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Burundi

Plébiscite pour Nkurunziza

L'ancien rebelle Pierre Nkurunziza a obtenu, dès le premier tour, 94% des suffrages exprimés par les parlementaires et devient donc le nouveau président du Burundi.(Photo: AFP)
L'ancien rebelle Pierre Nkurunziza a obtenu, dès le premier tour, 94% des suffrages exprimés par les parlementaires et devient donc le nouveau président du Burundi.
(Photo: AFP)
Sans surprise après la victoire de son parti (CNDD-FDD) aux élections législatives du mois dernier, l’ancien opposant armé Pierre Nkurunziza a été élu vendredi, au suffrage indirect, à la présidence du pays. M. Nkurunziza a été élu dés le premier tour avec 151 voix pour, 9 contre, une abstention et un bulletin nul. Quatre des 166 parlementaires n’étaient pas présents lors du vote.
De notre correspondant dans la région

A quelques mois près, Pierre Nkurunziza a l’âge du Burundi indépendant. Il est né le 18 décembre 1963 à Bujumbura, la capitale, dont les murs bordent les eaux profondes et étroites du lac Tanganyika et au-delà l’immensité verte de la République démocratique du Congo. Celui qui va diriger la destinée du pays pour les cinq ans à venir a abondamment partagé les souffrances de la majorité Hutu - estimée à environ 85% de la population – face à l’hégémonie Tutsi, au pouvoir, de mémoire d’homme, depuis la nuit des temps. Pourtant, Pierre Nkurunziza, tout en étant Hutu, a grandi dans les allées du pouvoir. Son père, après avoir été élu député dans l’euphorie de l’indépendance, était devenu gouverneur dans les soyeuses collines de Ngozi. C’est là que Pierre Nkurunziza a passé son enfance. En 1972, la minorité Tutsi, voyant son hégémonie menacée, a tenté de massacrer tous les Hutu sachant lire et écrire. Le père de Pierre Nkurunziza est assassiné parmi des dizaines de milliers d’autres. «C’était un génocide», dénonce-t-il.

C’est donc orphelin non seulement de son père mais de tout un peuple que l’enfant, prématurément grandi, se rend à Kitenga poursuivre des études secondaires. Au Burundi, comme dans la plupart des pays d’Afrique, les études secondaires sont un privilège qu’il assume brillamment. Il intègre l’université de Bujumbura où il obtient en 1990 un diplôme d’éducation et de sport. «J’étais le meilleur élève», souligne-t-il dans un entretien accordé à l’agence d’information des Nations unies. Son cursus universitaire l’amène à enseigner d’abord au lycée de Muramya, puis à l’université du Burundi, ainsi qu’au prestigieux collège militaire, l’ISCAM. C’est donc bien intégré dans la société qu’il devient un homme. Les Tutsi, par leur grande taille, privilégient le basket, lui, aime le football :  «Je joue dans les positions d’attaquant. Je suis un buteur, alors je préfère jouer sous le numéro 9 ou 10», confie-t-il.

L’impunité, une infection non traitée sur une plaie béante

Dans la foulée du discours de la Baule, en 1990, au cours duquel le président français François Mitterrand fait l’éloge de la démocratie – «le souffle de la démocratie fera le tour de la planète» -  des élections générales vont bouleverser le paysage politique burundais. Pour la première fois dans l’histoire du pays, en 1993, les Hutu, sous la bannière du Front pour la démocratie au Burundi (Frodebu), sont projetés au pouvoir. Melchior Ndadaye est élu président dès le premier tour à la majorité absolue. Le président Buyoya, un Tutsi, se retire élégamment. Mais l’armée, majoritairement Tutsi depuis les «événements» de 1972, ne l’entend pas ainsi et assassine, quatre mois plus tard, le jeune et charismatique président Hutu. C’est la guerre civile. Les sympathisants du Frodebu installent des barricades. Des civils Tutsi sont pris pour cible. La répression de l’armée est terrible. Pierre Nkurunziza perd deux frères en 1993. Il en perdra encore trois autres durant la guerre. Mais lui-même, protégé par son ascendant social et l’Université où il travaille, n’est pas immédiatement menacé. Il se marie un an plus tard. De cette union naîtra deux enfants. Pourtant, la guerre fait rage. En 1995, les victimes se chiffrent déjà par dizaines de milliers, surtout des femmes et des enfants. Elles atteindront le chiffre estimatif de 300 000, huit ans plus tard. Les responsabilités sont partagées mais la justice n’a jamais été faite, ni sur les crimes commis par l’armée, ni sur ceux du CNDD-FDD (Conseil national pour la défense de la démocratie, issu de l’ex-principale rébellion des Forces pour la défense de la démocratie) et des autres mouvements rebelles. L’impunité est pour le Burundi comme une infection non traitée sur une plaie béante.

