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Libéria

Duel en vue

Ellen Johnson Sirleaf et George Weah.(Photos: AFP)
Ellen Johnson Sirleaf et George Weah.
(Photos: AFP)
Comme en ont témoigné les longues files d’attente, les Libériens se sont massivement déplacés aux urnes le 11 octobre. Le dépouillement de 80% des bulletins déposés dans les 3 070 bureaux de vote indique un taux de participation de 74,6 %. Les premiers chiffres donnent 29,8% des suffrages au jeune retraité du foot, George Weah (39 ans), soit quelque dix points d’avance sur la doyenne des finances, Ellen Sirleaf (66ans), qui obtiendrait 19,7% des voix. Reste que, même si cette tendance se confirme, avec les résultats définitifs attendus le 26 octobre, la majorité absolue paraît hors de portée du roi du ballon rond, George Weah. Le 8 novembre, la finale se jouera sans doute avec l’experte es finances, Ellen Sirleaf.

Les premiers résultat publiés samedi soir par la Commission nationale électorale (Nec) ne laissent plus guère place au doute sur la personnalité des deux meneurs de la course présidentielle. George Weah contre Ellen Sirleaf, le butteur autochtone contre la femme de tête créole, les électeurs ont délaissé le parti de Charles Taylor, le Parti national patriotique (NPP). Le candidat à la présidentielle du NPP, Roland Massaquoi glane seulement 3,7% des suffrages selon les derniers résultats partiels. En revanche, l’ex-président du Sénat de Taylor reconverti dans les affaires après leur brouille, le juriste Charles Brumskine recueillerait quand même quelque 12% des voix. Il devance un parent du premier président créole du Libéria qui a fait carrière à l’Onu, Winston Tubman. Avec 9,1% des suffrages, ce dernier est au coude à coude avec Varney Sherman (8,4%) le «suppléant» de Gyude Bryant, interdit de présidentielle pour avoir présidé la transition.

Le parti de Taylor éliminé du Parlement

A eux trois, Brumskine, Tubman et Sherman feraient la différence, s’ils conjuguaient leurs forces pour servir d’appoint à l’un ou l’autre des duellistes Weah et Sirleaf, ce qui paraît assez improbable. Mais les marchandages sont ouverts. Le Libéria nouveau devra pourvoir de nombreux fauteuils, dans la fonction publique par exemple. Quant aux sièges de députés et de sénateurs en compétition dans ces premières élections d’après-guerre, ils se sont mués en chaises musicales pour le NPP qui contrôlait 96% du Parlement bicaméral sous Taylor. A l’avenir, il peut tout au plus espérer quelque quatre sièges au Sénat et deux à l’Assemblée nationale.

Le NPP «n'est pas seulement le parti de Charles Taylor. Nous existions avant lui et lui survivront longtemps», plaidait Roland Massaquoi avant l’élection. Toujours est-il que les résultats sont meilleurs du côté de ceux d’entre les anciens amis de Taylor qui ont laissé les couleurs du NPP au vestiaire. C’est le cas par exemple de l’un des ex-gendres de Taylor, Edwin Snowe, qui recueillerait plus de 60% des suffrages dans sa circonscription de Monrovia. Dans le comté nordiste de Nimba, l’exécuteur du président déchu Samuel Doe, Prince Johnson est en ballottage, pour un siège de sénateur, avec une autre vieille connaissance: Adolphus Dolo, jadis chef d’une milice de Taylor sous le sobriquet de Peanut Butter. Depuis 2003 et l’exil forcé du seigneur de la guerre au Nigéria, beaucoup d’ex ont quitté le navire Taylor. Certains ont frappé à la porte des autres partis. Et cela pas toujours par calcul électoral, mais aussi, souvent, pour prendre le large, dans la perspective d’un futur jugement du «criminel de guerre» Taylor.

La justice internationale réclame toujours Taylor en Sierra-Leone. Elle presse également les Libériens de faire son procès au pays. Jusqu’à présent, le président en exercice de l’Union africaine, le Nigérian Olusegun Obasanjo a toujours refusé d’extrader son hôte de Calabar, affirmant qu’il ne le livrerait à nul autre que le gouvernement élu du Libéria. Le président qui va sortir des urnes d’ici le mois prochain devra son élection à l’accord de paix signé par les trois protagonistes d’une guerre civile de quatorze ans. La mise à l’écart de Charles Taylor faisait partie de l’arrangement. S’il décide de le faire revenir au Libéria pour le juger, le futur président devra obtenir le consentement de députés. Un nombre encore inconnu de ces derniers, anciens amis ou adversaires résolus de Taylor, sont eux aussi passibles de condamnations pour crimes de guerre.

Outre les députés, sénateurs et autres concurrents en lice pour la présidentielle, tout un petit peuple d’anciens combattants, encore mal réintégré dans la vie civile, peut craindre de voir son passé traduit en justice. Il n’est pas pour autant exclu que les pressions internationales se soldent un jour ou l’autre par une comparution de Taylor au Libéria. Prudemment, pour ceux qui proviennent des camps adverses, les candidats à la présidentielle ont peu ou pas effleuré le sujet pendant la campagne électorale. De leur côté, les électeurs se sont largement prononcés en faveur de personnalités qui ont fait preuve de combativité et d’opiniâtreté, chacune dans sa sphère respective, sans jamais montrer de goût particulier pour le battle-dress.

Weah et Sirleaf se sont engagés à faire preuve de fair-play et même à œuvrer ensemble à la reconstruction du pays, quel que soit le résultat de la finale de novembre. Ellen Sirleaf voit une résurrection de la conscience citoyenne dans la détermination des électeurs à voter au premier tour. George Weah veut croire que les élections n’ont rien d’un sondage de popularité sportive.


par Monique  Mas

Article publié le 17/10/2005 Dernière mise à jour le 17/10/2005 à 16:48 TU