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Immigration

«Cette frontière, c’est une vraie passoire» (2/2)

Le trafic de carburant  a lieu sous le regard complaisant des forces de l’ordre marocaines.(Photo: L. Correau/RFI)
Le trafic de carburant a lieu sous le regard complaisant des forces de l’ordre marocaines.
(Photo: L. Correau/RFI)
Sur le papier, la frontière entre l’Algérie et le Maroc est fermée depuis 1994. Dans les faits, les marchandises et les personnes circulent. C’est le point de passage obligé des clandestins d’Afrique sub-saharienne qui passent à pieds ou en camion. Même si le passage devient plus difficile pour les candidats à l’émigration.

De notre envoyé spécial à Oujda

Un poste de douane de la région d’Oujda. A l’entrée de la chicane qui mène au bâtiment, un panneau demande de ralentir. Mais il n’y a plus de voitures qui passent par là. «Les journées sont ennuyeuses, souffle un douanier. Elles font 36 heures». Officiellement, la frontière est fermée depuis 1994. La circulation, elle, continue. Un peu plus loin. A force de rouler sur une piste en terre, on atteint une vaste place où se retrouvent Marocains et Algériens, au milieu des champs. Sous l’œil complaisant de soldats marocains, l’essence qui vient d’Algérie est déchargée, transvasée. Dans un nuage de poussière elle part vers le Maroc à bord de véhicules défoncés, ou accrochée en grappes de 6 à 8 bidons sur de vieilles mobylettes. C’est une noria incessante qui part alimenter le commerce des petits vendeurs d’essence.

Pas de grillage ni mirador, ici c’est un oued qui marque la frontière entre l’Algérie et le Maroc.
(Photo: L. Correau/RFI)
La frontière, un peu plus loin. C’est un oued qui marque la limite entre l’Algérie et le Maroc. Un berger et ses bêtes s’en soucient fort peu. Une voiture immatriculée en Algérie passe allègrement la limite. Son chauffeur raconte sans aucune gêne la circulation entre les deux bords. A condition de laisser le véhicule juste après la frontière. «On peut aller à Oujda, mais sans voiture, parce que le matricule est algérien. La gendarmerie marocaine nous empêche, mais sinon on irait avec le véhicule.» «La frontière entre l’Algérie et le Maroc est fermée», conclut-il, sans conviction. A l’instant arrive justement une voiture qui passe à son tour la frontière. «C’est un Algérien, il vient de vendre le gazole au Maroc. Maintenant, il va en Algérie. Entre tous les pays du monde, il y a du business à la frontière.»

Dattes, médicaments. électroménager

Immigration: la voie marocaine.
(Cartographie: SB/RFI)
Les Souks à Oujda sont remplis de produits de contrebande : dattes, médicaments, électroménager. Selon les relevés de la chambre de commerce, d’industrie et de services d’Oujda, un réfrigérateur de contrebande coûte 4 700 dirhams (DH), contre 9 700 pour le produit du circuit officiel. Vingt-cinq kilos de peintures : 170 DH dans l’informel, 250 dans l’officiel. Le pneu de voiture 380 DH dans un cas, 500 dans l’autre. La CCIS estime que le secteur informel réalise un chiffre d’affaires général de six milliards de DH, 600 millions d’euros dans la région de l’Oriental. «Encore faut-il préciser qu’il s’agit d’estimations minimales», indique la note de la Chambre.

Le choc imposé au secteur formel est brutal et va croissant. Le patron d’une grande marque de sodas de la région souffre de la concurrence des produits de sa propre compagnie… fabriqués en Algérie. «Les effets de change font que le produit algérien coûte 65% moins cher que le nôtre, se plaint-il. Et depuis 2003, nous avons vu monter l’emprise des contrebandiers sur notre marché. En 2003, ils n’en étaient qu’à une phase de repérage, ils captaient 4% de notre marché. On pense qu’ils sont montés à 7- 8% en 2004 et qu’actuellement, ils nous volent 10% de notre marché !»

Les passeurs sont obligés de se coordonner

Le Bombardier c’est le nom donné par les Marocains aux voitures transportant l’essence de contrebande entre l’Algérie et Maroc.
(Photo: L. Correau/RFI)
Car la contrebande n’est pas seulement liée aux petits trafiquants qui passent la frontière en automobile ou en mobylette. «Nous avons affaire à une véritable mafia, explique Driss Houat, député et président de la CCIS. Ce sont des grossistes qui font passer les produits. Et ces produits ne sont pas forcément ceux qui se vendent sur les souks algériens.» Une réouverture officielle de la frontière fournirait une partie de la solution. «Elle permettrait une mise à niveau, on passerait à une contrebande de panier où, au lieu des grossistes, ce seront les personnes elles-mêmes qui iront se ravitailler.» La chambre de commerce, d’industries et de service appelle aussi les autorités centrales à soutenir le tissu d’entreprises, notamment en désenclavant la région. Une autoroute Fès-Oujda est prévue à échéance 2010. Une liaison de chemin de fer Taourirt-Nador est elle aussi planifiée.

Les biens passent, les personnes aussi. Et notamment les immigrés clandestins. «Cette frontière, c’est une vraie passoire, reconnaît un militaire, mais nous n’avons pas les effectifs qui nous permettraient de la contrôler vraiment. Et puis les Algériens ne jouent pas leur rôle. Ils laissent passer les clandestins. Nous les refoulons. On joue au volley-ball avec eux. Parfois, on peut en attraper 40 dans la nuit, on les renvoie. Le lendemain, on peut retrouver les mêmes qui passent par petits groupes.» Un passeur, «le Général», explique que le voyage se fait à pied, ou motorisé. Six heures de marche entre Maghnia, base arrière des clandestins en Algérie et Oujda. Une heure en camion. «Ce sont des Marocains ou des Algériens qui fournissent les véhicules», explique «le Général». Si la contrebande de marchandises semble sans problème, faire traverser les hommes est en revanche devenu de plus en plus difficile et de plus en plus risqué. «La police marocaine laisse très rarement passer les convois, explique-t-il. Il n’y a bien qu’au niveau de la frontière que le petit policier peut accepter un billet». Les passeurs sont maintenant obligés de se coordonner et d’organiser des réunions pour savoir où patrouillent les forces de l’ordre.


par Laurent  Correau

Article publié le 23/10/2005 Dernière mise à jour le 23/10/2005 à 11:30 TU