Jusqu’alors, l’université de Bujumbura était l’un des derniers bastions où les Tutsi cohabitaient encore avec les Hutu. Mais, en 1995, l’armée envahie le campus. Pierre Nkurunziza monte dans sa voiture qui est prise pour cible. Il échappe de peu à la mort. C’est là que débute sa vie de «rebelle». Il rejoint alors le CNDD-FDD, l’un des principaux groupes armés et les collines verdoyantes de son enfance. Il s’y sentira à l’aise. Sa connaissance du terrain allié à sa capacité de séduire les acteurs régionaux et internationaux du conflit, le propulse au premier plan. De simple «soldat», Pierre Nkurunziza deviendra très vite l’un des dirigeants de la rébellion la mieux financée et la plus puissante au Burundi. Quand le Frodebu entame en l'an 2000 des négociations de paix en Tanzanie avec le régime putschiste du major Buyoya, le CNDD-FDD refuse d’y participer. Mais cette position belliqueuse devenue intenable avec la mise en place d’un gouvernement de transition, le CNDD-FDD rejoindra le pouvoir issu des négociations d’Arusha le 16 novembre 2003. «Lorsque nous avons signé l’accord de paix avec le gouvernement nous avions deux objectifs : la création de nouveaux corps de défense et de sécurité, et l’organisation d’élections», explique-t-il. On ne saurait être plus pragmatique. Face aux partis traditionnels laminés par la guerre, Pierre Nkurunziza s’est ainsi présenté aux élections avec le soutien d’une partie de l’armée qui a dû intégrer ses militaires et l’aura d’un homme qui n’a jamais plié face au régime corrompu de l’ex-président Buyoya. Le 6 juillet dernier, le FDD a obtenu 58% des suffrages lors des élections parlementaires. Vingt-trois jours plus tard, il obtient la majorité absolue au sénat. Une confortable marge de manœuvre.

La guerre civile n’est pas terminée

Devant les députés et les sénateurs, Pierre Nkurunziza a résumé jeudi le programme du CNDD-FDD : «Assurer la sécurité pour tous, la justice pour tous sans aucune distinction, une véritable démocratie, la bonne gouvernance politique et économique, un développement pour et par le peuple». Le second président Hutu du Burundi n’a pourtant pas les coudées franches. Comme en témoigne le refus du gouvernement Burundais d’accorder refuge aux rwandais qui fuient par milliers le Rwanda voisin, le Burundi est sous influence. Depuis l’assassinat du président Melchior Ndadaye en 1993 et la prise de pouvoir du Front patriotique rwandais, un mouvement Tutsi, au Rwanda en 1994, dans la foulée d’un immense génocide, la destinée du Burundi est étroitement liée à celle de l’Ouganda et du Rwanda, où la plupart des groupes armés existant ont trouvé un jour ou l’autre un soutien. Pierre Nkurunzinza a aussi été choisi pour cela : ses capacités de négociateurs et ses bonnes relations avec les régimes militaires de la région des Grands Lacs.

La confiance semble être au rendez-vous : de plus en plus de Burundais réfugiés en Tanzanie rentrent au pays. «Nous faisons face à une nette augmentation du nombre de réfugiés burundais rentrant des camps situés en Tanzanie», souligne la porte-parole du Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR), citée par l’AFP. Selon Jennifer Pagonis, le HCR prévoit le retour de quelque 20 000 réfugiés pendant la période du mois d’août, contre 3 116 retours enregistrés en juin. Cependant, quelques 238 000 réfugiés se trouvent toujours dans des camps en Tanzanie et 198 000 autres vivent dans des villages, dans l’ouest du pays.

Toutefois, la guerre civile n’est pas terminée. Un dernier groupe rebelle, les FNL (Forces nationales de libération), héritier des évènements de 1972, poursuit la lutte. Mais il est confiné aux alentours de Bujumbura et ne saurait rester longtemps sourd au profond désir de paix des Burundais. Le président Pierre Nkurunziza hérite également de l’immense drame congolais : plus de trois millions de morts depuis 1996 et une responsabilité partagée par le Burundi, le Rwanda et l’Ouganda dans l’occupation et l’exploitation illégale des richesses de ce pays-continent. Un trafic sanglant qui  bénéficie en particulier aux Etats-Unis et à d’autres puissances étrangères, notamment la Grande-Bretagne, qui préside l’Union européenne, mais aussi l’Afrique du Sud, qui entretient une force de maintien de la paix… au Burundi.


par Gabriel  Kahn

Article publié le 19/08/2005 Dernière mise à jour le 19/08/2005 à 12:29 TU