Immigration
Clandestins, piégés par les filières d’émigration (1/2)
(Photo: Laurent Correau/RFI)
De notre envoyé spécial à Oujda
Un clandestin au quartier du «Vietnam». (Photo: Laurent Correau/RFI) |
Immigration: la voie marocaine. (Cartographie: SB/RFI) |
Il y a les jusqu’au-boutistes, il y a les autres. A l’heure où le soleil rase le sol, Mougnol Amoungam le premier secrétaire de l’ambassade du Cameroun part à la rencontre d’un groupe de clandestins. Le portable permet d’entrer en contact. Puis de se retrouver en bordure d’une route d’Oujda. Le diplomate appelle ses concitoyens à la raison, et leur conseille de réfléchir à un éventuel retour au pays qui pourrait être organisé en collaboration avec les Marocains. La réponse n’est pas négative, loin de là. «Si j’avais su que l’expérience ressemblerait à cela, jamais je ne serai venu jusqu’ici» raconte l’un des Camerounais. Ses traits se tirent alors qu’il parle. La déception.
Ils sont nombreux à avoir entendu parler des vols organisés pour rapatrier les Maliens et les Sénégalais arrêtés dans la région d’Oujda. Onze vols. 1 568 personnes selon les chiffres officiels: 827 Sénégalais, 741 Maliens. Les départs étaient censés être volontaires. A défaut, ils auront sans doute été acceptés par de nombreux clandestins. Trois Maliens sont même venus de leur propre initiative rejoindre le groupe. Lassés par ces longs mois passés dans la forêt: «C’est très dangereux. On est attaqués. On a fui, on ne nous a pas rattrapés. Les Marocains voulaient nous attaquer pour nous refouler. Quand tu te blesses, il n’y a pas de médicament. Même pour te laver, ce n’est pas tous les jours. On boit de l’eau qui est mauvaise. C’est très très difficile. On a entendu qu’il y a des vols qui partent rapatrier les gens, les amener dans leur pays d’origine. On est venus pour repartir dans notre pays d’origine.»
Le bus qui conduit un groupe de Sénégalais à l’aéroport est silencieux. «On est fatigués» lâche l’un des passagers. Tous sont partis avec, sous le bras, la couverture qui leur a été donnée par les autorités. Et puis l’un d’eux raconte: «En un an, j’ai vécu des tabassages, On m’a frappé, on m’a maltraité. On m’a mis en prison. Ils ne reconnaissent pas les droits de l’homme, ici, au Maroc. Ils ne reconnaissent pas ça. Nous ne sommes pas contents des Marocains. On a déchiré mon passeport. Je n’ai plus rien. On m’a tout pris, hier à Nador au commissariat. Je suis content de retrouver ma patrie, mais mécontent de rentrer après douze mois sans rien.». Le silence revient. Pour meubler, le chauffeur du car lance la musique arabe.
Dans le gymnase où des Maliens attendent le départ, même réaction: «J’ai trop souffert au Maroc. Avant, quand je suis venu ici, j’avais de l’argent. Maintenant je suis comme ça (il montre ses vêtements sales) J’ai presque perdu ma vie pour aller en Europe. Je ne fais plus cette route, c’est fini. Je vais rentrer chez moi.»
Grillage frontière actuel entre l'enclave espagnole de Melilla et le Maroc. (Photo: Laurent Correau/RFI) |
Hors de son pays depuis presque 7 ans
Les exactions des forces auxiliaires marocaines et de la guardia civil espagnole ont été très médiatisées. Elles ne sont pas les seules. Tout au long du parcours qui mène aux portes de l’Europe, les clandestins sont rackettés, agressés. En voici un qui raconte le vol de son argent par des corps habillés maliens, au Nord. Un autre qui dit avoir dû marcher plusieurs jours dans le désert algérien, après avoir été abandonné par ses passeurs touaregs. Une filière d’immigration clandestine n’est pas seulement l’espoir de lendemains meilleurs, c’est aussi un piège dans lequel sont pris les candidats à l’émigration. «On rencontre souvent le problème de personnes perdues dans les pays de transit, explique Jean-Philippe Chauzy de l’IOM, l’International Organization for Migration. Les filières ne fonctionnent que dans un sens et pour le clandestin il n’y a pas d’autre solution que la course en avant…» Les parcours peuvent être longs, très longs. Il faut financer le voyage entre chaque étape. Se reconstituer un pécule quand on a été détroussé. Financer un nouveau passage en cas de refoulement vers l’Algérie… L’Algérie est un endroit où l’on peut travailler. La famille est aussi mise à contribution grâce à un véritable système informel de transfert d’argent. Les mois passent, puis les années. Moses est Libérien. Il a quitté son pays il y aura bientôt 7 ans. Il aura traversé la Côte d’Ivoire. Puis le Mali, le Niger, l’Algérie, et le Maroc.
Moses a quitté le Liberia depuis sept ans. (Photo: Laurent Correau/RFI)) |
Ce désintérêt contraste avec la précarité croissante des clandestins. Au fil du temps, le piège devient de plus en plus serré, et de plus en plus destructeur. Les autorités espagnoles ont décidé il y a quelques jours qu’elles dépenseraient 17 millions d’euros pour renforcer les barrières qui entourent Melilla. Le deuxième mur de grillage sera surélevé d’ici un mois. La Sirga, un entrelacs de câbles destiné à ralentir les clandestins va être déployée. Les Marocains, eux, creusent un fossé. Franchir le grillage va devenir quasi impossible. Quand la sécurité se renforce, les filières évoluent. Et essaient de passer par d’autres routes. «Cette année, on a eu jusqu’à présent à peu près 12 000 tentatives de franchissement de la frontière, que ce soit à Ceuta ou à Melilla, explique Jean-Philippe Chauzy de l’IOM. Mais en fait, quand on compare avec les chiffres de 2004, on avait à ce moment 55 000 tentatives de franchissement. Ce ralentissement peut vouloir dire que les filières d’émigration clandestine se diversifient. Malheureusement, à chaque fois ces filières poussent les gens dans des situations qui sont de plus en plus dangereuses, les faisant traverser des déserts, ou leur faisant traverser par exemple la mer qui sépare la côte mauritanienne des îles Canaries.» Réduire l’immigration clandestine demande des politiques de coopération ambitieuse, et nécessite une approche sécuritaire aux frontières. Mais il faut aussi trouver des portes de sortie aux clandestins qui auraient fait fausse route, pour que le piège ne se referme pas sur eux.
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par Laurent Correau
Article publié le 21/10/2005 Dernière mise à jour le 23/10/2005 à 16:30 TU