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Immigration

Clandestins, piégés par les filières d’émigration (1/2)

Au centre d'accueil de Melilla.(Photo: Laurent Correau/RFI)
Au centre d'accueil de Melilla.
(Photo: Laurent Correau/RFI)
On leur avait fait miroiter une vie meilleure en Europe. Ils ont donc fait leur sac et pris la route. Un voyage long, marqué par la faim et les violences, sans qu’il y ait forcément une issue au bout du chemin. L’Europe renforçant le contrôle de ses frontières, il devient de plus en plus difficile de passer de l’autre côté. De nombreux clandestins sont piégés dans les pays de transit, s’accrochant à l’espoir d’un hypothétique passage vers l’Europe, à défaut de pouvoir revenir en arrière.

De notre envoyé spécial à Oujda

Un clandestin au quartier du «Vietnam».
(Photo: Laurent Correau/RFI)
Les habitants d’Oujda ont surnommé ce quartier «le Vietnam» pendant les années 60, en raison de son état de délabrement et d’insalubrité. «Le Vietnam» va mieux, mais au bout de la ruelle, on trouve toujours un terrain vague vallonné. Le silence laisse percer le bourdonnement des lignes à haute tension. C’est ici qu’ils sont. Demain, ils seront ailleurs. Ils sont clandestins. Nigérians, Libériens, Camerounais. Un petit groupe. Et rien ne les fera renoncer à leur projet d’émigration. Ils iront jusqu’au bout, jusqu’à l’Europe. «Nous avons quitté nos pays avec un objectif, vous me comprenez ?» assène un Nigérian de sa voix cassée. Et un autre, Libérien, de poursuivre: «Les gens disent que nous devons rentrer chez nous. Mais je leur dis que je ne retournerai pas dans mon pays. Là bas on est pauvres. Ma famille est pauvre. Manger est très dur». Il est presque menaçant: «Si je retourne dans mon pays, je constaterai qu’il n’y a pas d’emploi, et je commencerai à me promener avec une arme à feu pour trouver l’argent qui me permettra de vivre.» La conversation se poursuit, le groupe s’effiloche. Brownson, 24 ans, se laisse aller à la confidence. Il vient du Nigéria qu’il a quitté il y a cinq ans. «Ma femme a réussi à passer avec mon enfant, par Tanger. Ils sont en Europe. Ils m’envoient de l’argent. Je tenterai tout ce que je peux pour entrer en Europe et les retrouver

Immigration: la voie marocaine.
(Cartographie: SB/RFI)

Il y a les jusqu’au-boutistes, il y a les autres. A l’heure où le soleil rase le sol, Mougnol Amoungam le premier secrétaire de l’ambassade du Cameroun part à la rencontre d’un groupe de clandestins. Le portable permet d’entrer en contact. Puis de se retrouver en bordure d’une route d’Oujda. Le diplomate appelle ses concitoyens à la raison, et leur conseille de réfléchir à un éventuel retour au pays qui pourrait être organisé en collaboration avec les Marocains. La réponse n’est pas négative, loin de là. «Si j’avais su que l’expérience ressemblerait à cela, jamais je ne serai venu jusqu’ici» raconte l’un des Camerounais. Ses traits se tirent alors qu’il parle. La déception.

Ils sont nombreux à avoir entendu parler des vols organisés pour rapatrier les Maliens et les Sénégalais arrêtés dans la région d’Oujda. Onze vols. 1 568 personnes selon les chiffres officiels: 827 Sénégalais, 741 Maliens. Les départs étaient censés être volontaires. A défaut, ils auront sans doute été acceptés par de nombreux clandestins. Trois Maliens sont même venus de leur propre initiative rejoindre le groupe. Lassés par ces longs mois passés dans la forêt: «C’est très dangereux. On est attaqués. On a fui, on ne nous a pas rattrapés. Les Marocains voulaient nous attaquer pour nous refouler. Quand tu te blesses, il n’y a pas de médicament. Même pour te laver, ce n’est pas tous les jours. On boit de l’eau qui est mauvaise. C’est très très difficile. On a entendu qu’il y a des vols qui partent rapatrier les gens, les amener dans leur pays d’origine. On est venus pour repartir dans notre pays d’origine.»

Le bus qui conduit un groupe de Sénégalais à l’aéroport est silencieux. «On est fatigués» lâche l’un des passagers. Tous sont partis avec, sous le bras, la couverture qui leur a été donnée par les autorités. Et puis l’un d’eux raconte: «En un an, j’ai vécu des tabassages, On m’a frappé, on m’a maltraité. On m’a mis en prison. Ils ne reconnaissent pas les droits de l’homme, ici, au Maroc. Ils ne reconnaissent pas ça. Nous ne sommes pas contents des Marocains. On a déchiré mon passeport. Je n’ai plus rien. On m’a tout pris, hier à Nador au commissariat. Je suis content de retrouver ma patrie, mais mécontent de rentrer après douze mois sans rien.». Le silence revient. Pour meubler, le chauffeur du car lance la musique arabe.

