démonstration de force et de contrôle de zone» héliportée, «falcon sweep» (le plongeon du faucon), pour «déloger les groupes armés qui sèment la terreur dans plusieurs territoires toujours occupés par les groupes de combattants hutu rwandais du nord et du sud-est de Bukavu». Avec leur mandat inscrit au chapitre VII, les casques bleus sont autorisés à «faire usage de la force en cas de résistance des groupes armés rencontrés». Mais ils ne sont pas au Congo pour faire la guerre et les rebelles évitent bien évidemment le contact militaire. A Ntulumamba, ils ont montré qu’ils se moquaient cruellement des manœuvres de dissuasion onusiennes.

Depuis leur fuite du Rwanda, avec armes, bagages, femmes et enfants, les miliciens (interahamwe) et les soldats (Forces armées rwandaises, Far) de l’ancien régime rwandais se sont incrustés dans l’Est congolais, les uns faisant souche dans les villages, les autres transmettant leur rêve de revanche militaire à leurs fils. En onze longues années de campagnes sous le couvert forestier du Kivu, les derniers carrés d’irréductibles (de 8 000 à 15 000 hommes selon les sources) se sont éparpillés au quatre coins de la région en une nébuleuse aux alliances volatiles (avec le régime Kabila ou les maï maï, ou même comme agents d’infiltration de Kigali). Désertions et guerres intestines n’ont pas manqué non plus. Kigali est parvenu à ramener au pays nombre d’entre eux et les FDLR, par exemple, ont dû changer de chefs plusieurs fois. Le 31 mars dernier, à l’issue de discussions organisées par la communauté Sant’Egidio, les FDLR avaient annoncé qu’ils renonceraient à la lutte armée en échange de négociations politique «inclusives» avec Kigali. Mais le Rwanda ne les prend plus au sérieux au plan militaire et ne veut pas en entendre parler au plan politique.

Fin juin, une nouvelle scission au sein des FDLR oppose désormais la branche «historique» dirigée par Ignace Murwanashyaka à un groupe de jeunes combattants basés dans le Sud-Kivu, justement. Certains se réclament du groupe Kiyombe, les fameux Rasta incriminés par les FDLR à Ntulumamba. Dans le Nord-Kivu sévit toujours l’Armée de libération du Rwanda (Alir), implantée dans le Masisi et organisée par des ex-Far qui ont tenté des offensives en 1997-1998 et en 2000 dans le nord-ouest du Rwanda. Ce sont eux qui ont créé le FDLR en mai 2000. Les nouveaux dignitaires du mouvement tiennent à le faire oublier. Et, de fait, les FDLR ont muté avec la reddition en novembre 2003, de leur chef de guerre, le général Paul Rwarakabije comme avec la scission de septembre 2004. celle-ci a vu la direction politique des FDLR lâchée par des ressortissants du nord du Rwanda. Ces derniers répondent désormais à un Ralliement des Forces démocratiques de libération du Rwanda (R-FDLR). Dans l’intervalle, chaque désertion a été méticuleusement organisée avec Kigali qui tient prêt tout un dispositif frontalier destiné à les faciliter. Mais de scissions en ralliements, le sang a coulé.

Corruption et trafic d'armes

Le 7 juillet dernier, le Sud-Kivu a été le théâtre d’un bataille rangée entre un général et un colonel rebelles se disputant l’autorité sur les troupes du FDLR. Le courant ne passe plus entre ceux qui redoutent d’avoir à s’expliquer sur leurs actes de 1994 et les plus jeunes qui veulent croire à un rapatriement négocié. L’annonce par Kinshasa d’un «désarmement forcé» accroît les tensions. De nombreux rebelles rwandais se sentent le dos au mur. Certains Congolais estiment de leur côté qu’ils sont mieux armés un fusil à l’épaule, pour défendre leur sécurité physique et alimentaire. Les uns et les autres font parfois cause commune, le temps d’un raid de ravitaillement ou pour défendre un fief. En face, l’armée congolaise en cours de réunification peine à s’imposer. La semaine passée des troupes sans soldes se sont mutinées à Mbandaka, dans l’Equateur, au Nord-Ouest. Là-aussi, les civils ont payé un tribut de sang dans le pillage de la ville. «Il est absolument inadmissible que des sommes énormes (environ 8 millions de dollars) sortent chaque mois des caisses de l'Etat et soient destinées à des soldats fantômes et détournées», s’était alors indignée la Monuc.

Début juillet, un rapport d’ Amnesty international établissait que des «vendeurs d'armes, des intermédiaires et des entreprises de transport de nombreux pays, notamment l'Albanie, la Bosnie-Herzégovine, la Croatie, la république tchèque, Israël, la Russie, la Serbie, l'Afrique du Sud, le Royaume-Uni et les Etats-Unis» composaient la filière d’un négoce qui aboutit dans l’Est congolais, prodigue en or, diamant, bois et autres précieuses ressources naturelles. Dans cette filière, selon Amnesty, «les gouvernements de la RDC, du Rwanda et d’Ouganda» tiennent lieu de semi-grossistes auprès des «groupes armés et des milices de l'est de la RDC, qui sont impliqués dans des atrocités, qui relèvent des crimes de guerre et des crimes contre l'Humanité». Dans ces conditions, la Monuc ne peut guère faire mieux que compter les morts. Et, comme le souligne Amnesty, «le processus de paix fragile va s'effondrer».


par Monique  Mas

Article publié le 12/07/2005 Dernière mise à jour le 12/07/2005 à 17:39 TU