Israël
Sharon : le saut dans l’inconnu
(Photo: AFP)
On le surnomme le «bulldozer», en raison de sa détermination. Dans son probable dernier chantier politique, Ariel Sharon semble casser les clivages politiques traditionnels israéliens, en créant un parti au centre de l’échiquier. Et il casse la baraque dans les sondages. Selon des chiffres publiés ce mardi dans le quotidien israélien Yedioth Ahronoth, 55% des sondés estiment qu’il a fait le bon choix, en quittant le Likoud.
Ariel Sharon est l’homme politique le plus populaire en Israël. Son passé de militaire et son expérience de politicien jouent en sa faveur. Il a su se forger une image sécuritaire, appréciée des Israéliens, qui voient en lui comme un patriarche rassurant. Et cette aura dépasse largement le cadre partisan.
«Les partis semblent délaisser les idéologies au profit du pragmatisme. Et le pragmatisme, c’est l’atout d’Ariel Sharon». Cette analyse est celle de Gerald Steinberg, cité dans The New York Times. Selon ce professeur de sciences politiques à l’Université israélienne de Bar-Ilan, «Ariel Sharon est comme un pôle, autour duquel se positionneront les autres partis politiques pour la formation du nouveau gouvernement». L’ancien général espère rassembler ainsi une nouvelle majorité autour de lui. D’ores et déjà, une douzaine de députés du Likoud ont décidé de quitter leur parti, pour s’engager derrière Ariel Sharon. Et d’autres personnalités de la société civile pourraient en faire autant.
En créant un mouvement au centre de l’échiquier politique, le Premier ministre a provoqué un nouveau tremblement de terre quelques jours après le séisme déclenché par l’élection d’Amir Peretz à la tête du Parti travailliste. Résultat, ça bouge dans les états-majors et dans les consciences politiques en vue de prochaines élections législatives anticipées, prévues sans doute en mars prochain. Et Ariel Sharon compte bien sur l’effet inattendu de son initiative pour prendre tout le monde de court. Son parti d’origine, le Likoud, est groggy, distancé dans les sondages. Et ce parti positionné à droite va devoir se trouver un chef. Ils sont six à briguer la présidence du Likoud. Pour la député Naomi Blumenthal, la situation est délicate, «le départ d’Ariel Sharon va affaiblir notre parti». Et si Ariel Sharon va sûrement emmener à sa suite, une partie de l’électorat traditionnel du Likoud, il pourrait aussi grappiller des voix à gauche, dans l’électorat du parti travailliste. D’ailleurs, l’hypothèse d’une possible coalition du nouveau parti centriste avec les Travaillistes est évoquée par plusieurs observateurs. Ce qui pourrait donner des gages de réussite à Ariel Sharon, dans son aventure électorale.
Enfin, dans son pari, le Premier ministre cherche à ne pas heurter les sensibilités palestiniennes. Interrogé par la presse lundi, il a insisté sur la recherche de la paix, conformément aux objectifs de la «feuille de route» définie entre Israéliens et Palestiniens, sous l’égide de la communauté internationale. «Notre approche garantira un gouvernement stable, la prospérité économique, la paix et la tranquillité», a-t-il indiqué. Côté palestinien, on reste prudent. «La seule chose qui compte pour nous est de voir en Israël un gouvernement s’intéressant au processus de paix et capable de signer un traité de paix avec nous», a déclaré le Premier ministre palestinien Ahmad Qoreï, ce mardi. En menant à terme le retrait israélien des colonies juives de la bande de Gaza, Ariel Sharon a infléchi son image de «faucon», même s’il est encore loin d’incarner une «colombe» aux yeux des partenaires palestiniens.
Les dangers qui guettent Sharon
Si le «bulldozer Sharon» parait puissant, le chemin sur lequel il s’engage présente des obstacles délicats. En premier lieu, la persistante tradition politique israélienne selon laquelle un parti centriste n’aurait pas sa place. Pourtant, la tentation de gouverner au centre un pays familier des gouvernements de coalition gauche-droite n’est pas inédite. Ainsi, le quotidien Le Monde daté du 22 novembre rappelle les différentes tentatives de créer un parti en dehors du clivage Likoud – Travaillistes. Les «précédents (dans les années 60, en 1977, et en 1999) ne sont guère concluants», estime notre confrère. La longévité de ces partis centristes n’a généralement pas dépassé quelques années. Sur la base de ce constat, Frédéric Nordmann affirme : «Ariel Sharon est condamné à gagner». Pour l’ancien président de la section française du Likoud, «si Ariel Sharon ne gagne pas, il disparaît». A 77 ans, c’est donc peut être un ultime défi pour l’ancien général.
L’aventure est d’autant plus délicate qu’Ariel Sharon, en dépit de sa popularité, ne dispose d’aucun appareil électoral. Même son nouveau parti n’a pas encore été officiellement baptisé. Certains avancent le nom de «Responsabilité nationale», les médias israéliens évoquent l’appellation «Kadimah» («En avant» en hébreu). Un parti sans logistique, à la différence des Travaillistes et du Likoud.
Au Likoud, justement, les critiques fusent pour dénigrer Ariel Sharon. L’ancien ministre des Finances Benyamin Netanyahou l’a qualifié de «dictateur» estimant qu’il (Ariel Sharon) « ne tenait pas compte de l’avis des autres ». Les plus radicaux du parti de droite pensent que le départ d’Ariel Sharon va permettre au Likoud de se repositionner de manière plus claire, sur ses fondements de libéralisme économique et de nationalisme. Yossi Alpher, spécialiste de stratégie politique, interrogé dans The New York Times affirme pour sa part que «la stratégie de Sharon n’est pas claire. Sa plate-forme n’apporte aucune nouveauté, seulement un ensemble de vues contradictoires». Enfin, certains cadres du parti affirment qu’en quittant le Likoud, Ariel Sharon emporte avec lui les «casseroles» des scandales de corruption, qui ont terni l’image du parti depuis 1999. Ces affaires qui impliquent le fils de M. Sharon pourraient représenter un handicap dans la nouvelle aventure politique du père.
Quelles sont alors les chances de réussite pour Ariel Sharon dans sa nouvelle aventure électorale ? La réponse définitive viendra évidemment au soir des élections législatives anticipées, prévues entre fin février et fin mars. Mais les plus fins stratèges guettent aussi d’autres élections législatives, celles qui concernent les Palestiniens. Le scrutin aura lieu en janvier. Et l’issue des urnes en Cisjordanie et à Gaza, la victoire des mouvements radicaux ou modérés, pourraient orienter de nombreux votes en Israël dans les semaines suivantes. C’est un peu comme si l’avenir politique d’Ariel Sharon dépendait aussi de ceux qui furent ses «meilleurs ennemis».
par Olivier Péguy
Article publié le 22/11/2005 Dernière mise à jour le 22/11/2005 à 17:50 TU