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Egypte

Le système Moubarak frappé au cœur

Les attentats qui ont ensanglanté dans la nuit de vendredi à samedi la station balnéaire de Charm el-Cheikh ont sérieusement mis à mal la thèse défendue jusque-là par les autorités du Caire selon laquelle les attaques terroristes, qui ont frappé le pays ces derniers mois, étaient le fait de groupuscules isolés. Ils sont en tout cas la preuve, s’il en fallait encore une, de l’échec de la politique sécuritaire menée depuis plusieurs décennies par le régime Moubarak.

Après sept années d’accalmie, l’Egypte semble avoir bel et bien renoué avec les heures les plus sombres du terrorisme islamiste, incarné dans les années 90 par la Gamaa Islamiya et dont seule une répression féroce était venue à bout. Les attentats de Taba en octobre dernier, qui avaient principalement visé des touristes israéliens, nombreux à cette époque de l’année dans le Sinaï, avaient certes constitué une première alerte. Mais le régime de Hosni Moubarak n’avait voulu y voir que le fait d’un groupuscule isolé. Quelques mois plus tard et malgré deux nouveaux attentats suicides, perpétrés cette fois-ci au cœur même de la capitale égyptienne, les autorités ont continué à privilégier la thèse de l’acte isolé. Une thèse que les événements dramatiques de Charm el-Cheikh viennent de mettre définitivement à mal, plus personne ne doutant désormais que ces attaques terroristes, les plus meurtrières en Egypte avec au moins 88 morts, aient pu être perpétrées sans une longue préparation, sans des moyens considérables, voire sans complicité.

Quoiqu’il en soit, en s’attaquant à l’un des joyaux du tourisme égyptien, les commanditaires des attentats du 23 juillet ont voulu frapper le cœur de l’économie du pays, qui avait déjà souffert dans les années 90 des opérations menées par la Gamaa Islamiya, dont la plus spectaculaire avait coûté la vie à 62 touristes étrangers, exécutés devant le temple d’Hatchepsout, à Louxor. L’Egypte a mis des années à se remettre de ce drame mais l’industrie touristique a finalement repris le dessus au point où l’année 2004 a même été considérée comme une année historique, le pays ayant accueilli plus de huit millions de visiteurs, soit 2,3 millions de plus que l’année qui a précédé. Avec quelque 6,6 milliards de dollars, le secteur du tourisme, qui fait vivre un Egyptien sur cinq, constitue ainsi la principale source de revenus du pays et s’y attaquer est donc loin d’être anodin. Car en frappant, l’une des mannes financières du pays –bien devant le pétrole et les revenus du canal de Suez–, les terroristes ont avant tout cherché à déstabiliser le pouvoir en place depuis près d’un quart de siècle.

Un coup dur pour les démocrates

La date choisie pour perpétrer ces attaques –jour anniversaire de la révolution de 1952 qui a renversé la monarchie au profit du régime militaire de Gamal Abdel Nasser et jour de l’ouverture du procès des attentats de Taba– mais aussi le lieu –Charm el-Cheikh était considérée comme la ville la plus sûre du pays où Hosni Moubarak avait pris l’habitude de résider plusieurs mois dans l’année– sont en effet autant de provocations à l’égard d’un régime dont la politique sécuritaire est aujourd’hui clairement un échec.

Autre défi des terroristes au pouvoir égyptien, les attentats de Charm el-Cheikh interviennent à quelques semaines de l’élection présidentielle du 7 septembre qui, pour la première fois dans l’histoire de l’Egypte moderne, est ouverte à plusieurs candidats. Même s’il ne s’est toujours pas officiellement présenté, Hosni Moubarak est quasi assuré d’être, à soixante-seize ans, réélu pour un cinquième mandat. Mais son image est désormais sérieusement entachée. L’homme qui se présentait en effet comme le garant de la sécurité nationale face à un islamisme rampant est désormais confronté à l’échec de sa politique répressive. Au nom de la lutte anti-terroriste, le raïs use et abuse depuis des décennies de la très impopulaire loi sur l’état d’urgence en vigueur en Egypte depuis l’assassinat en 1981 de son prédécesseur Anouar al-Sadate. Une loi qui limite notamment les libertés individuelles et politiques et que les Egyptiens n’ont pas hésité ces derniers mois à braver en descendant dans la rue pour réclamer le départ de leur président.

Mais s’ils affaiblissent incontestablement le pouvoir en place, les attentats de Charm el-Cheikh portent également un coup dur à l’opposition déjà malmenée ces derniers mois par le régime Moubarak. «Cette attaque, par son importance, est unique dans l’histoire de l’Egypte. Elle aura des retombées gigantesques sur la vie politique du pays», a ainsi estimé le chercheur égyptien Dhia Rachouane. Selon lui, «l’opposition hésitera désormais à organiser même une manifestation pacifique et le gouvernement a désormais tous les arguments nécessaires pour maintenir l’état d’urgence». Cette analyse est largement partagée par le chef du parti Tagammou –opposition de gauche– Rifaat al-Saïd pour qui «les terroristes font échec à la démocratie en donnant au gouvernement l’occasion de renforcer l’état d’urgence». Le président Moubarak a d’ailleurs lancé un avertissement sans équivoque lorsqu’il s’est rendu sur les lieux de l’attentat de Charm el-Cheikh. «Cet acte criminel et lâche qui vise à déstabiliser l’Egypte renforcera notre détermination à poursuivre la lutte contre le terrorisme et à l’éradiquer», a en effet prévenu le vieux raïs.


par Mounia  Daoudi

Article publié le 25/07/2005 Dernière mise à jour le 25/07/2005 à 18:03 TU

Audio

Dhia Rachouane

Chercheur au centre d'études politiques et stratégiques d'Al Ahran en Egypte

«Les attentats ont déjà touché la vie politique interne en Egypte.»

Ali el Chiaty

Vice président de la principale agence de voyage égyptienne Travco

«Nous avons reçu beaucoup d'appels. C'était un gros attentats, il va y avoir des conséquences.»

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