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Société

L’école à l’épreuve de la religion

Beaucoup de jeunes découvrent la religion en dehors du milieu familial et sont ensuite incités à revendiquer leur appartenance religieuse dans les établissements scolaires, où ils côtoient des individus d’autres confessions. 

		(Montage : AFP/RFI)
Beaucoup de jeunes découvrent la religion en dehors du milieu familial et sont ensuite incités à revendiquer leur appartenance religieuse dans les établissements scolaires, où ils côtoient des individus d’autres confessions.
(Montage : AFP/RFI)
Un rapport de l’Inspection générale de l’Éducation nationale remis vendredi 9 juillet au ministre de l’Education Nationale, sur « les signes et manifestations d’appartenance religieuse dans les établissements scolaires » fait état d’ « évolutions inquiétantes ». Ces phénomènes s’étendent bien au-delà de la question du port du voile.

Vêtements, nourriture, enseignements du sport ou de la philosophie, l’école est aujourd’hui confrontée à une nouvelle réalité : la multiplication de manifestations d’appartenance religieuse, individuelles et collectives. Celles-ci revêtent plusieurs formes et ne sont pas toujours licites, comme la contestation de l’enseignement ou le refus de participer à certaines activités. L’Inspection générale est donc allée sur le terrain et a visité une dizaine d’établissements scolaires répartis dans une vingtaine de départements. Collèges, lycées et lycées professionnels publics jugés « susceptibles, davantage que d’autres, d’être affectés par des manifestations de la religion » ont fait l’objet d’une étude rigoureuse.

De plus en plus de villes de banlieues mais aussi de bourgs et petits villages sont touchés par le phénomène de « ghettoïsation ». Cette ségrégation sociale et ethnique a inévitablement des incidences dans les établissements scolaires. En parallèle, le rapport fait état d’une « islamisation » du quartier et d’un communautarisme certain impulsés par la recrudescence d’actes racistes et antisémites : insultes, menaces, agressions bien ciblées. Cela implique des changements conséquents dans les modes de vie et les comportements sociaux, familiaux et personnels. Beaucoup de jeunes découvrent la religion en dehors du milieu familial et sont ensuite incités à revendiquer leur appartenance religieuse dans les établissements scolaires, où ils côtoient des individus d’autres confessions. L’existence de surenchère entre organisations joue ici un rôle important. Besoin de s’affirmer parmi les autres. L’école se trouve ainsi être le réceptacle des pressions religieuses.

Un des phénomènes les plus marquants et des plus graves est celui de la régression de la condition féminine. Les filles sont de plus en plus contrôlées et surveillées rigoureusement, parfois jusqu’à l’obsession. Maquillage, jupe ou robe sont interdits. Le vêtement ample est de rigueur pour ne pas susciter les convoitises. La mixité est souvent dénoncée. A ce titre, certaines sorties scolaires ou activités sportives (piscine ou activités en plein-air) sont condamnées. Si les filles transgressent ces règles, le verdict est sévère. La punition revêt souvent la forme de violences physiques. Et comme le précise le rapport, « les violences à l’encontre des filles ne sont pas nouvelles, ce qui l’est davantage est qu’elles puissent être commises de plus en plus souvent ouvertement au nom de la religion ». Le fonctionnement du système scolaire laïque pose également un certain nombre de problèmes aux mamans. Le rapport prend l’exemple de ces femmes qui ne peuvent plus aller chercher leurs enfants à l’école et sont obligées de confier la tâche à « un aîné ou une voisine », parce qu’elles sont contraintes de rester au domicile pour ne pas s’exposer.

Tout un système scolaire contesté

Les manifestations d’appartenance religieuse concerne aussi bien la manière de se vêtir que la façon de se nourrir ou d’investir le temps. Les conséquences dans la vie scolaire sont multiples et se traduisent aujourd’hui par des « dérives préoccupantes ». Un nombre croissant d’élèves refusent de manger la nourriture qui n’a pas été abattue selon le rite religieux. Le rapport souligne que dans certains collèges, plus aucun élève ne mange de viande. Les gestionnaires de cantines scolaires ont donc été amenés à préparer des plats spécifiques : menu végétarien, poisson viande halal (autorisée aux musulmans).

Également, l’enseignement et la pédagogie font l’objet de toujours plus de contestations de la part de groupes religieux. Les professeurs de lettres et de philosophie se trouvent confrontés à quelques difficultés « ponctuelles », lorsque tel élève refuse d’étudier certaines œuvres, soit que les textes soumettent la religion à l’examen de la raison, soit qu’ils soient jugés trop « libertins » ou militants. Une mère évangéliste a par exemple distribué un tract contre l’utilisation par un professeur de français d’Harry Potter en sixième, accusé de promouvoir Satan. L’enseignement de l’histoire est également source de conflits car « elle exprimerait une vision ‘’ judéo-chrétienne’’ et déformée du monde ». Les sciences de la vie et de la terre ne sont pas épargnées non plus. Les séances d’information sur la sexualité sont condamnées pour « l’impudeur des propos tenus ». Certains élèves refusent également de manipuler du matériel animal.

Les professeurs sont aujourd’hui désarmés face à la montée des contestations des enseignements scolaires obligatoires par des groupes religieux. Souvent, ils ne savent comment réagir. Pour éviter les conflits, bon nombre de professeurs choisissent alors l’autocensure et décident de ne pas traiter les parties du programme sujettes à polémiques.

L’Inspection générale de l’Éducation nationale conclut donc que la situation est préoccupante et appelle à la vigilance. Elle invite toutefois à ne pas dramatiser en rappelant que son étude ne peut prêter à généralisation et « à dramatisation excessive ». Bien que les établissements scolaires visités constituent un panel plutôt représentatif, les phénomènes observés l’ont été dans un petit nombre d’établissements.



par Clémence  Aubert

Article publié le 13/07/2004 Dernière mise à jour le 13/07/2004 à 14:12 TU