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Les jeunes issus de l’immigration changent l’armée

Visite de Mme Alliot-Marie au 5ème RG de Versailles. Le 17/10/05.(Photo: Ministère de la Défense 2004)
Visite de Mme Alliot-Marie au 5ème RG de Versailles. Le 17/10/05.
(Photo: Ministère de la Défense 2004)
Un rapport commandé par le Centre d’études en sciences sociales de la défense (C2SD) tente d’évaluer l’espace, la place, occupés par les jeunes militaires d’origine étrangère, dans l’armée française. Comme toujours en France lorsqu’il s’agit des jeunes issus de l’immigration, la discrimination n’est pas loin.

Difficile d’abord d’examiner à la loupe cette partie de l’armée constituée de jeunes issus de l’immigration : en France, il est interdit de classifier les personnes en fonction de leur origine ethnique ou religieuse. Officiellement, ce genre de statistiques n’existe pas. Reste que souvent, les noms de ces jeunes gens parlent d’eux-mêmes. Et le rejet de certains aliments, ou le comportement à l’occasion de rites religieux, montrent que de jeunes recrues ne sont pas de culture française.

Les auteurs du rapport commandé par la défense française afin de savoir qui sont ces jeunes estiment donc à 10 ou 20% la proportion de jeunes d’origine étrangère dans l’armée. Etant donné le passé colonial de la France, l’écrasante majorité d’entre eux est maghrébine, donc de religion musulmane.

Les soldats français ne sont donc plus tous «affiliés» à la même religion. Qu’il s’agisse d’une conviction profonde ou d’une simple appartenance culturelle, la croyance chrétienne avait de manière invisible un impact sur le comportement des appelés, notamment pour le combat. Cette unité d’esprit a disparu au moment où l’armée a connu une mue importante. L’armée a cessé d’accueillir des conscrits, des civils faisant un service d’une durée plus ou moins longue, pour devenir une armée de métier. Aujourd’hui justement, l’armée va chercher une bonne partie de ses jeunes recrues dans les banlieues. Et si l’armée de terre a un bureau de recrutement dans chaque département, elle en a deux dans le département de Seine-Saint-Denis, le 93.

De grandes causes à servir

Pour ces jeunes venant souvent, on le sait, de milieux défavorisés, l’armée représente la culture du travail. Et un chef en uniforme en impose encore plus qu’un fonctionnaire derrière un bureau, même si les responsabilités de ce dernier sont importantes. L’institution militaire continue donc de produire un modèle pour des jeunes faisant face à un avenir incertain. L’attirance pour la rigueur et la discipline fonctionne peut-être plus que jamais, étant donné le niveau de chômage en France et les discriminations à l’embauche aujourd’hui reconnues.

Il y a un lien, les statisticiens l’ont constaté, entre la disparition de la conscription obligatoire et l’augmentation du nombre de jeunes gens circulant sans permis. C’est pendant leur service obligatoire que les jeunes passaient le permis de conduire. Aujourd’hui, plus de permis. Cependant, l’armée continue d’être plébiscitée comme une entreprise de qualification, qui forme et donne des diplômes utiles ensuite dans le civil. En plus, l’armée permet de faire table rase du passé, lorsqu’il a été houleux.

Du prestige, de grandes causes à servir, il ne semble y avoir aucune différence d’idéal entre les jeunes qui entrent dans l’armée, qu’ils soient d’origine étrangère ou française. Comme les autres, les soldats issus de l’immigration se déclarent très attachés aux valeurs militaires, au patriotisme, et à des notions comme l’honneur, le respect de la loi, le courage, la laïcité. Certains de ces jeunes ont même renoncé à leur double nationalité, l’estimant incompatible avec leur métier. D’autres la vivent comme le port d’attache des vacances.

L’islam est bien sûr une question. Mais dans l’armée, contrairement à ce qui se passe dans les prisons, il n’y a pas de recomposition de groupe, de communauté. La pratique de la religion se fait de manière discrète, dans le respect de la laïcité. Bien sûr, dans les hautes sphères de la défense française, on s’interroge peut-être sur la loyauté, la fidélité de ces jeunes partagés entre deux cultures. Quel serait leur comportement s’il fallait qu’ils prennent les armes contre un pays dont ils se sentiraient amis ? L’enquête montre qu’ils seraient prêts à servir dans des pays de culture musulmane sans états d’âme, sauf contre le pays de leurs parents. Au quotidien, la réalité de ces engagés est plus banale, à travers un racisme ordinaire parfois caricatural. En arrivant en Afghanistan, a raconté l’un des jeunes militaires interviewés, une réflexion a été faite sur le mode «tu es arrivé chez toi».

Les auteurs du rapport ont rencontré 62 personnes. Jeunes hommes et jeunes femmes militaires issus de l’immigration ont raconté leur parcours et leur vision de l’avenir. Le rapport ne fait aucune révélation sur de nouvelles discriminations. Elles sont les mêmes chez les militaires que dans la société civile. Le résultat donne la photo d’une jeunesse de banlieue qui s’en est sortie et qui adhère fortement aux valeurs françaises.


par Colette  Thomas

Article publié le 03/11/2005 Dernière mise à jour le 03/11/2005 à 16:58 TU

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Catherine Wihtol de Wenden

Chercheur au CNRS

«Très souvent, c’est pour fuir les discriminations à l’embauche qu’ils ont choisi l’armée. »

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