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Kirghizistan

La crise politique s’approfondit après le meurtre du député Erkinbaïev

Lors de la «Révolution des tulipes», qui a renversé le pouvoir kirghize en mars dernier, Kourmanbek Bakiev (photo) avait eu le soutien d'Erkinbaïev.(Photo: AFP)
Lors de la «Révolution des tulipes», qui a renversé le pouvoir kirghize en mars dernier, Kourmanbek Bakiev (photo) avait eu le soutien d'Erkinbaïev.
(Photo: AFP)
Lundi soir, le député Baïaman Erkinbaïev a été assassiné à Bichkek, la capitale du Kirghizstan. Si le meurtre a tout du règlement de compte mafieux, il n’en a pas moins une grande portée politique. Six mois après ce qu’on a qualifié de «Révolution des tulipes», par laquelle l’ancien président a été chassé du pouvoir, la république d’Asie centrale continue de s’enfoncer dans une crise politique qui met gravement en danger sa stabilité.

De notre correspondant en Asie centrale

Deux députés assassinés en quatre mois, un gouvernement qui n’est toujours pas formé un mois et demi après l’investiture du président Bakiev, un procureur général, qui se faisait fort de lutter contre la corruption des tenants de l’ancien régime, abruptement démis de ses fonctions il y a quelques jours. La « Révolution des tulipes » kirghize tourne mal. Ce que ses protagonistes ont tenté de maquiller en transition démocratique s’avère un véritable pugilat politico-mafieux. C’est d’ailleurs ce que le président Kourmanbek Bakiev, élu lors du scrutin anticipé du 10 juillet dernier, a laissé entendre ce jeudi devant les députés réunis d'urgence, suite à l’assassinat par balle, la veille au soir, du député Baïaman Erkinbaïev. «Beaucoup d’entre vous, a-t-il déclaré, sont des hommes d’affaires et il y en a même parmi vous qui agissent contre la loi, qui ne paient pas les taxes, qui donnent des pots-de-vin aux organes de sécurité, ou qui en acceptent de leur part. Ce n’est un secret pour personne».

Les services de sécurité ont aussi été épinglés par le président. «Le fait que des éléments criminels ont fusionné avec les structures de force n’est une nouvelle pour personne. Vous le savez tous parfaitement, parmi ceux qui sont assis ici il y en a qui savent parfaitement tout cela, qui savent qui est lié avec qui et ce que sont ces liens». Les députés ont appelé le président Bakiev à limoger le ministre de l'Intérieur Mourat  Soutalinov, lequel a offert sa démission. Cela dit, M. Bakiev ne pouvait pas ne pas savoir qui était Baïaman Erkinbaïev. Député de Batken, dans le Sud, cet homme de 38 ans avait la réputation d’être à la tête d’un groupe criminel très actif dans une zone pour le moins trouble, où la drogue en provenance d’Afghanistan, et à destination de l’Europe, passe par tonnes. Certes, les preuves manquent sur l’implication de M. Erkinbaïev dans la mafia locale. Mais la rumeur est plus que tenace dans son fief. En acceptant son soutien lors de ce qu’on a qualifié de «Révolution des tulipes», notamment lors de la prise du siège du pouvoir le 24 mars dernier, contraignant le président Akaev à fuir, Kourmanbek Bakiev ne savait-il pas qu’il devenait en quelque sorte redevable d’une personne soupçonnée de faire partie du monde du crime ?

Le meurtre de M. Erkinbaïev n’est une surprise pour personne au Kirghizstan. Ce jeudi, le premier Ministre kirghize, Félix Koulov, a révélé que dimanche dernier, le député est venu lui faire part de ses craintes d’être assassiné. Pour l’heure, personne n’a été arrêté. Mais, l’assassinat le 5 septembre dernier d’Abdalim Djounoussov, nouveau directeur du marché de Kara-suu, à la frontière ouzbèke, laissait présager des représailles contre Baïaman Erkinbaïev. Début juin, des marchands dudit marché, très rentable malgré ses apparences de bidonville, manifestaient contre le député de Batken, détenteur d’une bonne partie du bazar. Le 13 juin, les mêmes récidivent et mettent à sac un de ses hôtels, à Och, la grande ville du sud kirghize.

Le Kirghizstan continue de s’enfoncer dans une crise politique.
(Carte : GéoAtlas/RFI)
Entre politique et affairisme

En fin de compte, Baïaman Erkinbaïev a été dépossédé du marché par un groupe criminel du nord du pays. Représentant des intérêts de ce dernier groupe, M. Djounoussov s’est retrouvé quelques semaines directeur du marché. Le 15 septembre, un observateur de la vie politique du Sud kirghize nous faisait déjà remarquer qu’il fallait «s’attendre à ce qu’Erkinbaïev paie d’une façon ou d’une autre» pour ce meurtre qui ne pouvait «qu’être le fait de Baïaman». L’hypothèse, si elle est à privilégier, n’est pas la seule. Le député avait déjà fait l’objet d’une tentative d’assassinat en avril.

Par ailleurs, en remerciement de son coup de main lors de la «révolution» de mars, l’homme s’était montré gourmand au début de l’été. Il cherchait à placer ses hommes à des postes clefs dans le Sud. Il y était d’ailleurs parvenu en partie avant que l’entourage de M. Bakiev, alors Président par intérim, ne mette le holà. La disparition de M. Erkinbaïev pourrait donc s’avérer un soulagement pour beaucoup. Si ce n’est qu’il est difficile de dire si vengeance il y aura de la part des siens. Nul ne sait non plus si cet assassinat n’est qu’une étape dans la recomposition politico-mafieuse que le Kirghizstan connaît depuis six mois. Les biens du Président déchu et de son entourage, qui s’étaient accaparés d’immenses fortunes au fil des ans, étant très convoités. C’est dans ce cadre qu’il faut interpréter l’assassinat, le 10 juin, d’un autre député, Jyrgalbek Surabaldiev. Cet ancien allié d’Askar Akaev était entre autre propriétaire de marchés de voitures d’occasion.

Dans ce contexte, comment interpréter le renvoi, le 19 septembre, du procureur général, Azimbek Beknazarov ? Adversaire acharné de l’ancien président, il menait une lutte apparemment sans merci, bien que sélective, contre la corruption de l’ancienne équipe dirigeante. Néanmoins, son remplacement, juste après avoir obtenue la levée de l’immunité parlementaire du fils d’Askar Akev, Aïdar, signifie-t-il la volonté du président Bakiev de mettre fin à la poursuite des puissants de l’ancien régime, afin de stabiliser la situation ?

Quoi qu’il en soit, la nomination d’un gouvernement serait bienvenue pour remettre de l’ordre au Kirghizstan. Mais, pour l’heure, l’improbable tandem Bakiev-Koulov, censé diriger le pays, ne parvient pas à se mettre d’accord à propos de la réforme de «la structure du gouvernement», c’est-à-dire sur la clarification du partage des attributions entre le président et le Premier ministre.


par Régis  Genté

Article publié le 24/09/2005 Dernière mise à jour le 24/09/2005 à 13:52 TU