Afrique
Vieilles dettes et nouvelles créances
(Photo: World Bank / Caroline Suzman)
De rééchelonnement en remise partielle, jusqu’à l’annulation de ce week-end, le fardeau de la dette devrait encore s’alléger d’une quinzaine de milliards de dollars supplémentaires dus par vingt autres pays, deux asiatiques (Laos et Birmanie) et 18 africains (Burundi, Cameroun, Centrafrique, Comores, Congo Brazzaville et Congo Kinshasa, Côte d’Ivoire, Gambie, Guinée, Guinée-Bissau, Libéria, Malawi, Sao Tomé et Principe, Sierra-leone, Somalie, Soudan, Tchad et Togo). Ces derniers doivent encore franchir les dernières étapes du processus d'allègement de la dette mis au point en 1996 par la Banque mondiale et le FMI pour sortir les PPTE du piège de la dette. Leur ratio d’endettement extérieur a déjà été jugé «insoutenable». Mais avant de voir leur dette annulée, ils doivent d’abord réformer leurs pratiques économiques.
Après les plans d’ajustement structurels qui ont souvent conduit à des restrictions sociales drastiques, les heureux bénéficiaires des annulations de dette doivent désormais affecter les fonds ainsi dégagés à des budgets sociaux (éducation, santé) et à la réduction de la pauvreté. Ils doivent aussi promouvoir des réformes attractives pour les investissements privés. En retour, les bailleurs de fonds s’engagent à les aider à résister aux vicissitudes extérieures telles que la chute des cours de leurs matières premières d’exportation ou les chocs pétroliers. A ce sujet, le ministre français de l’Economie et des Finances, Thierry Breton, observe que, globalement, pour les pays concernés, l’alourdissement de la facture pétrolière équivaut à l’annulation de leur dette multilatérale.
L’initiative PPTE «n’est pas une panacée»
Dans le passé, la perspective d’un choc financier international a été parfois invoquée pour repousser toute perspective d’effacement notable des créances multilatérales. Dans le camp adverse, les détracteurs des institutions de Bretton Woods, et en particulier les altermondialistes, préconisaient parfois le boycottage du service de la dette, faisant valoir la hauteur des intérêts vis-à-vis du capital prêté. Finalement, l’idée de l’annulation est entrée dans les mœurs, les pays du Nord s’engageant à «renflouer» le FMI en alimentant un fonds à hauteur de 600 millions de dollars par an pour que l’aide multilatérale ne tombe pas en panne sèche. Pour autant, le FMI rappelle que l’initiative PPTE «n’est pas une panacée».
Entre 1998 et fin 2004, 28 pays, dont 24 en Afrique, avaient bénéficié du programme PPTE, pour un montant total de 33 milliards de dollars, soit une réduction «de plus de moitié par rapport aux exportations et aux recettes publiques». Mais, explique la Banque mondiale, «même si la dette extérieure de ces pays était intégralement annulée, la plupart d'entre eux auraient encore besoin d'une aide extérieure importante, puisque, depuis de nombreuses années, l'aide qu'ils reçoivent dépasse de beaucoup les paiements effectués au titre du service de leur dette».
Dans son rapport Perspective économique en Afrique 2004-2005, la BAD indique, par exemple, que les mesures d’allègement de dette ont représenté 19% de l’aide publique au développement ces deux dernières années. Elle cite notamment les 4,5 milliards de dollars de remise de dette déjà accordée au Congo Kinshasa. Elle relève aussi que les dons et les prêts destinés à des programmes spécifiques se sont raréfiés, au profit des allègements de dette. Ceux-ci ont «désormais le soutien de l'ensemble du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale», se félicite le ministre sud-africain des Finances, Trevor Manuel. «Nous avons maintenant un accord du G184», ironise le président de la Banque mondiale, Paul Wolfowitz. En effet, même Washington déclare se réjouir des annulations de dette.
«Des dettes impossibles, souvent héritées de gouvernements précédents»
«J'ai été très content de voir que le comité de développement de la Banque mondiale a très largement approuvé la proposition d'annuler 100% de la dette des pays les plus endettés», déclare le secrétaire américain au Trésor, John Snow. «En Afrique et dans le monde, les dirigeants de 38 pays n'auront plus à choisir entre dépenser pour leurs citoyens et rembourser des dettes impossibles, souvent héritées de gouvernements précédents», lance Paul Wolfowitz. Du côté des bailleurs de fonds, toute inquiétude est levée sur la répartition de l’enveloppe qui va compenser la diminution des recettes financières de la Banque mondiale. Contributeurs plus prodigues que d’autres en aide au développement, la Belgique et les Pays Bas n’auront pas à remettre la main et la poche. Le G8 s’est engagé à éponger le «manque à gagner» induit par l’effacement des créances.
Il s’agit de fait de la plus importante annulation de dette en 60 ans d'existence des institutions de Bretton Woods. Créées au sortir de la Seconde Guerre mondiale pour aider l’Europe à se reconstruire, celles-ci livrent aujourd’hui bataille contre la pauvreté au plan mondial et avec des résultats extrêmement inégaux. Globalement, l’inégalité s’est même accrue, laissant largement l’Afrique sub-saharienne sur le bas-côté de la route du développement. Selon le FMI, 400 millions de Chinois sont sortis de l’extrême pauvreté entre 1981 et 2001, ce qui améliore de beaucoup la moyenne mondiale. En revanche, «afin d’atteindre l’objectif d’une réduction de moitié de la pauvreté d’ici à 2015, l’Afrique subsaharienne doit relever sensiblement ses taux de croissance annuelle du PIB pour parvenir aux alentours de 7% sur les dix années qui viennent, soit en gros le double du taux de croissance actuel de la région», indique la directrice adjointe du FMI, Anne Krueger. Cet objectif est hors de portée pour nombre de pays africains. Quant à ceux qui possèdent hydrocarbures et autres matières premières prisées, selon Anne Krueger, «les grandes priorités sont une bonne gestion macroéconomique, un climat porteur pour une croissance tirée par le secteur privé et une ferme gestion du secteur public». Les recettes ne changent guère.
Paul Wolfowitz considère les annulations de dette comme un coup de pouce sur lequel il invite la communauté internationale à rebondir, en décembre prochain, en trouvant un «vaste accord dans les négociations de Doha», à l’occasion de la réunion cruciale de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) prévue en décembre à Hong Kong. «Un accord commercial à Hong Kong servirait d’éperon à la croissance économique et à celle des investissements, promettant une sortie de la pauvreté à des millions, voire des milliards, de personnes». A Hong Kong, les Africains défendront tout particulièrement un coton qui, en 2005, a rapporté à l’Afrique centrale et de l’Ouest quelque 300 millions de dollars en recettes d’exportations. Mais même si les Etats-Unis renonçait à subventionner leurs producteurs, le coton africain continuerait de fléchir sous la concurrence bon marché du coton d’Asie ou d’Amérique latine. Comme l’explique le FMI, l’Afrique ne peut pas rentabiliser sa filière coton, sans aide extérieure. D’ores et déjà, le Fonds se déclare disposé «à accroître ses prêts».
par Monique Mas
Article publié le 26/09/2005 Dernière mise à jour le 26/09/2005 à 17:17 TU