Mexique
La manne pétrolière dilapidée
(Photo: Pemex)
De notre correspondant à Mexico
Petróleos Mexicanos (Pemex), la plus importante entreprise du pays, est le pilier fiscal du Mexique. Selon les chiffres officiels du Banco de Mexico depuis l’élection du président Vicente Fox en juillet 2000, l’entreprise nationale a généré 182 milliards de dollars dont 64 % (116 milliards) sont allés directement dans les caisses de l’État sous forme d’impôts, de droits ou de taxes. Pemex assure donc 60 % des revenus de l’État ! Jamais un gouvernement n’avait reçu autant d’argent.
Pourtant, les Mexicains s’interrogent sur le devenir de cet argent. Avec une telle manne, le gouvernement aurait pu payer la dette extérieure et il lui serait encore resté 37 milliards ! Il a cependant préféré l’utiliser pour stabiliser les chiffres macro-économiques de l’économie et financer les importations. Le critique le plus virulent de cette politique est sans doute Carlos Slim, un chef d’entreprise qui s’est hissé au quatrième rang des hommes les plus riches du monde (classement Forbes). Ce patron mesuré et très écouté, a déclaré dans un forum, «que le gouvernement a dilapidé les revenus du pétrole, et que rien n’a été dépensé pour le développement». Rajoutant «qu’il est incompréhensible qu’un gouvernement ait pu accumuler un déficit de 17 milliards de dollars dans ses comptes courants alors qu’il a reçu 31 milliards de dollars des exportations pétrolière, 17 milliards des travailleurs mexicains émigrés aux États-Unis et 10 milliards que laissent les touristes étrangers dans le pays.»
Le gouvernement a refusé de polémiquer avec le magnat des télécoms, indiquant que les excédents du pétrole allaient aussi au développement des infrastructures dans les provinces. Au Parlement, les députés ont eux aussi dénoncé le gaspillage de cette manne pétrolière qui ne profite pas aux Mexicains. Les députés du PT (Parti des travailleurs) dénonçant même, faute de transparence, «la constitution d’une caisse noire qui serait entre les mains du ministre des Finances». Le gouvernement affirme que ces ressources servent à financer la lutte contre la pauvreté,(55% de la population), avec des programme comme Opportunités qui fournissent une aide aux familles les plus défavorisées, à payer les importations et les intérêts de la dette. C’est donc un argent redistribué et non réinvesti. Il ne sert ni à la croissance, ni à l’emploi.
Un argent trop facile
De nombreux économistes estiment que cet argent est le «mal du pays» car c’est un «argent facile». S’il maintient le Mexique à flot, il ne crée pas une bonne gouvernance, il empêche l’émergence d’élites politiques capables de résoudre les vrais problèmes. De plus, ces ressources qui tombent du ciel estompent la réalité économique du Mexique, qui est de moins en moins compétitif: dans les années 80, par exemple, la Corée du Sud était trois fois moins riche que le Mexique. Elle est aujourd’hui à son niveau. Le Mexique s’est développé en termes absolus mais a rétrocédé en comparaison avec les autres pays. L’analyse de Carlos Slim rejoint en ce sens celle d’Andres Manuel Lopez Obrador, le maire de Mexico et candidat de la gauche aux prochaines élections présidentielles, pour qui le développement du pays passe par la création d’un marché intérieur. Pour y parvenir, l’argent du pétrole devra être utilisé comme levier, essentiellement consacré au développement des infrastructures, à l’éducation, à la recherche et au rétablissement de l’État de droit
Paradoxalement, alors que Pemex a fourni les plus grandes ressources financières de son histoire, le gouvernement foxiste ne lui a pas donné les moyens de se développer. L’entreprise est obsolète, les raffineries tombent en panne, les pipelines explosent régulièrement et surtout les réserves pétrolières, faute d’une politique de recherche de nouveaux gisements, ont considérablement diminué (il n’y en aurait plus que pour 10 ans). Et pour comble, en 5 ans, la dette de l’entreprise nationale a plus que doublé. Dans les deux ans qui viennent, Pemex devra débourser 6 milliards de dollars en remboursement de prêts. En effet, l’excessive charge fiscale à laquelle est soumise l’entreprise a été fatale à sa santé financière. Faute de capital, Pemex est constamment en train de s’endetter: une dette qui représente 97,5 % de la valeur de ses actifs. Autrement dit, Pemex est techniquement en faillite.
Pour l’opposition, il ne fait pas de doute que cet affaiblissement fiscal de Pemex est une stratégie déguisée pour créer des conditions qui favorisent sa privatisation.
par Patrice Gouy
Article publié le 22/09/2005 Dernière mise à jour le 22/09/2005 à 11:02 TU