Réchauffement du climat
Le stockage du gaz carbonique en expérimentation
(Graphique: BRGM-im@gé)
Ce colloque était organisé par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), l’Institut français du pétrole (IFP), et le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM). Ces organismes français sont impliqués soit dans la lutte contre le réchauffement de la planète, soit dans l’exploitation du pétrole, soit dans les recherches pour mettre au point le stockage du gaz carbonique à grande profondeur. Rappelons qu'il est indispensable à la vie mais que depuis le début de la révolution industrielle, les résidus des énergies fossiles en général et du pétrole en particulier ont pollué l’atmosphère en y rejetant trop de gaz, ce qui provoque des changements climatiques.
Le Protocole de Kyoto, qui prévoit la réduction, dans le temps, des émissions de gaz à effet de serre, n’a pas prévu dans ses solutions le stockage du gaz carbonique à grande profondeur. En 1997, lorsque l’accord international a été signé, cette option en était encore au stade de la recherche, sauf en Norvège. Déjà à cette époque, la Statoil, la compagnie pétrolière norvégienne, expérimentait dans ses champs off-shore la réinjection de gaz carbonique au moment de l’extraction du gaz méthane. Dans le champ Sleipner notamment, le gaz naturel (utilisé comme énergie) est extrait dans une couche géologique à très grande profondeur. Les 9% de gaz carbonique contenus dans ce gaz sont alors réinjectés dans une couche géologique située à moins grande profondeur. Les Norvégiens l’ont choisie parce qu’elle est immense et qu’elle contient de l’eau salée non utilisable par l’homme. Une seule plateforme off-shore effectue les deux opérations, extraction du gaz naturel et réinjection du gaz carbonique. Pour le stockage de ce dernier, le coût de revient annoncé est de 17 dollars la tonne.
Remplir un aquifère de gaz carbonique
La couche géologique dans laquelle les Norvégiens réinjectent du gaz carbonique en extrayant du gaz naturel est un immense aquifère dont le nom est Utsira. Il se situe en plein cœur de la mer du Nord. Il y a un projet international de remplir cet aquifère salin et sableux, de gaz carbonique. Les plateformes installées pour exploiter les champs pétroliers et gaziers de la mer du Nord, qui vont bientôt être à sec, pourraient trouver là une nouvelle activité. Les spécialistes ont déjà prévu comment transporter du gaz carbonique sur place. Il pourrait venir dans des méthaniers, navires mis au point pour transporter le gaz naturel vers les zones de consommation où il n’y a pas de gazoduc.
Tous les pays propriétaires de champs pétroliers ou gaziers en mer du Nord comme le Royaume-Uni, les Pays-Bas, le Danemark et bien sûr la Norvège, sont impliqués dans ce projet de stockage de gaz carbonique dans l’aquifère d’Utsira, l’une des plus grandes cavités souterraines d’Europe, indiquent les géologues. Les pays clients s’intéressent également à ce projet : Etats-Unis pour le pétrole, ou France qui se fournit en grande partie en mer du Nord pour son gaz naturel. Comme les Norvégiens ont commencé il y a une dizaine d’années à réinjecter du gaz carbonique dans des cavités sous la mer, ils sont les leaders du projet. Ils ont déjà observé comment le gaz carbonique se comporte dans cet aquifère d’Utsira.
Une autre expérience est en cours en Amérique du Nord. Du gaz carbonique arrive par pipe-line dans le réservoir de Weyburn, au Canada. Ce gaz carbonique est produit dans une usine américaine de gazéification du charbon située à Beulah, dans le Dakota du Nord. La France, elle aussi, avec Gaz de France, expérimente le stockage du gaz carbonique dans un puits de gaz néerlandais presque vide, en mer du Nord.
Plusieurs expériences sont en cours
Six champs off-shore en mer du Nord expérimentent déjà le stockage du gaz carbonique dans des cavités situées sous la mer. D’autres projets sont en cours comme en Méditerranée, sur la plateforme Casablanca toujours installée sur un champ pétrolier, vide, au large de la ville espagnole de Tarragone. Les Japonais eux aussi viennent de commencer ce genre d’expérience sur l’île située le plus au nord du pays. Elle n’est pas soumise aux tremblements de terre, elle n’a pas bougé depuis des millénaires.
