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Egypte

Première élection présidentielle de l’histoire de l’Egypte

Ces élections auront au moins obligé le régime à laisser la porte entrouverte aux manifestations d’opposition, ne serait-ce que pour convaincre l’Occident du sérieux de la volonté de réforme politique.(Photo: AFP)
Ces élections auront au moins obligé le régime à laisser la porte entrouverte aux manifestations d’opposition, ne serait-ce que pour convaincre l’Occident du sérieux de la volonté de réforme politique.
(Photo: AFP)
Neuf candidats de l’opposition affrontent mercredi 7 septembre 2005 le président Hosni Moubarak (77 ans) dans le cadre de la première élection présidentielle de l’histoire de l’Egypte.
De notre correspondant au Caire

Même les juristes afro-asiatiques soutiennent le président Mohamad Hosni Moubarak pour un nouveau sextennat ! C’est du moins ce qu’affirme une pancarte place Héliopolis au Caire. Il en va de même pour les ouvriers et employés d’un nombre incalculable d’usines, sociétés et magasins publics et privés. Si l’on en croit donc ces centaines de milliers d’affiches qui strient les rues d’Egypte, d’Alexandrie à Assouan, les jeux sont déjà faits. Mais les apparences peuvent être trompeuses. L’opposition a dénoncé, à maintes reprises, les pressions exercées par les autorités pour obliger commerçants et entreprises à exprimer leur soutien au raïs. Une belle affiche coûte toujours moins qu’une contravention salée. Mais il y a aussi le positionnement en vue des élections législatives de novembre. Tous ceux qui rêvent d’être les candidats du Parti national démocrate (PND) du président Moubarak (plus de 90% des sièges de l’assemblée) se livrent à une surenchère «d’obédience» dans l’espoir d’être l’heureux élu du parti qui rafle toujours la mise.

C’est sans doute la raison pour laquelle les partis de gauche Tagamoo (post marxiste) et Nassérien (socialiste) ainsi que le mouvement de contestation Kéfaya ont décidé de boycotter des élections qu’ils qualifient de «farce». Un jugement renforcé par des candidats frisant parfois la caricature, du vieillard qui veut imposer un costume national et le tarbouche, à l’illuminé qui veut créer «une capitale nucléaire arabe» et se doter de la bombe, en passant par celui qui fait campagne en famille neveux et nièces inclus. Seul deux candidats font un peu le poids face à un raïs vieillissant : Nooman Gomaa chef du parti Wafd (conservateur) et Ayman Nour du parti Ghad (libéral). Le premier mène une campagne classique s’appuyant sur le glorieux passé du Wafd (parti laïc libéral d’avant le coup d’Etat de 1952) et le second, dissident du Wafd, joue sur sa jeunesse (42 ans) pour se poser comme représentant du renouveau. Tous deux cherchent à démontrer que les 24 années du raïs au pouvoir n’ont apporté que «crise économique, pauvreté et corruption». Ils font aussi la cour au grand absent de ces élections, la puissante confrérie des Frères musulmans. Cette dernière a appelé ses membres à voter massivement sans donner de consignes si ce n’est d’éviter le candidat Hosni Moubarak.

«Qui remportera les élections ?» et non «quel candidat préférez-vous ?»

Mais, pour l’écrasante majorité des Egyptiens, il ne fait pas de doute que le raïs succèdera au raïs et que Hosni Moubarak présidera six années encore pour se rapprocher du record égyptien moderne détenu par Mehmet Ali qui a régné 43 ans (1805-1848). Les sondages balbutiants que le régime a laissé faire à l’occasion de la première élection présidentielle de l’histoire de l’Egypte (depuis 1954 les présidents égyptiens étaient plébiscités jusqu’à la mort) donnent le raïs largement en tête avec des scores dépassant les 80%. Des sondages que les observateurs estiment biaisés car la question qui est posée est «qui remportera les élections ? » et non «quel candidat préférez-vous ?».

En effet, même les opposants au président Moubarak pensent qu’il gagnera grâce au «bourrage des urnes». C’est d’ailleurs ce qui a poussé les magistrats égyptiens, légalement chargés de superviser le déroulement des élections, de pousser «un coup de gueule». Les magistrats égyptiens ont accepté de superviser le scrutin présidentiel qui se déroule mercredi 7 septembre à condition d’obtenir des garanties de neutralité et de transparence de la part de la commission électorale qui arbitre la présidentielle. «Si la commission électorale n’accède pas à nos demandes, nous annoncerons au monde entier que nous ne sommes pas responsables des résultats» a déclaré Zakareya Abdel Aziz, président du club des magistrats réuni en session extraordinaire.

Même si le résultat semble connu d’avance…

Quelques deux mille participants ont demandé l’exclusion de l’opération de supervision des magistrats fraîchement nommés. Des magistrats appartenant notamment au parquet et au Conseil d’Etat et soupçonnés d’être plus malléables par le pouvoir. La commission électorale avait, de son coté, exclut plus de deux mille magistrats soupçonnés par le pouvoir de parti pris en faveur de l’opposition. Le club des magistrats a par ailleurs réclamé la présence de représentants des organisations non gouvernementales pour observer le déroulement du scrutin. Seuls les représentants des candidats sont habilités par la commission électorale à se trouver dans les bureaux de vote. Les magistrats ont été soutenus tout au long de leur fronde par l’opposition et notamment le mouvement Kéfaya dont les militants se sont accrochés avec la police.

Une manifestation de plus réprimée par la police, mais une manifestation de plus quand même. Ces élections, auront au moins obligé le régime à laisser la porte entrouverte aux manifestations d’opposition ne serait-ce que pour convaincre l’Occident et notamment Washington du sérieux de la volonté de réforme politique. Une brèche dans laquelle l’opposition a foncé mais aussi l’homme de la rue qui n’hésite plus à décrier ouvertement le président Moubarak. Les journaux et magazines qui ont fait florès à l’occasion de ces élections ne font que le renforcer dans son attitude même si la presse officieuse continue à lourdement soutenir le raïs tout comme la radiotélévision étatique. Mais la «maison ronde» du Caire a perdu le monopole des ondes grâce aux télévisions satellitaires arabes et surtout égyptiennes profitant de l’aubaine des trois millions d’antennes paraboliques jalonnant la Vallée du Nil.

Même si le résultat semble connu d’avance, la course à la présidence aura au moins permis de débrider les Egyptiens qui, en un demi-siècle de régime militaire, avaient perdu tout sens de la contestation.

par Alexandre  Buccianti

Article publié le 03/09/2005 Dernière mise à jour le 03/09/2005 à 13:16 TU