Euro-Méditerranée
Le partenariat euro-méditerranéen piétine
(Photo : AFP)
C’était fin novembre 1995 : les représentants de l’Union européenne et dix pays de la rive sud de la Méditerranée s’engageaient à Barcelone dans un processus de partenariat privilégié. Dix ans après, jour pour jour, ces mêmes pays s’étaient donnés rendez-vous toujours à Barcelone pour faire le point sur ce processus. Et pour un anniversaire, il faut bien dire que ce n’était pas très festif. Plusieurs chefs d’Etat ou de gouvernement des pays du Sud ne s’étaient pas déplacés. Et même s’ils avaient de sérieuses excuses, cela a enlevé du crédit à ce sommet. Et puis, avant même l’ouverture des débats, les observateurs soulignaient déjà que le bilan des dix ans écoulés ne prêtait guère à l’optimisme. Le rapprochement voulu entre les deux rives de la Méditerranée ne s’est pas concrétisé. «Dix ans de processus de Barcelone n’ont pas permis d’avancée significative dans la création d’un espace de paix et de prospérité», déplore Josep Borrell, président de l’Assemblée parlementaire euro-méditerranéenne. Les chiffres qu’ils avance sont sans appel : «En dix ans, les PIB par habitants des Quinze a augmenté de 50%. Au cours de la même période, au sud de la Méditerranée, le revenu par habitant a stagné». En matière de partenariat, les pays du Sud constatent amèrement que l’Union européenne s’est davantage impliquée en faveur des pays de l’Est. De cette amertume vient sans doute la relative indifférence manifestée par rapport à ce sommet de Barcelone.
Ce rendez-vous était co-organisé par l’Espagne (pays hôte) et par la Grande-Bretagne (président en exercice de l’Union Européenne). A ce titre, le Premier ministre britannique s’est voulu résolument optimiste, à l’issue des deux jours de débats. Tony Blair a qualifié le sommet de «grand moment». Mais cet enthousiasme n’est pas franchement partagé par les observateurs. Pour preuve : aucune déclaration commune n’a été adoptée à l’issue du sommet. Seulement une déclaration de la présidence. En langage diplomatique, cette distinction est lourde de sens : il n’y a pas eu de consensus général.
Deux textes paraphés
Principal point d’achoppement : la question du terrorisme. Pour tous les participants, le sujet est source de préoccupation, parfois au quotidien. Mais sa définition pose problème. Israéliens d’un côté et pays arabes de l’autre n’accordent pas le même sens au mot «terrorisme». Dans ces conditions, difficiles de s’entendre sur une résolution commune. Les participants ont simplement réussi à adopter un «code de bonne conduite», dans lequel ils reconnaissent que «le terrorisme ne peut jamais être justifié». Une fois de plus, disent les experts, les tensions au Proche-Orient auront handicapé les perspectives de partenariat euro-méditerranéen.
L’autre texte paraphé à Barcelone est un «programme de travail» à cinq ans. Il évoque, pour les cinq années à venir, la poursuite des objectifs définis déjà en 1995 : la démocratisation, la bonne gouvernance et la libéralisation économique. L’idée d’une zone de libre-échange pour les produits industriels, qui verrait le jour en 2010, est maintenue, même si de nombreux observateurs jugent cette perspective irréalisable.
Ce «programme de travail» aborde aussi la question de l’immigration. Comme pour le terrorisme, le sujet est source de préoccupation pour tous les participants. Les récents drames humanitaires dans les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla au Maroc ont justifié les longues discussions. Sans réelle mesure concrète, les partenaires de l’Euromed se sont engagés à «promouvoir les chances d’émigration légale», et à coopérer pour «réduire de façon significative le niveau de l’émigration illégale», ainsi que le «trafic» des personnes vivant dans la région. Ces mêmes participants pourraient se retrouver au Maroc, au printemps, en compagnie de plusieurs pays d’Afrique sub-saharienne pour une conférence spécifique consacrée à l’immigration.
«Réelle déception» au Sud
Au lendemain de ce sommet de Barcelone, les avis sont plus que mitigés. Les médias en Europe soulignent le caractère minimaliste des engagements pris. Le quotidien économique français Les Echos parle de «résultats décevants», d’un «texte édulcoré». Le journal Libération évoque une «ambiance de fiasco». L’éditorialiste du quotidien espagnol La Vanguardia décrit «une divergence de fond : les Etats du Sud demandent davantage d’aides, alors que ceux du Nord veulent subordonner (ces aides) à des avancées sur le plan de la démocratisation». Cette analyse est amplifiée dans la bouche du ministre d’Etat algérien, Abdelaziz Belkhadem : «Nous trouvons humiliant que les Européens nous demandent des réformes en échange de quelques euros. Qu’ils gardent leurs euros car nous voulons des réformes dans un cadre de souveraineté». Ces propos sont repris ce mardi dans la presse algérienne. Le Quotidien d’Oran regrette que «les dix ans de partenariat euro-méditerranéen n’(aient) pas été à la hauteur des attentes espérées». Pour El Watan, ce sommet de Barcelone avait presque des airs de «chronique d’un échec annoncé». Enfin, selon le journal El-Moudjahid, pro-gouvernemental, c’est une «réelle déception».
Qu’attendre alors pour les prochaines années ? Si les optimistes veulent encore croire qu’un pont est possible, souhaitable entre les deux rives de la Méditerranée, les plus pessimistes ne se font pas d’illusions. Ainsi Sami Naïr, professeur de science politique à l’Université de Paris-VIII. Dans une tribune libre publiée dans le quotidien Libération, il pense que «la stratégie de Barcelone est condamnée à disparaître dans les trois années qui viennent au nom d’une nouvelle approche baptisée plus justement de «grand voisinage», dans laquelle la Tunisie et le Maroc, le Liban et Israël, etc. seront associés à l’Europe au même titre que… la Moldavie, l’Ukraine et la Russie !»
par Olivier Péguy
Article publié le 29/11/2005 Dernière mise à jour le 29/11/2005 à 17:14 TU