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Syrie

Des «témoins» politiques et militaires entendus par Mehlis

La Syrie clame haut et fort son innocence dans l'assassinat de Rafic Hariri, l'ancien Premier ministre libanais tué le 14 février dernier.(Photo: AFP)
La Syrie clame haut et fort son innocence dans l'assassinat de Rafic Hariri, l'ancien Premier ministre libanais tué le 14 février dernier.
(Photo: AFP)
Les enquêteurs internationaux sur l'assassinat de Rafic Hariri ont entendu, près de Damas, au moins cinq «témoins» syriens. D’autres responsables politiques et militaires seront également interrogés dans les prochaines jours.

De notre correspondant à Beyrouth

La Commission d'enquête de l'Onu sur l'assassinat de l'ancien Premier ministre Rafic Hariri a terminé jeudi ses premières auditions de «témoins» syriens entamés mardi. Mais les enquêteurs internationaux dirigés par le magistrat allemand Detlev Mehlis n’ont pas encore achevé leur travail en Syrie. Ils devraient entendre d’autres responsables militaires et politiques dans les prochains jours ou même interroger une nouvelle fois ceux qu’ils ont déjà rencontrés cette semaine. La date de la reprise de ces auditions n’a pas été rendue publique. Toutefois, une chose est sûre, l'hôtel Monte Rosa, perché sur une colline située à mi-distance entre la frontière et Damas, où la commission Mehlis effectue son travail, est réservé pour une période plus longue.

Contrairement au Liban où fuites, commentaires et rumeurs accompagnent le travail de la commission, la mission des enquêteurs en Syrie est entourée d’une grande discrétion, La seule information est venue d’une «source syrienne» citée par l’agence officielle Sana qui a affirmé que «les choses avancent d'une manière satisfaisante». Le ministre de l’Information, Mehdi Dakhlallah, a pour sa part réaffirmé que son pays était disposé à coopérer avec la commission internationale «tant que celle-ci fait preuve de professionnalisme et d’objectivité et ne politise pas l’enquête».

Selon des sources bien informées à Damas et à Beyrouth, les enquêteurs ont rencontré ces trois derniers jours au moins cinq responsables politiques et militaires syriens concernés par le dossier libanais ou qui étaient en poste au Liban avant ou à l’époque de l’assassinat de Rafic Hariri, le 14 février dernier.

La dernière conversation

Parmi les personnalités politiques entendues par la commission figure notamment le vice-ministre des Affaires étrangères, Walid Mouallem. Chargé fin 2004 par le président Bachar el-Assad de gérer le dossier des relations avec le Liban, cet ancien ambassadeur à Washington serait le dernier responsable syrien à avoir conversé avec Hariri quelques heures avant sa mort. Selon M. Moallem, l’ancien Premier ministre l’aurait appelé le matin du 14 février pour lui demander de lire l’entretien qu’il a accordé à un quotidien libanais, paru le jour même de son assassinat. Dans cette entrevue, il tient des propos conciliants à l’adresse de Damas. Lors de cette conversation téléphonique, Hariri aurait même invité son interlocuteur à venir à Beyrouth pour renouer le dialogue avec les responsables syriens.

Detlev Mehlis et ses collaborateurs ont également entendu l’actuel ministre de l’Intérieur Ghazi Kaanan. Ce général à la retraite a bien connu Rafic Hariri à l’époque où il dirigeait les renseignements militaires syriens au Liban, entre 1982 et 2002. Ils ont aussi rencontré son successeur le général Roustom Ghazalé et ses adjoints Mohammad Khallouf et Jameh Jameh, deux colonels responsables des SR militaires à Beyrouth à l’époque de l’assassinat.

La presse libanaise affirme que ces trois officiers ont joué un rôle important dans la préparation et l’exécution de l’attentat du 14 février. Selon des sources bien informées, les enquêteurs ont insisté dans leur travail sur le témoignage d'un transfuge syrien, Mohammad Zouheir al-Saddiq, qui s’est présenté comme étant l'adjoint de l'ancien chef des services de renseignements militaires syriens, le général Hassan Khalil, écarté quelques jours après l’assassinat de Hariri et remplacé par le général Assef Chaoukat, beau-frère de Bachar el-Assad.

C’est surtout grâce aux informations fournies par Al-Saddiq que l’enquête aurait progressé. Il aurait révélé à la Commission Mehlis que les explosifs utilisés dans l’attentat (du RDX) ont été achetés en Slovaquie par un homme d’affaires syrien basé à Istanbul et proche des services de renseignements de son pays. Le transfuge aurait également indiqué l’adresse de deux appartements dans la banlieue de Beyrouth où des officiers syriens et libanais se seraient réunis entre novembre 2004 et janvier 2005 pour préparer l’attentat.

Témoin précieux ou escroc ?

Mais pour Damas, Al-Saddiq est un déserteur recherché par la justice pour de nombreux délits et escroqueries et manque, par conséquent, de crédibilité. Il n’a jamais été l’adjoint de Hassan Khalil et ne peut avoir accès aux informations qu’il prétend détenir. Les autorités syriennes reconnaissent l’existence des deux appartements (perquisitionnés par la commission) mais précisent qu’ils avaient été loués pour y loger des officiers qui suivaient des sessions de formation auprès de l’armée libanaise. La version syrienne des faits ajoute qu’Al-Saddiq, marié à une druze libanaise, aurait été introduit à la commission par une personnalité politique libanaise anti-syrienne.

La Syrie clame haut et fort son innocence dans l'assassinat de Rafic Hariri et souligne qu'elle a tout intérêt à ce que la vérité soit faite pour lever toutes les suspicions pesant sur elle. Et c’est avec beaucoup de méfiance qu’elle traite avec la commission. L’inculpation dans l’affaire Hariri fin août de quatre généraux libanais proches de la Syrie ne l’a pas rassuré. Aussi, les auditions des responsables syriens se déroulent en présence d’avocats. Des dépositions écrites sont ensuite signées par les témoins et les enquêteurs.

Pendant ce temps, les investigations se poursuivent au Liban. Cette semaine, quatre propriétaires de magasins de cartes prépayées de téléphone portables ont été écroués et inculpés de recel d’informations. Les enquêteurs pensent que les auteurs de l’attentat surveillaient Hariri le jour de l’assassinat et ont communiqué entre eux grâce à des lignes cellulaires achetées dans ces magasins. D’autres sources affirment que des enregistrements de conversations téléphoniques fournies par des services secrets occidentaux prouvent clairement l’implication des plus hautes instances politiques syriennes dans l’assassinat de Hariri. Une information fait quant à elle état de l’enregistrement par Hariri à l’aide de son stylo de sa dernière réunion avec Assad au cours de laquelle le chef de l’État syrien l’aurait menacé s’il ne votait pas en faveur de la prorogation du mandat d’Émile Lahoud.

Chaque jour qui passe à Beyrouth apporte son lot de nouvelles et de rumeurs parfois invraisemblables. Seules les conclusions de l’enquête, prévue fin octobre, montreront ce qu’il fallait ou ne fallait pas croire.

par Paul  Khalifeh

Article publié le 23/09/2005 Dernière mise à jour le 23/09/2005 à 11:24 TU