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Agriculture

Affrontement en vue à l'OMC

La baisse des subventions agricoles reste le principal point de tension entre les différents blocs de négociateurs.
La baisse des subventions agricoles reste le principal point de tension entre les différents blocs de négociateurs.
Les réunions se succèdent pour préparer le sommet de l’Organisation mondiale du commerce qui doit conclure, mi-décembre, le cycle de Doha et libéraliser le commerce mondial. Comme chaque fois, les négociations butent sur la baisse des aides à l’agriculture et les contreparties attendues par l’Union européenne et la France notamment.

La France s’inquiète des concessions qui pourraient être faites dans le domaine agricole pour la conférence ministérielle de l’OMC, prévue à partir du 13 décembre à Hong Kong. En principe, les deux tiers de la négociation dans son ensemble doivent être finalisés avant l’ouverture du sommet. Et malgré l’échec du sommet de Cancun en 2003, cette fois encore, le bras de fer semble mal engagé.

La baisse des subventions agricoles reste le principal point de tension entre les différents blocs de négociateurs. La France, premier pays agricole de l’Union européenne, vient de mettre en cause la manière dont le commissaire européen au commerce, Peter Mendelson, cherche à trouver un accord. La dernière proposition du représentant de la Commission de Bruxelles va trop loin dans la diminution des aides aux agriculteurs européens, estime le gouvernement français. «Il n’est pas question d’anticiper les baisses de subventions susceptibles d’intervenir en 2012», indique-t-on dans l’entourage de Christine Lagarde, ministre française déléguée au Commerce extérieur. «La Politique agricole commune (PAC), a déjà été profondément réformée en 2003», précise encore un conseiller qui prend soin d’ajouter que mardi dernier, les pays membres de l’UE ont défendu à l’unanimité la PAC telle qu’elle existe, et jusqu’à l’échéance prévue de 2012. La France est le pays qui a bien sûr le plus grand intérêt à voir le système d’aides perdurer. Mais une quinzaine de pays membres de l’Union sont eux aussi partisans du maintien du système actuel. Parmi eux, des pays du sud de l’Europe et des nouveaux venus d’Europe de l’Est.

Des denrées pas comme les autres

Malgré les tiraillements et les intérêts contradictoires au sein même de l’Union, l’Europe affiche donc son unité sur l’agriculture. Elle refuse d’aller aussi loin que le souhaite les Américains et d’autres pays comme l’Inde ou le Brésil, dans la baisse de la protection de ses produits agricoles et de leur exportation. Aides directes aux exploitations agricoles, soutien à l’export ou droits de douane sur des denrées agricoles venant de l’extérieur, le système avait pour but de protéger des denrées qui n’étaient pas considérées comme étant comme les autres et de faire de l’agro-alimentaire une force de frappe à l’exportation.

Après les frictions de la semaine en cours et les nouvelles rencontres formelles ou informelles prévues la semaine prochaine, le représentant américain au Commerce, Rob Portman, a mis son grain de sel dans les dissensions en lançant un nouvel appel à l’Europe afin de débloquer ce volet agricole de la négociation. «Il est particulièrement urgent que l’UE fasse une proposition», a déclaré le responsable américain, qualifiant le blocage actuel de «situation décourageante» alors que tout le monde «et pas seulement les Etats-Unis » voudrait pouvoir clore le volet agricole de ce cycle de négociations.

Au ministère français du Commerce extérieur, on commente sans indulgence cet affichage : «Beaucoup de promesses ; les Américains se sont engagés à ne pas dépenser ce qu’ils n’ont pas dépensé, il n’y a pas de diminution de dépenses»  pour les aides – complexes - que Washington attribue à ses agriculteurs.

Les négociateurs américains font comme si la balle était dans le camp de l’Union européenne et continuent de réclamer une réduction des droits de douane sur les produits agricoles, ce qui permettrait l’entrée en Europe de produits concurrents. La volonté américaine d’aboutir sur ce dossier agricole tient à l’approche de la conférence de Hong Kong, mais également au calendrier plus général concernant la libéralisation des échanges. Le mandat des Américains est limité dans le temps, ils ont jusqu’à 2007 pour parvenir à cette ouverture des marchés agricoles.

Les Américains «doivent bouger sur le soutien budgétaire qu’ils apportent à leurs agriculteurs, et ils vont le faire».  Ainsi s’est exprimé ce vendredi 21 octobre le directeur général de l’OMC, Pascal Lamy, soulignant que les Européens, ont, eux déjà, «fait leur réforme et ont une certaine marge de manœuvre pour négocier… Il faut que tous les deux fassent des efforts…Cela décontractera beaucoup les pays en développement qui ont envie d’une ouverture des échanges».

Un ménage à trois

La direction de l’OMC renvoie dos à dos Européens et Américains : «On comprend bien que si les Européens subventionnent les exportations de sucre, de betterave, et font concurrence au sucre de canne ou si les Américains subventionnent le coton et font concurrence aux pays africains, ce n’est pas juste». Et justement une délégation représentant les pays africains producteurs de coton a fait le voyage à Genève pour rappeler leur position. Les pays du sud avaient fait capoter la conférence de Cancun, ils sont prêts à recommencer à Hong Kong si les pays riches, essentiellement les Etats-Unis, continuent de protéger leurs producteurs de coton au détriment des exportations africaines. Les Africains rappellent que leurs revendications ont été entérinées par l’OMC en 2004 et que l’organisation économique s’était engagée à traiter de «manière rapide et spécifique» la question du coton. «Qu’on nous dise ce qui est possible, nous n’avons plus besoin de promesses, c’est à ce prix que nous resterons à l’OMC»,  a déclaré Ngarmatina Odjimbeye Soukate, ministre tchadienne du Commerce. Le président de l’Association cotonnière africaine, Ibrahim Malloum a pour sa part fait ce commentaire : «Le coton pourrait fournir des emplois mais les pays riches préfèrent dépenser de l’argent pour rapatrier nos émigrés plutôt que de mettre fin à leurs subventions».

Hermès en Inde ?

La France a fait savoir qu’elle refusait de voir les négociations se concentrer uniquement sur l’agriculture. Elle demande que la libéralisation des services et des biens manufacturés entrent dans le jeu des discussions. Dans l’entourage de la ministre française déléguée au Commerce extérieur, on ne mâche pas ses mots : «Le Brésil et l’Inde veulent tout avoir sans rien donner sur le plan industriel avec des droits de douane de 100%  sur le vin et il est impossible pour Hermès par exemple, d’ouvrir une boutique de luxe en Inde !».

Pendant ce temps, les ministres européens de l’Agriculture sont à leur calculette. Des experts ont essayé d’évaluer ce qu’entraînerait une baisse des tarifs douaniers sur des productions «sensibles» comme la tomate, la viande de bœuf, le beurre ou les produits laitiers. L’évaluation a été suffisamment inquiétante pour qu’on demande aux experts de recommencer.


par Colette  Thomas

Article publié le 21/10/2005 Dernière mise à jour le 21/10/2005 à 18:08 TU