Immigration
«Cette frontière, c’est une vraie passoire» (2/2)
(Photo: L. Correau/RFI)
De notre envoyé spécial à Oujda
Un poste de douane de la région d’Oujda. A l’entrée de la chicane qui mène au bâtiment, un panneau demande de ralentir. Mais il n’y a plus de voitures qui passent par là. «Les journées sont ennuyeuses, souffle un douanier. Elles font 36 heures». Officiellement, la frontière est fermée depuis 1994. La circulation, elle, continue. Un peu plus loin. A force de rouler sur une piste en terre, on atteint une vaste place où se retrouvent Marocains et Algériens, au milieu des champs. Sous l’œil complaisant de soldats marocains, l’essence qui vient d’Algérie est déchargée, transvasée. Dans un nuage de poussière elle part vers le Maroc à bord de véhicules défoncés, ou accrochée en grappes de 6 à 8 bidons sur de vieilles mobylettes. C’est une noria incessante qui part alimenter le commerce des petits vendeurs d’essence.
Pas de grillage ni mirador, ici c’est un oued qui marque la frontière entre l’Algérie et le Maroc. (Photo: L. Correau/RFI) |
Dattes, médicaments. électroménager
Immigration: la voie marocaine. (Cartographie: SB/RFI) |
Le choc imposé au secteur formel est brutal et va croissant. Le patron d’une grande marque de sodas de la région souffre de la concurrence des produits de sa propre compagnie… fabriqués en Algérie. «Les effets de change font que le produit algérien coûte 65% moins cher que le nôtre, se plaint-il. Et depuis 2003, nous avons vu monter l’emprise des contrebandiers sur notre marché. En 2003, ils n’en étaient qu’à une phase de repérage, ils captaient 4% de notre marché. On pense qu’ils sont montés à 7- 8% en 2004 et qu’actuellement, ils nous volent 10% de notre marché !»
Les passeurs sont obligés de se coordonner
Le Bombardier c’est le nom donné par les Marocains aux voitures transportant l’essence de contrebande entre l’Algérie et Maroc. (Photo: L. Correau/RFI) |
Les biens passent, les personnes aussi. Et notamment les immigrés clandestins. «Cette frontière, c’est une vraie passoire, reconnaît un militaire, mais nous n’avons pas les effectifs qui nous permettraient de la contrôler vraiment. Et puis les Algériens ne jouent pas leur rôle. Ils laissent passer les clandestins. Nous les refoulons. On joue au volley-ball avec eux. Parfois, on peut en attraper 40 dans la nuit, on les renvoie. Le lendemain, on peut retrouver les mêmes qui passent par petits groupes.» Un passeur, «le Général», explique que le voyage se fait à pied, ou motorisé. Six heures de marche entre Maghnia, base arrière des clandestins en Algérie et Oujda. Une heure en camion. «Ce sont des Marocains ou des Algériens qui fournissent les véhicules», explique «le Général». Si la contrebande de marchandises semble sans problème, faire traverser les hommes est en revanche devenu de plus en plus difficile et de plus en plus risqué. «La police marocaine laisse très rarement passer les convois, explique-t-il. Il n’y a bien qu’au niveau de la frontière que le petit policier peut accepter un billet». Les passeurs sont maintenant obligés de se coordonner et d’organiser des réunions pour savoir où patrouillent les forces de l’ordre.
par Laurent Correau
Article publié le 23/10/2005 Dernière mise à jour le 23/10/2005 à 11:30 TU