Car ensuite, il faudra installer des systèmes de surveillance à l’échelle des siècles pour voir comment se comportera le gaz carbonique ainsi stocké. Avec le temps, il pourrait se minéraliser ou se dissoudre dans l’eau, selon les propriétés géologiques de la cavité, sa profondeur, la pression à l’intérieur. Dans les veines de charbon, le gaz carbonique serait absorbé par le charbon. Des phénomènes extrêmement complexes peuvent se produire dans la cavité, indiquent les spécialistes. Ces derniers devront surtout veiller à ce que le gaz carbonique ne migre pas en dehors de la zone de stockage en passant par des failles géologiques ou par des puits de forage. Le gaz carbonique pourrait alors contaminer l’eau, l’environnement, les populations humaines. Il faudra donc traquer les fuites. Le gaz carbonique n’est pas un poison, il n’explose pas, mais en grande quantité, il étouffe, indiquent encore les scientifiques. Le puits sera l’interface cruciale entre le stockage et la surface.
«Il faudra construire des plateformes numériques dédiées au gaz carbonique comme on a construit des plateformes dédiées à la météo», indique Isabelle Czernichowski, professeur à l’école de géologie de Nancy. Le monitoring durera ensuite plusieurs siècles. Les écologistes espèrent que ce laps de temps permettra de passer à un autre type d’énergie, non basé sur les énergies fossiles dont les réserves, de toute façon, seront certainement épuisées à cette échéance. Sinon, estiment-ils, la catastrophe du réchauffement climatique aura déjà fait son œuvre sur notre petite planète… D’autres espèrent que ce stockage pendant quelques siècles permettra un rééquilibrage chimique des échanges entre les océans et l’atmosphère…
De nombreuses possibilités géologiques
Des aquifères, d’anciens réservoirs d’hydrocarbures, des veines de charbon profond pourraient servir à stocker du gaz carbonique. En cherchant du pétrole, les spécialistes sont parfois tombés sur du gaz carbonique, pas du tout intéressant sur le plan énergétique. Mais ces gisements naturels ont donné la certitude aux scientifiques qu’il y a une possibilité de stocker du gaz carbonique, produit par les activités humaines, dans des cavités géologiques. Certains de ces gisements naturels sont sous observation. Il en existe un très grand aux Etats-Unis par exemple, ou encore à Montmirail, dans le sud de la France.
Les spécialistes ne s’attendent pas à des problèmes significatifs au niveau de la réglementation, tout le monde étant trop content de se débarrasser d’une petite partie du gaz carbonique rejeté dans l’atmosphère par les véhicules motorisés, les usines ou les habitations. Tous ceux qui travaillent sur cette option du stockage du gaz carbonique estiment cependant qu’il faudra obtenir l’adhésion des populations. Seront-elles réticentes à vivre au-dessus d’une cavité remplie de gaz carbonique ? On peut imaginer que tout un chacun acceptera beaucoup plus facilement ce stockage s’il se trouve à très grande profondeur, quelque part sous la mer du Nord, et que de plus des emplois dans le secteur pétrolier sont ainsi perpétués.
Le stockage du gaz carbonique n’est cependant pas la panacée. Pour le moment, il ne concerne que celui qui est capté au moment de l’extraction du gaz naturel et du pétrole. Plus tard, il sera prélevé directement dans les centrales électriques, au moment de la fabrication d’électricité. Il sera piégé sur les cheminées des cimenteries, des raffineries. Pas question cependant d’installer un capteur de gaz carbonique sur chaque voiture individuelle ou chaque camion. Les transports représentent pourtant un tiers environ des rejets de gaz carbonique dans l’atmosphère. «Le stockage ne doit pas devenir un alibi pour échapper aux économies d’énergie et aux mesures contraignantes de réduction des émissions», a déclaré à ce colloque Michèle Pappalardo, la présidente de l’Ademe. Plutôt que de changer ses habitudes sur l’utilisation des transports, chacun espère que le salut viendra de la technologie.
par Colette Thomas
Article publié le 19/09/2005 Dernière mise à jour le 19/09/2005 à 17:27 TU