Egypte
Le retour des attentats
(Photo: AFP)
Les attaques terroristes, qui ont récemment visé des touristes étrangers, ont ranimé le spectre du terrorisme islamiste en Egypte auquel le pays a déjà payé un lourd tribut dans les années 90. A l’époque, les commandos de la Gamaa al-Islamiya, le principal groupe armé du pays, semaient la terreur avec des opérations spectaculaires et extrêmement bien planifiées. Ce fut notamment le cas en 1997 à Louxor, où soixante-deux personnes parmi lesquelles cinquante-huit touristes pour la plupart suisses et japonais, avaient trouvé la mort. En s’attaquant à l’une des principales ressources du pays, la Gamaa al-Islamiya cherchait alors à déstabiliser avant tout le régime du président Hosni Moubarak. Le secteur du tourisme mettra certes des années à s’en remettre mais l’organisation en paiera le prix fort. Soumise à une répression implacable, elle sera décapitée et ses principaux leaders emprisonnés finiront par décréter une trêve en 1998.
Les récents attentats, également perpétrés contre des touristes étrangers après sept ans d’accalmie, rappellent indéniablement les pires moments qu’a connus l’Egypte il y a une décennie. Mais à la différence des actions menées dans les années 1990, celles d’aujourd’hui semblent obéir à une toute autre logique. Pour le spécialiste de l’islamisme armé au Centre d’études politiques et stratégiques d’al-Ahram, Diaa Rachwan, une nouvelle génération de terroristes est en effet née en Egypte mais aussi dans la région. «Ces terroristes, explique-t-il, ne visent plus les touristes dans le but de déstabiliser l’Etat mais parce qu’ils les considèrent comme des représentants d’un ennemi –l’Occident– qu’ils ne peuvent pas combattre directement, que ce soit en Afghanistan ou en Irak. Ils s’attaquent donc à ceux qu’ils ont sous la main et en Egypte ce sont les touristes». Selon ce chercheur, le contexte de chaos régional –la situation dans les Territoires palestiniens mais surtout l’occupation américaine en Irak– a largement contribué à l’émergence de cette nouvelle vague de terrorisme qui touche d’autres pays du Golfe et notamment l’Arabie saoudite où les travailleurs étrangers, considérés comme des représentants des Etats-Unis, sont devenus les cibles privilégiées des attentats.
Autre différence notable avec ses aînés, cette nouvelle génération de terroristes dispose de très peu de moyen. Le mode opératoire des trois attentats qui ont ensanglanté, en avril, la capitale égyptienne est en effet d’une simplicité extrême. Le matériel est rudimentaire : des bombes artisanales garnies de clous, dont le procédé de fabrication a vraisemblablement été téléchargée sur le net, et des armes de poing. Rien à voir avec l’arsenal dont disposait la Gamaa al-Islamiya dans les années 90.
Une fragile ouverture désormais en péril
De plus en plus d'Egyptiens réclament le départ du président Moubarak. (Photo: AFP) |
Dans ce contexte, la tentation pour le pouvoir de museler une opposition de plus en plus bruyante pourrait être grande. En vingt-quatre ans de pouvoir sans partage, le raïs égyptien n’a en effet jamais été aussi ouvertement contesté que ces derniers mois. Le mouvement Kefaya –assez ou ça suffit en arabe– a même bravé, il y a une dizaine de jours, l’interdiction de manifester en vigueur depuis l’instauration en 1981, après l’assassinat d’Anouar al-Sadate, de la Loi sur l’état d’urgence et organisé des rassemblements dans la capitale et dans une douzaine de villes de province qui ont été immédiatement dispersés par la force. Dans les rangs de Kefaya, on trouve des islamistes, des militants de gauche, des libéraux, mais aussi des altermondialistes et des défenseurs des droits de l’Homme. Le mouvement a brisé plus d’un tabou, réclamant notamment ouvertement le départ du président Hosni Moubarak qui s’apprête à rempiler en septembre prochain pour un cinquième mandat de six ans. Et c’est sous sa pression et sous celle de plus en plus forte de Washington que le raïs a consenti à réformer le mode de scrutin présidentiel qui jusque-là consistait en un simple plébiscite d’un candidat unique.
Encouragée par cette première ouverture, Kefaya s’est ensuite attaquée à ce qu’elle considère être le frein principal à toute démocratisation du pays, à savoir la Loi sur l’état d’urgence dont elle n’a de cesse de réclamer l’abrogation. Grâce à cette législation d’exception, le pouvoir égyptien peut en effet interdire tout rassemblement ou maintenir en détention administrative toute personne jugée comme une menace. Mais cette revendication de l’opposition risque bien de ne jamais voir le jour. Les récents attentats sont en effet une occasion trop belle pour le régime de mettre au pas, au nom de la raison d’Etat et de la lutte contre le terrorisme, toute contestation de son autorité. La Loi sur l’état d’urgence, même si elle apparaît aujourd’hui inefficace face à une nouvelle génération de terroristes, pourraient bien donc avoir encore de beaux jours devant elle.
par Mounia Daoudi
Article publié le 03/05/2005 Dernière mise à jour le 03/05/2005 à 16:30 TU