Justice
Coup de théâtre au procès en appel d’Outreau
(Photo: AFP)
Ce vendredi 18 novembre 2005 restera certainement une journée décisive dans le nouveau procès concernant l’affaire de pédophilie d’Outreau. Trois personnes, condamnées dans le premier procès qui s’était déroulé en juillet 2004 à Saint-Omer, dans le nord de la France, ces trois personnes en ont innocenté six autres. Ces dernières sont rejugées jusqu’à la fin novembre. Elles ont toujours clamé leur innocence.
Thierry Delay a été le premier à mettre hors de cause, devant la cour d’assises de Paris, les six accusés actuellement jugés en appel. «Ils ont été inculpés (mis en cause) par mon ex-épouse, ils sont innocents. On n’était que quatre dans l’affaire», a affirmé Thierry Delay devant la cour, parlant de son ex-femme et d’un couple de voisins, Aurélie Grenon et David Delplanque. «Ca me fait mal que ces six personnes soient dans cette cour d’assises», a encore précisé Thierry Delay. Et lorsque l’avocat général lui a demandé «pourquoi ne pas les avoir innocenté plus tôt ?», (pendant l’instruction), Delay a répondu : «Je ne l’ai pas fait parce que je ne voulais pas admettre ce que moi, j’avais fait». Il a ensuite présenté ses excuses à ces six personnes qu’il venait d’innocenter. Au premier procès, Delay a été condamné à vingt ans de prison.
D’autres rétractations
Quand elle a témoigné à la barre au cours de ce second procès, Aurélie Grenon, condamnée à quatre ans de prison dans cette affaire d’Outreau, a, elle aussi, innocenté les six personnes actuellement rejugées. «Je les ai accusées à tort alors qu’elles n’avaient rien fait. Je ne savais pas que cela aurait eu de telles conséquences». Aurélie Grenon et David Delplanque, condamné à six ans de prison, étaient les voisins de palier du couple Delay-Badaoui. Aurélie Grenon a déclaré vouloir «soulager sa conscience». Elle a par ailleurs mis en cause le juge d’instruction qui s’est occupé du premier procès. «Quand on n’allait pas dans son sens, il se mettait en colère», a-t-elle déclaré à l’audience, pour expliquer ses fausses déclarations.
Thierry Delay est le père des enfants qui ont été les principales victimes de cette affaire de pédophilie. Il a été condamné à 20 ans de prison pour viols de ses quatre enfants, viols commis avec son ex-épouse, Myriam Badaoui, condamnée à 15 ans d’emprisonnement.
Myriam Badaoui est, elle aussi, apparue à l’audience vendredi. Elle a déclaré que les six accusés rejugés «n’avaient strictement rien fait. Il m’est passé une folie par la tête, je voudrais leur dire pardon, j’ai menti». L’ex-femme de Thierry Delay avait accusé presque tous les adultes impliqués dans le procès d’Outreau d’avoir pris part à ces actes pédophiles. Elle était déjà revenue sur ses accusations pendant le premier procès de Saint-Omer avant de mettre une nouvelle fois en cause plusieurs personnes. Cette fois, Myriam Badaoui les disculpe à nouveau. Elle a expliqué devant la cour que les accusations soutenues entre 2001 et 2004 lui avaient été parfois suggérées par le juge Burgaud.
Deux enfants se sont rétractés jeudi, au cours de ce nouveau procès. Un abbé a été innocenté. Au cours du premier procès, il avait été condamné à sept ans de prison pour le viol de trois enfants. L’abbé Wiel a toujours clamé son innocence. Les deux enfants, entendus à huis clos jeudi, se sont tour à tour rétractés. Un troisième petit garçon était déjà revenu sur les accusations de viol par ce prêtre au cours du premier procès de Saint-Omer. L’abbé a été le voisin du couple Dealy-Badaoui mais les enfants dont on parle n’étaient pas ceux du couple.
Le témoignage des enfants en question
Pendant l’instruction conduisant au premier procès, la justice avait jugé crédible le témoignage de 17 mineurs victimes. On ne saura probablement jamais pourquoi la plupart de ces enfants ont menti, cherchant probablement à protéger des adultes dont leur survie dépendait, aussi bien sur un plan matériel qu’affectif. Car si ce nouveau procès vient de basculer en rétablissant la réputation d’un grand nombre d’adultes, les jurés, la semaine dernière, ont entendu le témoignage de l’ancienne directrice de l’école maternelle du quartier d’Outreau. C’est là que les enfants du couple Delay-badaoui étaient scolarisés. Le témoignage de cette enseignante révèle la misère affective de la plupart des jeunes enfants scolarisés dans ce quartier pauvre d’un petit village du nord de la France.
La justice française, en tout cas, veut tirer les leçons d’Outreau. «Une procédure plus contradictoire et une meilleure implication des avocats» contrebalanceraient la toute-puissance des experts dans l’interprétation de la parole des enfants, indique le juge pour enfants au tribunal de Bobigny, Alain Vogelweith. « Je demande que les enfants victimes aient toujours un avocat, ce qui n’est pas systématique aujourd’hui », a pour sa part déclaré Claire Brisset, Défenseure des droits des Enfants. Elle vient tout juste de remettre son rapport au président de la République faisant le point sur la situation des enfants en France.
En mai dernier, le ministère de la Justice avait demandé aux magistrats de mettre fin aux «expertises de crédibilité». Elles ont été la source de multiples erreurs pendant le premier procès d’Outreau. Le second procès a, par ailleurs, tourné jeudi au réquisitoire contre un psychologue qui avait jugé crédibles certains récits des quatre enfants Delay-Badaoui. Ils avaient mis en cause 70 personnes au total. Ils avaient raconté qu’ils avaient assisté à quatre meurtres et participé à des orgies avec des animaux dans une ferme en Belgique. Ces propos avaient été jugés «cohérents» par ce psychologue mis en cause au cours de ce nouveau procès.
par Colette Thomas
Article publié le 18/11/2005 Dernière mise à jour le 18/11/2005 à 17:50 TU