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Hara-kiri politique pour Koizumi ?

Un postier de Tokyo. Cette corporation, dont le nombre s'élève à 271 000, a un grand poids politique et social au Japon.(Photo: AFP)
Un postier de Tokyo. Cette corporation, dont le nombre s'élève à 271 000, a un grand poids politique et social au Japon.
(Photo: AFP)
Le parti au pouvoir au Japon a refusé d’adopter la réforme de la Poste. Du coup le Premier ministre a dissous la Chambre des députés. Depuis, la côte de popularité de Junichiro Koizumi reste pourtant élevée. Et la Bourse de Tokyo s’envole. Des tendances un peu contradictoires car Junichiro Koizumi pourrait bien imposer cette réforme si son parti l’emporte à nouveau en septembre.

Un sondage réalisé ce jeudi pour le quotidien économique Nihon Keizai Shimbun le confirme : Junichiro Koizumi  est populaire. Quarante-sept pour cent des Japonais interrogés ont une opinion favorable de leur Premier ministre sortant ; une augmentation de quatre points par rapport à un sondage de juillet. Entre ces deux sondages, Junichiro Koizumi a pourtant reculé sur la réforme de la Poste. Les députés de son parti n’ont pas voulu l’adopter. Du coup, le Premier ministre a pris un risque politique, il a dissous «sa» Chambre des députés. Comme la réforme semble enterrée, les Japonais pourraient se détourner de Koizumi, vaincu. Apparemment, il n’en est rien.

Les Japonais semblent conserver une opinion favorable à l’égard de leur Premier ministre sortant, même s’ils redoutaient que l’on touche à ce qu’ils considèrent comme une véritable institution. Pourtant, si Koizumi gagne les élections législatives du 11 septembre prochain, il pourrait bien ressortir sa réforme des cartons.

«Entendre clairement la voix du peuple»

Au Japon, certains analystes économiques se demandent d’ailleurs si le Premier ministre veut réellement gagner les prochaines élections législatives. L’un d’entre eux, qui connaît bien la réforme de la Poste en projet, explique que «en réalité Junichiro Koizumi veut perdre la bataille, car cela sert ses intérêts à long terme». Au moment de la dissolution, le Premier ministre pour sa part a déclaré : «Il est regrettable que les projets de loi aient été rejetés par le Parlement. Mais je voudrais entendre clairement la voix du peuple. Je voudrais savoir s’il est pour ou contre la privatisation. C’est pourquoi j’ai choisi de dissoudre».

Les députés lui ont dit non, les Japonais semblent lui dire oui dans les sondages. Ce projet, en tout cas, n’était pas une surprise, ni pour le peuple japonais, ni pour la classe politique. Dès son arrivée au pouvoir en 2001, Junichiro Koizumi avait présenté la privatisation de la Poste comme la pièce maîtresse de son programme de réformes économiques.

A partir de 2007, la Poste japonaise devait être partagée en quatre secteurs : épargne, assurance-vie, courrier, et administration du réseau de distributeurs. Le tout aurait été supervisé par l’Etat avec cession progressive au secteur privé. La fin du processus de privatisation était prévue pour 2017.

Les banques intéressées par cette épargne

Cette réforme avait pour but de faire passer au secteur privé une grande partie de l’épargne actuellement déposée sur des comptes de la Poste, faiblement rémunérés. Aujourd’hui, avec ces dépôts, la Poste japonaise est la première institution financière mondiale. Dans le secteur de l’épargne et de l’assurance-vie, elle gère 350 000 milliards de yens, soit 2 550 milliards d’euros. Cette somme représente 30% de la totalité de l’épargne japonaise. Les quatre principales banques japonaises ont ensemble en dépôt des sommes à peine supérieures. Le secteur bancaire souhaiterait avoir accès «à la cassette» de la Poste. Les milieux financiers américains, eux aussi, réclament le passage au privé de l’épargne japonaise conservée par une institution publique.

La privatisation de la Poste est une réforme impopulaire. Avant la dissolution, dans les sondages,  72% des personnes interrogées se déclaraient contre la réforme. Bien sûr il était prévu que le courrier reste géré par l’Etat mais la population redoute la fermeture de bureaux de poste dans des régions reculées. Et comme 85% des foyers japonais sont titulaires d’un livret d’épargne de la Poste, leur réticence a été entendue par les hommes politiques. Ces clients de la Poste ont également à disposition un réseau de 25 000 agences qui pourrait souffrir de restructurations.

Le rôle politico-social des postiers

La corporation des postiers (ils sont 271 000) a un grand poids politique et social au Japon. Que ce soit au guichet de la poste ou par le biais des facteurs, ces fonctionnaires sont constamment en contact avec toute la population. Traditionnellement, les postiers représentent aussi une force de frappe pour le parti de Koizumi. Ils ont l’habitude de voter pour ce parti conservateur, le Parti libéral démocrate (PLD), au pouvoir depuis plusieurs décennies. C’est peut-être pour préserver cet électorat que plusieurs sénateurs du PLD ont fait défection au moment du vote des lois nécessaires à la réforme. En tout, 280 000 fonctionnaires peuvent également redouter des restructurations et le passage au privé de certaines activités. La Poste est l’un des premiers employeurs japonais.

L’argent déposé à la Poste par les particuliers finance de nombreux organismes publics et parapublics déficitaires. Junichiro Koizumi voulait mettre de l’ordre dans cet univers dans lequel la chaîne de télévision publique NHK ou l’agence de construction des autoroutes trouvent des fonds. Le Premier ministre japonais espérait que la privatisation rationalise l’utilisation de cet argent et l’oriente vers des investissements plus rentables.

Le lâchage de certains sénateurs

Désavoué au Sénat par plusieurs représentants de son propre parti pour la privatisation de la Poste, Junichiro Koizumi a déjà lancé en 2002 une réforme du secteur bancaire. Les spécialistes estiment que cette réforme-là va permettre aux banques japonaises,  qui sont en train de sortir d’une période de créances douteuses, de revenir dans la finance mondiale et de devenir rentables. Cette réussite était un argument pour privatiser deux branches financières de la Poste. Pour le moment, c’est l’impasse.

« Nous ne présenterons pas de députés qui se sont opposés » à la réforme de la Poste, a déclaré Junichiro Koizumi. La moitié des 250 députés du PLD pourraient donc perdre leur siège, estime l’un des leaders du parti. Avec la dissolution, le défi du Premier ministre sortant pourrait bien changer le paysage politique du Japon.     

par Colette  Thomas

Article publié le 11/08/2005 Dernière mise à jour le 11/08/2005 à 17:01 TU

Audio

Frédéric Charles

Correspondant RFI à Tokyo

«La Poste nippone est la plus grande caisse d'épargne au monde.»

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