Santé
Convulsions planétaires autour de la grippe aviaire
(Photo : AFP)
Le confinement des volailles élevées en plein air concerne 21 départements «présentant un risque particulier de contact avec les oiseaux migrateurs», a déclaré Dominique Bussereau, ministre de l’agriculture. Dès mardi matin, un arrêté publié au Journal officiel a confirmé la mesure annoncée par le ministre en indiquant que «les oiseaux doivent être maintenus à l’intérieur de bâtiments fermés». «Nous allons au-delà de l’avis de l’Afssa (Agence française de sécurité sanitaire des aliments) au nom du principe de précaution», a encore précisé le ministre. La semaine dernière, l’Afssa avait estimé que le risque de contamination de volailles, en France, par des oiseaux migrateurs, était «à ce stade négligeable».
Les départements concernés par l’enfermement de volailles qui vivent d’ordinaire en plein air - ce qui leur donne un plus au niveau qualité - sont situés sur les grands axes migratoires : la façade atlantique et le couloir Rhin-Rhône.
Au moins jusqu’au premier décembre
Ain, Aube, Bouches-du-Rhône, Charente-Maritime, Haute-Corse, Gard, Gironde, Ile-et-Vilaine, Indre, Landes, Loire-Atlantique, Manche, Marne, Haute-Marne, Meurthe-et-Moselle, Meuse, Bas-Rhin, Haut-Rhin, Seine-Maritime, Somme et Vendée : tous les élevages situés dans ces départements enfermeront leurs volailles au moins jusqu’au premier décembre.
Ces 21 départements sont aussi ceux qui concentrent la majorité des 30 600 élevages français dont la production atteint 916 millions de volailles par an. Le chiffre d’affaires du secteur atteint 6 milliards d’euros et emploie 50 000 personnes. Selon le ministre de l’Agriculture, 17% du nombre total de volailles ont «un parcours extérieur» au cours de leur élevage. Dans le Sud-Ouest, la mesure de confinement sera appliquée «avec souplesse», parce qu’il n’y a pas toujours de bâtiment d’élevage. Par mesure dérogatoire, les volailles élevées en plein air continueront de bénéficier de leur label de qualité.
Les chasseurs sont mécontents car les mesures de prévention les empêchent maintenant d’utiliser des oiseaux vivants (des appelants), en guise d’appât. Par ailleurs, la surveillance va être renforcée à la frontière entre la Guyane française et le Surinam. Le perroquet qui est mort au Royaume-Uni au cours de sa mise en quarantaine venait de ce pays d’Amérique du sud voisin du territoire français.
Les syndicats agricoles (Fédération nationale des exploitants agricoles et Confédération française de l’aviculture ont réagi favorablement aux mesures prises par le gouvernement, elles «sont nécessaires et vont contribuer efficacement à éviter toute propagation éventuelle de l’Influenza». Les professionnels de la filière avicole sont inquiets, les ventes ont baissé de 20% et les fêtes approchent, période où les Français achètent toutes sortes de volailles un peu exceptionnelles.
L’Europe se protége
La Commission de Bruxelles, de son côté, décrète un embargo sur les importations de volailles vivantes en provenance de Croatie. Le gibier à plumes est également concerné ainsi que les importations de plumes non traitées. Cette décision intervient après la confirmation, par les autorités croates, de la découverte d’un deuxième foyer de grippe aviaire. Dans les deux cas, la présence du virus H5 a été confirmée sur des cygnes retrouvés morts dans l’est du pays, les deux foyers étant à une quinzaine de kilomètres l’un de l’autre. Un laboratoire britannique devrait préciser dans les jours prochains s’il s’agit du dangereux H5N1 qui a tué une soixantaine de personnes en Asie depuis 2003. Plus de 10 000 poulets ont déjà été euthanasiés en Croatie.
Le H5N1 a été récemment dépisté en Roumanie et en Turquie ainsi qu’au Royaume-Uni, sur ce perroquet importé d’Amérique du Sud et qui effectuait sa quarantaine en compagnie d’oiseaux de Taïwan.
