Afrique du Sud
Fin de parcours pour Jacob Zuma ?
(Photo : Valérie Hirsch/RFI)
De notre corresponsdante à Johannesburg
Jacob Zuma a été inculpé de viol, suite à la plainte déposée le 3 novembre par une jeune femme de 31 ans, la fille d’un ami défunt, qui accuse le leader zoulou âgé de 63 ans de l’avoir agressée chez lui, dans sa maison de Johannesburg. «J’abhorre toute forme d’abus contre les femmes», a déclaré Zuma, dans un communiqué lu par son avocat, après sa brève comparution devant un juge, qui l’a libéré sous caution. L’ex-numéro deux sud-africain clame son innocence. Il a annoncé qu’il suspendait sa participation à toute instance dirigeante de l’ANC, mais restait vice-président du parti. Il n’est pas sûr toutefois que les dirigeants du parti au pouvoir – qui ont décidé de tenir une session spéciale, mardi soir – lui en laisseront le loisir…
Les affaires de viol ne sont pas prises à la légère dans un pays qui connaît l’un des taux les plus élevés au monde en matière d’agressions sexuelles. Plus que l’affaire de corruption pour laquelle Zuma a été inculpé en juillet, elle pourrait entraîner la mort politique de l’ancien chef des services secrets de l’ANC, qui a joué un rôle clé pour ramener la paix au Kwazulu-Natal et, plus récemment, au Burundi. Tant le syndicat Cosatu que le parti communiste ont commencé, en effet, à prendre leurs distances vis-à-vis de leur allié. Ces derniers mois, ils s’étaient rangés –de même que la Ligue des jeunes de l’ANC et une bonne partie de la base du parti– derrière Zuma. Ce dernier accuse Thabo Mbeki d’avoir orchestré un complot (dont le dernier avatar serait cette accusation de viol) pour l’écarter de la course à sa succession au sommet de l’Etat, en 2009.
«Il ne survivra pas à cette affaire de viol»
La «guerre » est ouverte entre les deux hommes et leurs camps respectifs (la gauche du parti et les Zoulous pour Zuma, la nouvelle bourgeoisie noire pour Mbeki) depuis que le chef de l’Etat a limogé, le 14 juin, son numéro deux de la vice-présidence du pays. Une décision justifiée par la condamnation à quinze ans de prison de Shabir Shaik, un homme d’affaires qui a versé 160 000 euros à Zuma pour obtenir plusieurs contrats, en faveur de sa société Nkobi holding. L’un de ces contrats a bénéficié à Thalès. Le géant français de l’électronique militaire avait été choisi pour équiper des corvettes commandées par l’armée sud-africaine en 1998. Deux ans plus tard, menacé par une enquête anti-corruption, Thalès avait accepté de verser un pot de vin annuel de 62 500 euros à Zuma, en échange de sa protection.
Zuma et Thalès ont tous deux été inculpés de corruption : le procès débutera le 31 juillet 2006 à Durban. Quant au procès pour viol, il s’ouvrira le 13 février à Johannesburg. On peut douter toutefois que l’ancien prisonnier de Robben Island puisse encore compter sur la foule de supporteurs portant des T-shirt barrés d’un «100 % Zuma», qui l’ont acclamé à chacune de ses apparitions publiques depuis le début de ses ennuis judiciaires. Ces derniers mois, le leader zoulou avait réussi, en effet, à fédérer tous les mécontents. «C’est la première fois depuis 1940 que la direction nationale de l’ANC a été ouvertement remise en cause», commente Steve Friedman, directeur au Centre d’études politiques de Johannesburg.
L’atmosphère est vite devenue empoisonnée : tous les coups semblent permis dans l’affrontement entre les camps «Zuma» et «Mbeki». «Les partisans de Zuma reprochent surtout à Mbeki d’avoir concentré les pouvoirs au sein de la présidence et de ne pas consulter le syndicat Cosatu et le parti communiste, qui font partie de l’alliance au pouvoir».
Si Zuma, l’homme du peuple autodidacte semble avoir toutes les qualités – excellent orateur, proche des masses, consensuel, très accessible, charmeur – qui manquent au chef de l’Etat, il a aussi des faiblesses, qui ne relèvent pas seulement du domaine financier. Beaucoup de commentateurs doutent qu’il ait l’étoffe d’un chef d’Etat : «Même s’il est innocenté, il ne survivra pas à cette affaire de viol, prédit le politologue Aubrey Matshiqi. Le procès risque de ternir à jamais son image publique.»
par Valérie Hirsch
Article publié le 06/12/2005 Dernière mise à jour le 06/12/2005 à 18:00 TU