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Laïcité

France : l’exception laïque

Qu’il s’agisse de la polémique déclenchée en France par les affaires de foulards portés par de jeunes musulmanes à l’école, ou de la manière dont le président de la République a finalement tranché en affirmant qu’il fallait légiférer pour interdire les signes religieux «ostensibles» dans les établissements d’enseignement public, le débat autour de la notion de laïcité a provoqué de nombreuses interrogations, voire des inquiétudes, au-delà des frontières hexagonales. En Europe, et ailleurs, on a du mal à comprendre pourquoi les Français sont tellement émus par ces affaires. Et parfois, on craint même que la fermeté du président Chirac pour interdire le voile ne soit le signe d’un échec du système français à intégrer les musulmans dans la communauté nationale.
«Le président Chirac est préoccupé par le maintien du principe de laïcité en France, et je crois qu’il a dit que cela n’était pas négociable. Nous espérons que la liberté de religion ne sera pas négociable non plus.» C’est à l’occasion de la présentation du rapport américain annuel sur la liberté religieuse dans le monde, que le responsable de ce dossier au département d’Etat, John Hanford, a réagi à propos de la décision du président de la République française de faire passer une loi pour interdire le port de signes religieux «ostensibles» à l’école. Il a d’ailleurs fait part de l’inquiétude des Américains sur cette question et a affirmé : «Nous allons suivre cela attentivement».

Il est vrai qu’aux Etats-Unis la référence «vestimentaire» à Dieu ne pose pas de problème. Dans les écoles, foulards, kippas, croix, sont généralement acceptés. La norme est, en effet, d’autoriser les élèves qui le désirent à afficher leurs croyances même s’il est demandé aux professeurs de garder, quant à, eux, une réserve et de ne pas faire la promotion de la religion. John Hanford a d’ailleurs rappelé à ce propos la conception américaine : «Notre position constante est que si les gens portent cela [des signes religieux] comme une simple manifestation de leur attachement à leurs croyances, juste comme certains le font chaque jour aux Etats-Unis, et que cela ne constitue pas une provocation personnelle envers les autres, il s’agit d’un droit de base qui doit être protégé».

«Nombre d’immigrés ne réussissent pas à s’intégrer en France»>

L’une des principales critiques concernant les conclusions du débat sur la laïcité en France est, en effet, de ne pas respecter la liberté religieuse en voulant empêcher de jeunes musulmanes de porter le voile. En arriver à légiférer pour régler une affaire d’étoffe paraît dans bien des pays inutile. En Grande-Bretagne notamment, où il est parfaitement admis pour tous d’afficher ses croyances. Fiona Mactaggart, la secrétaire d’Etat britannique à l’Intérieur, a d’ailleurs expliqué que dans son pays ces questions ne donnent lieu à aucun débat : «En Grande-Bretagne, nous sommes fiers de notre tradition de liberté de parole et de liberté religieuse, et nous autorisons les gens à pratiquer leur religion selon leurs convictions… Ce débat sur le rôle de la foi dans une société laïque, nous l’avons eu il y a longtemps. Mais avec nos traditions très différentes [de celles de la France], nous avons réussi à trouver au sein de notre propre culture un moyen de célébrer la diversité sans polémique».

C’est, en effet, parce qu’en France la laïcité représente un enjeu plus important que nulle part ailleurs, que le débat qui a animé le pays depuis plusieurs mois a été aussi vif. La séparation de l’Eglise et de l’Etat consacrée par une loi en 1905 a été obtenue dans le conflit, là où d’autres pays ont réussi à régler les choses par la négociation. Du coup, le principe de neutralité de l’Etat et de laïcité des institutions publiques a une résonance particulière. Un autre aspect explique que les affaires de voile à l’école, même si elles sont restées limitées en nombre, ont été perçues comme inquiétantes et ont justifié un débat public de cette ampleur. Le port du foulard a pris, en France peut-être plus qu’ailleurs, une connotation politique. A titre de comparaison, en Allemagne où des cas du même nature ont été recensés, la symbolique associée au voile est différente. La communauté musulmane allemande est en majorité originaire de Turquie, un pays où la laïcité est au cœur des institutions. Le port du voile ne correspond donc pas dans ce contexte à une démarche «offensive», selon les termes d’un directeur de lycée berlinois. En France, par contre, le voile est perçu comme un signe d’«appartenance» politique. Et cela explique en partie la nature du débat qui a eu lieu sur la nécessité ou non de l’interdire à l’école par l’adoption d’une loi.

En Allemagne, la législation sur les signes religieux relève des Etats régionaux. Et si certains d’entre eux envisagent d’adopter des dispositions pour réglementer le port du voile chez les enseignantes (Bade-Wurtemberg, par exemple), aucun n’a suggéré, pour le moment, d’appliquer une interdiction aux élèves. Dans la plupart des autres pays européens, les affaires de cette nature restent rares et sont, si nécessaires, réglées au niveau des écoles, car aucun Etat n’a adopté de dispositions législatives sur cette question.

Le recours à la loi pour interdire les signes religieux dans les établissements d’enseignement public français décidé par le chef de l’Etat, fait donc figure d’exception. Une exception laïque que de nombreux observateurs analysent comme le signe de l’échec de l’intégration des musulmans dans la communauté nationale. Le quotidien allemand Sueddeutsche Zeitung estime ainsi que «nombre d’immigrés ne réussissent pas à s’intégrer en France, ils ont un passeport français mais ne sont pas des citoyens». De ce point de vue, la décision de légiférer sur les signes religieux dans l’optique de stopper les dérives communautaristes pourrait bien, du coup être contre-productive. Le quotidien britannique Guardian, par exemple, met en garde contre l’émergence «d’une génération de musulmans en colère» et affirme : «La détermination de Chirac causera des années de confrontation».



par Valérie  Gas

Article publié le 19/12/2003