Dans le gymnase où des Maliens attendent le départ, même réaction: «J’ai trop souffert au Maroc. Avant, quand je suis venu ici, j’avais de l’argent. Maintenant je suis comme ça (il montre ses vêtements sales) J’ai presque perdu ma vie pour aller en Europe. Je ne fais plus cette route, c’est fini. Je vais rentrer chez moi

Grillage frontière actuel entre l'enclave espagnole de Melilla et le Maroc.
(Photo: Laurent Correau/RFI)
Les violences dont sont victimes les clandestins au Maroc ont été décrites par la section espagnole de MSF, Médecins sans frontières. Dans un rapport intitulé «Violence et immigration», l’organisation explique que les deux tiers des violences subies par les clandestins au cours de leur périple marocain et lors du franchissement de la frontière espagnole sont le fait des forces de l’ordre des deux pays. Leur nombre a «considérablement augmenté» ces derniers mois: «D’après les récits recueillis par nos équipes médicales sur le terrain, indique le texte, il existe de nombreuses formes de violence, dont les séquelles physiques vont du traumatisme grave causé par la chute du grillage de séparation marquant la frontière, ou pendant la fuite face aux forces de sécurité marocaines, aux blessures par balles, en passant par les coups, le harcèlement des chiens, y compris des cas de décès et de violence sexuelle.» «l’une des conséquences de cette spirale de violence dans laquelle sont plongés les immigrants subsahariens, lit-on plus loin, est la détérioration évidente de leur santé mentale. Nous sommes entre autres confrontés à des symptômes de dépression, d’obsession, des cas d’anxiété et d’irritabilité, des pertes de mémoire, (…) qui sont aggravées par la sensation de déracinement, l’absence de perspectives de réussite et la perte de la capacité de choisir.» Où qu’on les croise, les clandestins témoignent de cette violence. «Les forces auxiliaires marocaines, c’est notre pire cauchemar» lâche un Camerounais qui a finalement réussi à franchir les grilles de Melilla. Il raconte les coups sur les doigts, les chevilles, les genoux quand un clandestin est arrêté «C’est pour te paralyser, pour te dissuader de venir au grillage

Hors de son pays depuis presque 7 ans

Les exactions des forces auxiliaires marocaines et de la guardia civil espagnole ont été très médiatisées. Elles ne sont pas les seules. Tout au long du parcours qui mène aux portes de l’Europe, les clandestins sont rackettés, agressés. En voici un qui raconte le vol de son argent par des corps habillés maliens, au Nord. Un autre qui dit avoir dû marcher plusieurs jours dans le désert algérien, après avoir été abandonné par ses passeurs touaregs. Une filière d’immigration clandestine n’est pas seulement l’espoir de lendemains meilleurs, c’est aussi un piège dans lequel sont pris les candidats à l’émigration. «On rencontre souvent le problème de personnes perdues dans les pays de transit, explique Jean-Philippe Chauzy de l’IOM, l’International Organization for Migration. Les filières ne fonctionnent que dans un sens et pour le clandestin il n’y a pas d’autre solution que la course en avant…» Les parcours peuvent être longs, très longs. Il faut financer le voyage entre chaque étape. Se reconstituer un pécule quand on a été détroussé. Financer un nouveau passage en cas de refoulement vers l’Algérie… L’Algérie est un endroit où l’on peut travailler. La famille est aussi mise à contribution grâce à un véritable système informel de transfert d’argent. Les mois passent, puis les années. Moses est Libérien. Il a quitté son pays il y aura bientôt 7 ans. Il aura traversé la Côte d’Ivoire. Puis le Mali, le Niger, l’Algérie, et le Maroc.

Moses a quitté le Liberia depuis sept ans.
(Photo: Laurent Correau/RFI))
Le temps passé et l’argent dépensé rendent le retour d’autant plus difficile… Comment reprendre pied, au pays, après un tel échec ? Les mécanismes de retour et de réinsertion n’existent pas encore. Les pays d’origine ne sont de toute façon pas forcément mobilisés. Un activiste de la société civile d’Oujda dénonce ce désintérêt: avant les récents événements, dit-il, «jamais une ambassade ou un chargé de mission d’une ambassade n’est venu voir les ressortissants subsahariens qui sont en état illégal au Maroc. On a même fait beaucoup d’appels, mais ils n’ont jamais répondu. Il y a deux ans, il y a des africains qui sont morts ici à Oujda. Ils ont été enterrés après être restés trois mois dans la morgue et leurs ambassades ne les ont pas reconnus.»

Ce désintérêt contraste avec la précarité croissante des clandestins. Au fil du temps, le piège devient de plus en plus serré, et de plus en plus destructeur. Les autorités espagnoles ont décidé il y a quelques jours qu’elles dépenseraient 17 millions d’euros pour renforcer les barrières qui entourent Melilla. Le deuxième mur de grillage sera surélevé d’ici un mois. La Sirga, un entrelacs de câbles destiné à ralentir les clandestins va être déployée. Les Marocains, eux, creusent un fossé. Franchir le grillage va devenir quasi impossible. Quand la sécurité se renforce, les filières évoluent. Et essaient de passer par d’autres routes. «Cette année, on a eu jusqu’à présent à peu près 12 000 tentatives de franchissement de la frontière, que ce soit à Ceuta ou à Melilla, explique Jean-Philippe Chauzy de l’IOM. Mais en fait, quand on compare avec les chiffres de 2004, on avait à ce moment 55 000 tentatives de franchissement. Ce ralentissement peut vouloir dire que les filières d’émigration clandestine se diversifient. Malheureusement, à chaque fois ces filières poussent les gens dans des situations qui sont de plus en plus dangereuses, les faisant traverser des déserts, ou leur faisant traverser par exemple la mer qui sépare la côte mauritanienne des îles Canaries.» Réduire l’immigration clandestine demande des politiques de coopération ambitieuse, et nécessite une approche sécuritaire aux frontières. Mais il faut aussi trouver des portes de sortie aux clandestins qui auraient fait fausse route, pour que le piège ne se referme pas sur eux.

«C'est un problème pour le Maroc.»
Une famille marocaine donne son point de vue sur l'immigration
Par Laurent Correau  [20/10/2005] 02 min 43 sec
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par Laurent Correau

Article publié le 21/10/2005 Dernière mise à jour le 23/10/2005 à 16:30 TU

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Laurent Correau

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