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Prisons: l'«humiliation pour la République» continue

Vue partielle de la prison des Baumettes, à Marseille (Bouches-du-Rhônes, sud de la France).(Photo: AFP)
Vue partielle de la prison des Baumettes, à Marseille (Bouches-du-Rhônes, sud de la France).
(Photo: AFP)
A l’issue de son tour des lieux de «privation de liberté» de 32 pays d’Europe, le commissaire européen aux Droits de l’homme Alvaro Gil-Robles a dressé un nouveau constat accablant des conditions de rétention en France. «Etre en prison c’est être privé de liberté, et non pas vivre dans un lieu indigne d’êtres humains», déclare le commissaire européen. Son rapport s’ajoute à de nombreux autres, produits tant par des ONG spécialisées que par le Parlement français qui, dans un document datant de 2000, décrivait la situation carcérale française comme «une humiliation pour la République».

D’année en année, les rapports et témoignages se succèdent, se ressemblent, et rien n’y fait: en dépit de la bonne volonté régulièrement manifestée, les prisons françaises ne sont pas à la hauteur, voire pire. Le témoignage du commissaire européen aux Droits de l’homme, publié jeudi dans le quotidien Libération, ne fait pas exception. Alvaro Gil-Robles achève en France un tour d’Europe des lieux de «privation de liberté» (prisons, hôpitaux psychiatriques, centres de rétention, etc.). Il doit remettre son rapport au gouvernement fin novembre et d’ores et déjà son récit est encore une fois accablant pour le système pénitentiaire français.

De la prison marseillaise des Baumettes, M. Gil-Robles déclare que «c’est un endroit répugnant» et «doute qu’on puisse jamais en faire un lieu normal, même en y mettant des milliards». Il décrit un lieu surpeuplé de gens «très excités et c’est normal, entassés comme ils sont !», dit-il à Libération. Il n’a pas échappé non plus au commissaire européen qu’une grande quantité de prisonniers incarcérés souffraient de problèmes psychiatriques au mépris de leur droit aux soins et des «problèmes que cela pose au personnel».

«Sauf en Moldavie…»

Du dépôt des étrangers en situation irrégulière, situé dans les sous-sols du palais de justice de Paris, il déclare: «de ma vie, sauf en Moldavie, je n’ai vu un centre pire que celui-là». Selon lui, «il faut fermer cet endroit, c’est urgent». Le commissaire s’interroge sur la nécessité de faire dormir les gardés-à-vue du commissariat du XVIIIe arrondissement de Paris à même le sol, et se demande comment les demandeurs d’asile du centre de rétention de Roissy peuvent matériellement rédiger leur dossier dans des délais et des conditions aussi défavorables: «impossible et (…) inacceptable», dit-il.

Pourtant, en dépit de ce constat désespérant, le commissaire européen souligne qu’il a rencontré des professionnels inquiets et ouverts, et qu’il a été réconforté par ces associations utiles et dévouées qui «font en grande partie le travail de l’Etat». Car c’est évidemment là que le bât blesse: dans l’attribution de moyens. M. Gil-Robles néanmoins s’est félicité de l’écoute attentive qu’il a reçue des ministres des Affaires étrangères et de la Justice, regrettant toutefois que le ministre français de l’Intérieur ait été le seul parmi ses collègues européens à ne pas avoir trouvé le temps de le recevoir. «C’est le seul ministre de l’Intérieur européen qui n’a pas reçu le commissaire au droits de l’homme», note Alvaro Gil-Robles dans l’entretien.

Ce témoignage s’ajoute à quantité d’autres

La France n’avait pas besoin d’une enquête européenne pour révéler l’état misérable de son système pénitentiaire. Ce témoignage vient en effet s’ajouter à quantité d’autres, périodiquement publiés depuis le tournant des années 90, alors que les juges français entamaient une série d’enquête sur les indélicatesses politico financières d’un certain nombre de notables. La situation des prisons françaises était donc déjà connue et dénoncée, notamment par le Comité européen pour la prévention de la torture, en 1993, puis en 1998. L’Observatoire international des prisons (OIP) épinglait également la politique carcérale française au cours de ces années-là.

En 2000, le témoignage-choc du docteur Véronique Vasseur (Médecin-chef à la prison de la Santé, Le Cherche-Midi, 2000) apportait sa contribution à la sensibilité montante de l’opinion publique sur ce thème. En septembre 1999, en visite à la maison d’arrêt de Saint-Denis-de-la-Réunion, la présidente de la commission des lois Catherine Tasca s’écriait que cet établissement était «une honte pour la République». Tant et si bien qu’une commission d’enquête parlementaire était diligentée, la première depuis 1875. En juillet 2000, elle rendait un rapport rigoureux dressant, officiellement cette fois, le constat, maintes fois décrit, des «inégalités de traitements entre détenus», d’une «inadaptation importante de beaucoup de lieux de détention» et des «difficultés rencontrées par une administration pénitentiaire désorientée et confrontée à une mission impossible».

«Vladimir Poutine a promis de travailler sur mes recommandations»

Plus récemment, en 2003, l’OIP rendait un rapport faisant état d’une dégradation encore plus profonde des conditions d’incarcération. Selon l’organisation, le nombre de personnes écrouées atteignait des records inégalés, avec plus 57 000 prisonniers (record largement battu depuis, avec plus de 60 000 détenus incarcérés enregistrés avant la dernière grâce présidentielle, le 14 juillet. Le chiffre est aujourd’hui d’un peu plus de 58 000). La France dispose d’un peu moins de 50 000 places dans ses prisons. Les taux d’occupation franchissent donc souvent la barre des 100%: 125,4% en moyenne, 150 à 200% dans 53 maisons d’arrêt. Cette surpopulation carcérale se traduit par une promiscuité propice aux violences, abus, traitements inhumains, suicide… Selon l’OIP, «le tout carcéral fait office de politique pénale et la construction de prisons de politique pénitentiaire». Les témoignages et critiques publiés par l’OIP avaient été qualifiés de «d’attaques grotesques et excessives» par le ministre de la Justice de l’époque, Dominique Perben.

Interrogé enfin sur la réaction des gouvernements aux rapports de la Commission européenne aux droits de l’Homme, Alvaro Gil-Robles indique qu’«en général, ils réagissent avec beaucoup de respect» à ses observations. Il cite à titre d’exemple l’Italie et le Luxembourg parmi les bons élèves; la Suisse et le Danemark parmi les plus irascibles. Il a été surpris par le président russe, Vladimir Poutine, qui l’a reçu et lui «a publiquement promis de travailler concrètement sur (ses) recommandations». Mais il ne se fait guère d’illusions. Après un débat public devant les quarante-six membres du Conseil de l’Europe, le rapport sera adressé à l’assemblée européenne et ensuite… «Ensuite il faut que les gens s’en emparent pour faire bouger les choses», conclut-il en appelant à l’action.


par Georges  Abou

Article publié le 22/09/2005 Dernière mise à jour le 22/09/2005 à 16:32 TU

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Alvaro Gil-Robles

Commissaire aux Droits de l'homme du Conseil de l'Europe

«On a vu des malades mentaux mélangés à une population pénitentiaire surchargée.»

[22/09/2005]

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