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Laïcité

«<i>La République ne protège plus ses enfants</i>»

Les remises en cause de la laïcité ne se limitent pas au cadre des établissements scolaires : c’est l’une des conclusions auxquelles sont arrivés les membres de la commission Stasi, qui ont rendu leur rapport jeudi au président de la République Jacques Chirac. Dans les services publics mais aussi dans les entreprises, employés et usagers sont de plus en plus souvent confrontés à des situations délicates où il leur faut gérer des comportements hostiles et agressifs. Ces attitudes contrarient l’application des principes d’égalité et de liberté liés à la laïcité.
Certaines auditions menées à huis clos par les membres de la commission sur la laïcité ont eu des accents d’appel à l’aide. Il s’agissait de femmes ou de jeunes filles qui ont raconté leur quotidien rempli d’humiliations et de violences dans des cités où, peu importe la loi, elles sont obligés de céder face aux agressions des hommes qui justifient leur attitude par des prétextes religieux. Une dirigeante associative a même déclaré : «La situation des filles dans les cités relève d’un véritable drame».

Quelles que soient leurs propres convictions, elles sont soumises à des pressions communautaires tellement importantes qu’elles finissent souvent par y céder pour avoir la paix. Porter le voile, baisser la vue au passage d’un homme, c’est parfois le seul moyen pour une jeune fille d’échapper aux insultes et aux mauvais traitements. Cela devient peu à peu une stratégie d’auto-protection. Cette situation a été dénoncée par de nombreuses femmes qui ont témoigné et ont regretté d’être abandonnées à leur sort. L'une d'elle a conclu : «La République ne protège plus ses enfants».

La discrimination vis-à-vis des femmes au quotidien dans les cités est la partie la plus symbolique d’un phénomène général d’atteinte aux libertés et à l’égalité qui résulte de l’influence exercée par des «organisations politico-religieuses» qui profitent du terreau de l’exclusion sociale pour faire passer leurs idées et conditionner les comportements. Gilles Kepel a ainsi évoqué l’existence de groupes inspirés de «la pensée de frères musulmans» qui participent, en France, à la diffusion de «la logique communautariste» auprès de populations en situation d’échec d’intégration. L’existence de nombreuses discriminations dans le domaine de l’accès à l’emploi ou au logement, motivées seulement par l’appartenance à certaines communautés, favorise «l’allégeance à un groupe particulier sur l’appartenance à la République» et aboutit à pousser certaines personnes vers le «repli communautaire». Et ce repli communautaire alimente, du coup, «l’hostilité manifeste dont font l’objet les musulmans», qui a aussi été mise en avant par les auditions de la commission Stasi.

Ecole, hôpital, prison, entreprise

Dans un tel contexte de tensions et d’affrontements, les comportements se radicalisent de plus en plus. A l’école, bien sûr, les enseignants se trouvent confrontés à des refus, des désobéissances qui mettent en cause le fonctionnement des établissements. Au-delà du port du foulard, il s’agit des absences systématiques certains jours de la semaine, des dispenses de cours d’éducation physique, de la contestation des programmes lorsqu’ils concernent la Shoah ou l’éducation sexuelle. A l’hôpital aussi, «certaines préoccupations religieuses des patients peuvent perturber le fonctionnement» des établissements : lorsqu’il faut organiser des cantines parallèles pour servir une nourriture traditionnelle, gérer l’attitude «des pères ou des maris» qui refusent une péridurale ou l’intervention d’un médecin pour peu qu’il soit d’un sexe ou d’une confession jugée inadéquate. De même en prison, la difficile cohabitation entre détenus de religions différentes incite parfois à des «regroupements communautaires» au sein des établissements pénitentiaires. Ce qui est susceptible au bout du compte, selon la commission, de renforcer «l’emprise du groupe sur les individus incarcérés les plus faibles».

Le service public est aussi confronté dorénavant, au-delà de la gestion des usagers, à l’existence d’agents qui affichent leur religion sur leur lieu de travail en portant le voile, la kippa ou en refusant certaines tâches. Ce phénomène tend d’ailleurs à s’étendre de plus en plus vers les entreprises au sein desquelles il affecte les relations entre salariés [lorsque certains employés refusent d’être dirigés par des cadres femmes] mais aussi avec la clientèle [lorsqu’ils refusent de parler ou de serrer la main à des hommes], et présente même parfois «des risques en terme de sécurité».

Ces attitudes revendicatrices sont, selon la commission, le fait d’une minorité «d’activistes», mais n’en demeurent pas moins «dangereuses et discriminatoires» et présentent «un risque» qu’il ne faut pas «sous-estimer». Mais surtout, elles montrent que les règles ne sont pas claires. C’est pourquoi les sages préconisent de «redéfinir la laïcité» et de recourir à la loi afin de fixer les limites et apaiser les conflits.



par Valérie  Gas

Article publié le 12/12/2003