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Laïcité

L'étrange conception française

Cent ans après la loi sur la séparation de l'Eglise et de l'Etat, la laïcité reste un sujet sensible en France.(Montage : AFP/RFI)
Cent ans après la loi sur la séparation de l'Eglise et de l'Etat, la laïcité reste un sujet sensible en France.
(Montage : AFP/RFI)
Jamais en reste de commémoration, la France célèbre plutôt mezzo voce le centenaire de la promulgation de la loi du 9 décembre 1905, instaurant la séparation des Eglises et de l’Etat, l’acte fondateur du pacte républicain. Au quotidien, en tout cas, son application suscite parfois étonnement et interrogation de la part des ressortissants étrangers. Le regard des journalistes des rédactions en langues étrangères de RFI.

Günter Liehr, journaliste à la rédaction en langue allemande est un ardent défenseur de la laïcité. Selon lui, les Allemands ont du mal à saisir ce concept de laïcité, car «l’enseignement de l’histoire des religions est obligatoire à l’école laïque et les Eglises (catholique et évangélique) sont une composante essentielle de la société. Par leur pouvoir décisionnel, elles jouent un rôle politique, elles sont aussi financées par un impôt obligatoire, l’exonération de l’impôt impliquant que l’on sorte de l’Eglise, car on en fait partie dès la naissance. Tout le système allemand est différent du modèle français et pour revenir à la France, l’affaire du voile a été montée en épingle. Il ne s’agissait que de quelques cas isolés. Le voile cachait en fait un malaise plus profond, on l’a bien vu avec les explosions de violence dans les banlieues».

Même son de cloche à la rédaction polonaise où Piotr Blonski nous explique que ses compatriotes «ne comprennent pas que les Français soient aussi crispés sur la question». Vue de Pologne, où le contexte historique est favorable à l’Eglise catholique, la laïcité française est perçue «comme une attaque contre la religion en général». Notre confrère rappelle l’étonnement dans son pays devant le tollé des tenants de la laïcité, «sur la présence du pape, à Reims, pour célébrer le baptême de Clovis que certains identifient comme l’événement fondateur de la France. On a alors assisté à des scènes frisant l’hystérie. Les Polonais ont comparé la France à un asile de fous».

Pourtant, en théorie, selon le dictionnaire Le Petit Robert, la définition est des plus claires : «Laïcité : principe de séparation de la société civile et de la société religieuse, l’Etat n’exerce aucun pouvoir religieux et les Eglises aucun pouvoir politique. «La laïcité, c’est l’Etat neutre entre les religions (Ernest Renan)».

Selon Yannick Chen, de la rédaction chinoise, le concept de laïcité n’entre pas, en Chine, dans la mentalité collective. «La culture chinoise n’étant pas monothéiste, nous sommes donc obligés de respecter les rites de l’autre, qui passent par la culture et la civilisation et non par le religieux. Le bouddhisme qui vient de l’Inde cohabite très bien avec le taoïsme et le confucianisme. Personne ne s’étonne de voir un bouddha dans un temple taoïste. Le principe du pluralisme religieux étant admis, tout est toléré et donc la laïcité ne se pose même pas. Maintenant en France, il s’agit de savoir si le modèle républicain, fondé sur la laïcité, est capable de régler les problèmes actuels liés à l’intégration. C’est un défi».

Chez les «latinos», appellation interne et amicale des confrères des rédactions qui diffusent en direction de l’Amérique du Sud, Mariana Moreno suit le débat sur la laïcité avec beaucoup d’intérêt. «Bien sûr, la laïcité est une bonne chose. Je suis Argentine et je viens d’un pays où la collusion du haut-clergé avec le pouvoir politique et l’oligarchie, les grands propriétaires terriens, est patente. Le catholicisme est religion d’Etat. A tel point que le président de la République se doit d’être catholique. Il ne faut pas oublier non plus l’impact énorme de l’Opus Dei sur tout le continent sud-américain. La résurgence de la polémique autour de la laïcité en France est liée au post-colonialisme qui n’a pas disparu des mentalités. Par exemple, dans le conflit entre la société civile et le monde enseignant concernant l’affaire du voile à l’école, les médias ne savent pas de quoi ils parlent. La plupart des journalistes français ne connaissent pas les pays arabes, ni l’islam». Maria Emilia Alencar, brésilienne, note «un dysfonctionnement de la laïcité dans le processus d’intégration de la communauté musulmane».

