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Pakistan

Dans les madrasas de Lahore

Etudiants récitant le Coran dans la madrasa Muridke de Lahore (Pakistan).(Photo: Véronique de Viguerie)
Etudiants récitant le Coran dans la madrasa Muridke de Lahore (Pakistan).
(Photo: Véronique de Viguerie)
Lahore, c’est la capitale culturelle du Pakistan et la capitale du Penjab, la région la plus peuplée du pays. Depuis quelques jours, la ville est au centre de l’enquête pakistanaise des attentats londoniens. Trois des quatre kamikazes de Londres seraient passés par l’une des nombreuses écoles coraniques de la ville, Muridke. Enquête au cœur de ces madrasas, où un jeune Français étudie le Coran.

De notre envoyé spécial à Lahore

«L’enseignement est gratuit. Nous recevons toute personne qui souhaite perfectionner ses connaissances du Coran. Nous prêchons l’islam vrai ici», affirme Rachid Menhaf, l’administrateur de la madrasa de Muridke, une école coranique par laquelle seraient passés au moins trois des quatre kamikazes qui se sont fait exploser dans le métro londonien. Qu’ont-ils pu bien trouver dans cette école coranique, entre décembre 2004 et février 2005 ?

Rachid Menhaf nie les avoir rencontrés. Et pourtant, l’école, située à quinze kilomètres au nord de Lahore, a une réputation sulfureuse : jusqu’en 2002, elle formait des candidats à la guerre sainte, envoyés ensuite dans le Cachemire indien, en Israël ou en Afghanistan. Des centaines de pakistanais et d’étrangers sont ainsi partis se battre. Selon le responsable de la commission pakistanaise des droits de l’Homme, «la madrasa est désormais plus discrète, les camps d’entraînement ont été déplacés. Les autorités sont désormais un allié sérieux des Américains dans la lutte contre le terrorisme, mais les extrémistes continuent leurs activités, plus secrètement.»

Muridke se trouve au bout d’une petite route. La madrasa n’est pas indiquée. A l’entrée, une dizaine de barbus en shawar kamiz, la tenue traditionnelle. Les négociations prennent un long moment, puis l’administrateur nous montre son école, après nous avoir fait visiter le dispensaire, qui procure évidemment des soins gratuitement. «C’est l’avantage des dix à douze mille madrasas dans le pays, proposer un enseignement gratuit», confie un expert français, avant d’ajouter : «il est grand temps que le gouvernement fasse le ménage dans ces écoles ouvertes au temps du jihad afghan contre les Soviétiques. Désormais, les autorités pakistanaises en paient le prix fort.» De beaux bâtiments, des terrains de sport, une grande piscine, on se croirait presque dans un camp de vacances. Les financements viennent essentiellement des Pakistanais de l’étranger. Près d’un million d’entre eux vivent en Grande-Bretagne. Un paradoxe. Mais l’argent vient également de France et d’ailleurs en Europe.

Il nous est interdit de faire des photos ainsi que de s’adresser aux étudiants, dont certains assis les uns contre les autres récitent le Coran. D’autres marchent dans le parc de la madrasa. L’école a la réputation d’accueillir chaque année quelques étrangers, envoyés par la filière d’une association caritative dirigée par Rachid Menhaf, Jamaat-ud-Dawa, réputée proche du groupe extrémiste pakistanais Lashkar-e-Taiba. Le numéro de juin de la publication éditée par cette ONG est à ce titre édifiant. En couverture, des produits contraceptifs barrés d’une croix, avec pour légende : ne prenez pas la pilule, c’est un moyen de l’Occident pour réduire le nombre de musulman dans le monde. A l’intérieur, des appels au jihad et le récit des kamikazes à travers le monde, notamment dans le Cachemire indien, en Israël et en Irak. « Avec les interventions américaines en Afghanistan et en Irak, nous avons toujours besoin de combattants », lâche soudain Rachid Menhaf, avant de se reprendre : « enfin, de bons musulmans ».

Autre lieu, autre rencontre. L’école coranique Jamia Ashrafia se trouve dans le centre de Lahore et là, une surprise, nous rencontrons un Français d’origine pakistanaise qui étudie le Coran depuis plus d’un an. « J’ai laissé ma femme et mes trois filles dans la banlieue de Paris et je suis venu m’installer dans cette école. Les études durent quatre ans. Ce qui m’intéressait ici, c’était entendre la vraie voix du Prophète », raconte-t-il. Mohammad Taher a de longs cheveux fins, des petites lunettes et une longue barbe. Sa voix est douce lorsqu’il raconte comment se déroulent ses journées : «Les cours commencent à 6h30 et durent jusqu’à midi. Ensuite, on se repose un peu dans nos chambres, avant de réviser. Toute la vie est organisée autour du Coran», avant d’ajouter : «avant, j’écoutais de la musique, notamment du hard rock. Je suis en train de voir dans mes lectures si je peux encore en écouter.» Quand on lui demande ce qu’il pense de ces jeunes, qui sont passés par cette école dans les années 1980-1990, avant de partir se battre en Afghanistan ou ailleurs, il répond : «Les temps ont changé, c’est vrai. Mais auparavant, ça n’avait rien de mal de partir ainsi aider un pays occupé». Il s’intéresse aux Taliban afghans, se demande si les médias n’ont pas un peu exagéré, sait bien que ces gens-là étaient finalement peut-être des illettrés. «C’est sûrement ça qui les a perdus», dit-il. De son côté, le mollah qui dirige Jamia Ashrafia et dispense l’enseignement affirme que commettre des actions contre les Américains en Irak ou en Afghanistan, ça n’est pas du terrorisme. En disant ça, il feuillette la revue de l’ONG Jamaat-ud-Dawa, celle qui prône la guerre sainte.


par Eric  de Lavarène

Article publié le 19/07/2005 Dernière mise à jour le 19/07/2005 à 17:08 TU

Audio

Eric de Lavarène

Envoyé spécial de RFI à Lahore

«Les forces de sécurité ont reçu l’ordre de détruire toutes les publications qui prônent la guerre sainte.»

Sophie Malibeaux

Journaliste à RFI

«Tout en professant une coopération pleine et entière [avec les autorités britanniques dans la lutte contre le terrorisme], on perçoit tout de même une tendance à minimiser le rôle du Pakistan dans ces affaires.»

Bernard d'Hellencourt

Professeur de civilisation britannique à Paris III

«Ces jeunes sont convaincus que le sort réservé à leurs parents et à eux-mêmes est inacceptable.»

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