Devant les parlementaires européens réunis à Strasbourg, le commissaire européen à la Santé et à la Protection des consommateurs a estimé que «les Etats membres ont le meilleur niveau mondial de préparation». Pour Markos Kiprianou, il faut «faire pression pour qu’ils soient tous à un niveau satisfaisant de préparation». Le commissaire a précisé qu’il y avait des «différences de préparation» parmi les 25. Concernant les stockages de médicaments antiviraux encouragés par Bruxelles, Markos Kyprianou a indiqué que 20 Etats avaient commencé à faire des réserves «mais il y aura des problèmes car l’industrie ne peut pas répondre à toutes les commandes». Le représentant de la commission a annoncé qu’il avait l’intention de rencontrer les laboratoires pharmaceutiques pour voir «comment ils ont l’intention de résoudre le problème d’approvisionnement» et il a rappelé qu’aucun vaccin n’est disponible contre une forme humaine de la grippe aviaire tant que le virus ne s’est pas transmis d’homme à homme.
Vingt-cinq oiseaux migrateurs ont été retrouvés morts lundi au bord d’un lac à l’ouest de l’Allemagne. Le lac de Neuwied est un lieu de repos pour les oies cendrées et les colverts (canards) qui fuient le froid d’Europe du nord. On ne sait pas encore si ces oiseaux sauvages ont la grippe aviaire. L’Allemagne a déjà décidé de confiner les volailles.
Le virus est déjà probablement arrivé en Italie par le biais d’oiseaux migrateurs, ont annoncé mardi des vétérinaires, estimant par ailleurs que pour l’instant, il n’y a aucun cas de contamination dans les élevages italiens de volaille. «Le vrai danger», a estimé Mauro Delogu, expert en pathologie animale, c’est que «le virus passe des oiseaux migrateurs aux animaux d’élevage, se transformant ainsi en virus plus agressif». Des tests sont toujours en cours sur huit poulets retrouvés morts dimanche en Sicile.
Au Royaume-Uni, le fameux perroquet mort de la grippe aviaire avait été mis en quarantaine en face de l’abattoir où avait démarré l’épizootie de fièvre aphteuse en 2001. Six millions de bovins avaient été abattus pour stopper cette maladie.
Les oiseaux et peut-être le train
En Indonésie, un homme est mort de la grippe aviaire, dans la ville de Bogor, située non loin de Djakarta. Comme la soixantaine de personnes mortes de cette nouvelle maladie en Asie du Sud-est, cet homme travaillait au contact d’oiseaux, ont précisé les autorités sanitaires. En Chine également, un nouveau foyer a été détecté dans l’est du pays, dans la province de l’Anhui. 2 100 poulets et oies ont été contaminés. Les autorités sanitaires ont procédé à la destruction de près de 45 000 volatiles, 140 000 autres ont été vaccinés. C’est le deuxième foyer de type H5N1 découvert en une semaine dans ce pays le plus peuplé du monde. Les experts de la FAO et de l’OMS se félicitent de l’attitude de Pékin qui a pris la mesure du danger et joue la transparence, contrairement à l’épidémie de SRAS, la pneumonie atypique, qui avait démarré en Chine en 2002/2003, en raison d’un voisinage trop grand entre les hommes et les animaux sauvages.
S’il ne semble y avoir aucun doute du risque de transmission de la grippe aviaire aux volailles d’élevage par le biais des oiseaux migrateurs, les scientifiques de l’Afssa estiment cependant qu’il y a probablement d’autres vecteurs de transmission de la maladie. Ces experts ont réalisé une étude concernant le risque d’introduction de virus Influenza hautement pathogène en France. Ils ont étudié la progression du virus venant du foyer de grippe aviaire de Toula, en Russie. Ils estiment que les oiseaux sauvages ne sont pas seuls en cause car la contamination géographique ne correspond pas aux périodes de migration. L’hypothèse de ces spécialistes, c’est une progression d’est en ouest du virus par la voie ferroviaire qu’est le transsibérien Pékin-Moscou, axe de communication qui traverse tout le continent. Les scientifiques parlent «d’une hypothèse assez probable qui mériterait des enquêtes épidémiologiques plus approfondies avant de conclure à la seule implication des oiseaux migrateurs».
par Colette Thomas
Article publié le 25/10/2005 Dernière mise à jour le 25/10/2005 à 16:41 TU