La montée de l’islam change la donne  

La question de l’islam en France ne se posait pas dans les mêmes termes, il y a cent ans. La loi de séparation des Eglises et de l’Etat promulguée le 9 décembre 1905, a vu le jour dans un contexte d’anticléricalisme virulent. A l’époque, elle est principalement conçue pour contrer l’influence politique des catholiques. En 1905, les adeptes de l’islam sont quasiment inexistants en France métropolitaine. Cent ans plus tard, avec 5 millions de fidèles, l'islam est devenu la deuxième religion, derrière le catholicisme (40 millions), loin devant le protestantisme (un million) et le judaïsme (600 000).

Tout au long du XXe siècle, la polémique autour de la laïcité perdurera toutefois de manière récurrente, notamment à propos du «dualisme scolaire», entre la société civile et le monde enseignant, entre l’école publique et l’école privée. Dernier avatar en date, suite à la loi bannissant tout insigne religieux ostentatoire à l’école de la République, l’interdiction du port du voile, pour les jeunes filles musulmanes.

D’origine marocaine, Samira Dufour, de RMC-Moyen-Orient (filiale de RFI) reproche aux médias français, notamment les chaînes télévisées, «d’avoir gonflé le sujet, comme dans le traitement des violences dans les banlieues.Ce que je reproche aux musulmans qui vivent en France», poursuit-elle, «c’est qu’en venant ici, ils savent pertinemment qu’ils sont en pays chrétien. Une occidentale qui vient en Arabie Saoudite doit se voiler. Alors aux musulmans de France de se conformer à la loi laïque, là où elle s’applique. Ensuite libre à eux de faire ce qu’ils veulent, en dehors de l’école et des institutions publiques». Kaafa Rani, Libanaise musulmane, estime que la laïcité à l’école est une condition sine qua non pour une bonne cohabitation entre les différentes communautés, «contrairement au Liban où chaque courant politique parle au nom d’une communauté religieuse. La société est fissurée par la multiplicité des courants». En revanche, le journaliste tunisien Taoufik Mjaied, non pratiquant, reproche aux chaînes de TV arabes «d’avoir mal interprété l’interdiction du port du voile à l’école et de l’avoir comprise comme un rejet de l’islam». Au Maghreb prévaut le sentiment, poursuit-il, «qu’en France, on n’a toujours pas dépassé le complexe de la colonisation».

«Si la laïcité était vraiment acquise, et bien comprise par tous, on n’aurait pas besoin de la redéfinir sans cesse». Une évidence pour notre consoeur iranienne, Darya Kianpour. Exilée depuis vingt ans, elle a fui le fanatisme religieux des Ayatollahs.

«Un combat d’arrière-garde»

Daniel Brown, de père américain et de mère égyptienne, travaille à la rédaction en langue anglaise. Il penche aussi pour une ingérence déguisée du religieux dans le débat sur la laïcité. «C’est un combat d’arrière-garde», guidé «par la peur de l’autre, de la différence».

Günter Liehr et Piotr Blonski évoquent la Grande-Bretagne où le port du vêtement religieux ne fait l’objet d’aucune censure. «Les sikhs policiers ont le droit de porter leur turban», précise Günter, «et l’intégration ne s’en porte pas plus mal», conclut Piotr.

Vue d’Afrique, la laïcité est également un curieux concept. Didier Samson, originaire du Bénin et journaliste à la rédaction internet de RFI, explique que «les populations d’Afrique noire sont croyantes et pratiquantes. Et si la religion n’est pas une doctrine politique, le discours politique y fait souvent référence. Pour eux, ce n’est pas différent du président des Etats-Unis qui, lors de son investiture, prête serment sur la bible. Les populations africaines ont aussi hérité du colonialisme et de la laïcité, donc tout est mélangé. Au Sénégal, où le premier président, Leopold Sedar Senghor était catholique, dans un pays qui compte plus de 90% de musulmans, les principes fondamentaux de la laïcité à la française sont naturellement appliqués. Par exemple, les scolaires suivent le calendrier des fêtes religieuses chrétiennes et des jours sont également fériés pour les fêtes musulmanes. Avec pour conséquence un fort taux d’absentéisme».

En France aussi, les républicains purs et durs ne sont pas les derniers à organiser leur temps libre autour de Pâques ou de Noël. Et les récriminations tous azimuts, quand il s’est agi de transformer le lundi de Pentecôte en jour ouvrable, n’ont fait que souligner un peu plus ce paradoxe.   


par Françoise  Dentinger

Article publié le 09/12/2005 Dernière mise à jour le 09/12/2005 à 14:45 TU