Japon
Koizumi plébiscité
(Photo : AFP)
Junichiro Koizumi a les mains libres pour réformer son pays. Lundi matin, les commentateurs étaient unanimes : la très large victoire électorale obtenue par le parti du Premier ministre, dimanche, lui assure la légitimité dont il a besoin pour négocier le tournant libéral qu’il préconise. Il n’aura pas besoin de former un fragile gouvernement de coalition. Le Parti libéral démocrate (PLD), au pouvoir au Japon depuis 1955, peut en effet gouverner seul : il a obtenu 296 sièges, sur 480. C’est inédit depuis 15 ans. Les marchés ont réagi avec optimisme à la nouvelle et l’indice Nikkei a clôturé en forte hausse (+1,61%) à la bourse de Tokyo, tandis que le yen s’évaluait lundi matin, face au dollar et à l’euro.
Junichiro Koizumi peut donc engager ses fameuses réformes structurelles et notamment la privatisation progressive de la poste japonaise, dont le débat devrait revenir d’ici la fin de l’année devant la nouvelle assemblée élue dimanche. La poste japonaise est considérée comme l’un des plus gros établissements financiers du monde, avec la gestion d’un portefeuille de 2 640 milliards d’euros. Au-delà de ce désengagement, on ignore comment se traduiront les nouvelles orientations libérales que le Premier ministre compte donner à sa politique. Il s’est d’ores et déjà fixé des objectifs de réduction de l’investissement public. M. Koizumi dispose néanmoins de peu de temps pour mettre en œuvre son programme : il a rappelé son intention de quitter la présidence de son parti, et son poste de Premier ministre, à l’échéance fixée précédemment, c'est-à-dire en septembre 2006. Il «espère que le prochain président sera quelqu’un qui aura la volonté de faire avancer les réformes Koizumi».
M. Koizumi réalise sur cette opération un remarquable «retour sur investissement». Désavoué par le Sénat sur son projet de privatisation de la poste, le 8 août dernier, il avait pris le risque de compromettre sa carrière politique en prononçant la dissolution de l’assemblée et en convoquant des législatives anticipées. Au terme d’une campagne menée tambour battant, au prix de l’exclusion des députés les plus récalcitrants du PLD, il vient de remporter son pari en s’adressant directement aux électeurs. Ces derniers ont répondu avec enthousiasme à son appel puisque le taux de participation a atteint un niveau record de 67,5%, soit une progression supérieure à 7 points par rapport au précédent scrutin (en deçà toutefois du record absolu atteint en 1958, avec 76,99%).
Opposition laminée, PLD bouleversé
Cette victoire massive du parti dominant lamine l’opposition et bouleverse la nature même du PLD. Celui-ci, jusqu’alors fondé sur la notion de compromis social, s’affiche désormais comme un parti urbain, d’inspiration néo-libérale comparable à ses homologues européens et nord-américains. On souligne également la qualité médiatique de la campagne électorale de M. Koizumi, plus convaincante en termes d’image et de slogans qu’en termes d’arguments. Au cours de cette campagne, celui-ci s’est borné à présenter son parti comme celui de l’évolution, tandis qu’il dénonçait le conservatisme de ses concurrents. C’est en tout cas un revers cuisant pour le principal parti d’opposition, le Parti démocrate du Japon (PDJ), qui ne remporte que 113 sièges, contre 177 dans la précédente assemblée. Son leader, Katsuya Okada, a démissionné conformément à ce qu’il avait annoncé.
C’est donc un Premier ministre japonais triomphant qui prendra part, cette semaine à New York à la 60e assemblée générale de l’ONU et réaffirmera la volonté de son pays d’obtenir un siège de membre permanent au Conseil de sécurité. Reste que cette victoire, obtenue sur des critères d’options économiques, ne sera pas neutre sur le plan diplomatique. La politique étrangère de M. Koizumi, bien qu’étroitement alignée sur Washington, flatte également un électorat conservateur et nationaliste qui irrite notamment Séoul et Pékin. L’histoire officielle japonaise demeure en effet soucieuse de dissimuler les crimes de guerre commis par les troupes impériales lors de l’invasion du continent dans la première moitié du XXe siècle.
par Georges Abou
Article publié le 12/09/2005 Dernière mise à jour le 12/09/2005 à 16:20 TU