Génocide rwandais
Pauline Nyiramasuhuko témoigne pour sa défense
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De notre correspondant à Arusha
Une voie monocorde, comme naïve. Le regard vide, peut-être triste. Emmitouflée dans un vêtement fait de grands pagnes aux couleurs sobres, ses yeux portent une paire de lunettes qu’on devine lourdes, tant elle sont grosses. Ses gestes semblent marqués par la lassitude ou la fatigue, à moins que ce ne soit le poids de l’âge. À 59 ans Pauline Nyiramasuhuko parle sans peur, mais sans empressement non plus. Prudence de rigueur. Quatre ans après l’ouverture de son procès et de celui de ses cinq co-accusés, l’ancienne ministre rwandaise de la famille témoigne (enfin !) pour sa propre défense, à la suite de dizaines de témoins à charge qui l’ont littéralement accablée. «Elle disait aux gens de tuer les hommes et de violer les femmes», avait martelé un témoin en mars 2003. «Elle est celle qui donnait les ordres», avait précisé une autre. «C’était une femme de pouvoir et pendant le Génocide elle était suivie. Des hordes de tueurs étaient sous ses ordres», a conclu l’historienne Alison Des Forges, il y a quelques mois, du haut de ses trois décennies de travaux sur le Rwanda.
Pour l’heure, à ces graves accusations, «Madame Pauline» oppose de molles dénégations : «Comment peut-on imaginer qu’une femme comme moi ait pu commettre de telles choses !», ose-t-elle d’une voie basse. Elle est pourtant plus loquace sur la signification des accords de paix d’Arusha, ultimes et infructueuses tentatives de sauver le Rwanda de l’horreur, fin 1993. De quoi inspirer l’exaspération du plus placide des juges du TPIR. Le tanzanien William Sekule s’en est pris vertement à l’avocate de l’ancienne ministre, la québécoise Nicole Bergevin, coupable de mener un interrogatoire sans grande logique et manifestement destiné à ne pas aborder les questions centrales relatives aux responsabilités de sa cliente. «Nous ne pouvons pas vous laisser poursuivre ainsi», a tonné le juge jeudi dernier. Et de poursuivre : «Ce tribunal a été créé pour juger de faits graves. Des délais lui sont impartis, il faudra les respecter. Je vous prie de mieux organiser votre interrogatoire et d’en venir aux faits, car jusqu’ici nous ne vous suivons pas». Une sévère réprimande qui tombe à point dans un procès coutumier de longues digressions. Servira-t-elle seulement à ramener les débats à ses questions essentielles ?
«Inciter aux massacres des Tutsis»
Accusée d’avoir grandement contribué à la propagation du Génocide des Tutsis dans la préfecture de Butaré, au sud du Rwanda, une région épargnée jusqu’à la mi-avril 1994, Pauline Nyiramasuhuko devra répondre de son rôle et de ses actes pendant ces évènements. L’accusation en a fait l’accusée phare de son procès, dit de Butaré, qui regroupe diverses personnalités administratives et militaires de cette préfecture du Rwanda à l’époque du génocide. Selon l’accusation, pour avoir été une des toutes premières femmes à occuper des fonctions ministérielles au Rwanda, mais aussi grâce à ses relations privilégiés avec l’épouse de feu Juvénal Habyarimana, ancien président du Rwanda, Pauline Nyiramasuhuko disposait d’un grand pouvoir ; «ce dont elle a usé pour inciter aux massacres des Tutsis». C’est le cas le 25 avril 1994, par exemple soutient l’accusation, lorsque des milliers de Tutsis, rassemblés dans un camp, sont massacrés par des miliciens interhamwés, sous les ordres de Pauline Nyiramasuhuko. En d’autres occasions encore, aussi terribles, «Madame Pauline» aurait donné la mort en ces mois d’avril à juillet 1994.
«Faux, mise en scène que tout cela», s’est emporté Nicole Bergevin en janvier dernier, à l’ouverture de la phase de présentation des moyens de preuves à décharge. L’avocate avait alors annoncé qu’elle rétablirait la dignité bafouée de sa cliente, aux yeux des médias notamment, coupables à ses yeux d’avoir déjà condamné Pauline Nyiramasuhuko. Depuis lors, plusieurs témoins de moralité ont certes été cités, ses filles et son mari notamment, afin de dresser un portrait plus sympathique de «Madame Pauline», mais rien n’y a fait. Un lourd malaise persiste quant aux actes de l’ancienne ministre lors du génocide.
L’agenda de «Madame Pauline»
Car il y a au-delà des mises en cause et des dénégations, l’agenda très compromettant de Pauline Nyiramasuhuko, présenté aux juges par le procureur et que sa défense a tenté, en vain, d’exclure des débats. L’ancienne ministre y notait, au cours de l’année 1994, avec un souci du détail, divers évènements, ses rencontres et même des noms de victimes des massacres. Un document explosif que l’accusation s’est fait un devoir d’éplucher devant les juges et sur lequel certains des co-accusés de «Madame Pauline» s’apprête à fonder leur irresponsabilité.
Car, et c’est une particularité de ce procès, au fil des mois, de co-accusés, les autres acteurs du procès tentent progressivement de se positionner en subalternes de l’ancienne ministre. Ils n’auraient fait qu’obéir à ses ordres et, pour certains donc, commis des actes pour lesquels ils ne peuvent être tenus pour responsables. Une position qui annonce des contre-interrogatoires serrés. À la suite de l’accusation, en effet, les cinq équipes de défense vont s’employer à réexaminer le rôle et les actes de l’ancienne ministre pendant le génocide. Beaucoup, dans les couloirs du TPIR, s’interrogent sur les capacités de l’accusée la plus médiatisée du Tribunal pénal international pour le Rwanda à tenir sous le feu roulant des questions qui s’annonce. Lors d’audiences précédentes, elle a déjà montré d’inquiétants signes de fragilité physique.
par André-Michel Essoungou
Article publié le 13/09/2005 Dernière mise à jour le 13/09/2005 à 11:48 TU