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Laïcité

Arrêter le repli communautaire

Après la remise du rapport de la commission de réflexion sur la laïcité en France, il semble que l’on se dirige à grand pas vers l’adoption d’une loi qui interdirait les signes «ostensibles» d’appartenance religieuse ou politique à l’école mais aussi dans l’ensemble des services publics. Jacques Chirac qui a écouté les membres de la commission lui exposer leurs conclusions jeudi matin, devrait annoncer sa décision d’ici le 17 décembre après avoir étudié les propositions qui lui ont été faites. Celles-ci vont au-delà de la loi et ont pour objectif de permettre à tous «de vivre ensemble dans l’espace public». Quels que soient leur sexe ou leur religion.
«Nous sommes convaincus qu’il fallait qu’on marque un coup d’arrêt. Il y a en France des comportements que l’on ne peut pas tolérer, des forces qui cherchent à déstabiliser la République». Bernard Stasi, le président de la commission de réflexion sur l’application du principe de laïcité dans la République, a expliqué à l’occasion de la présentation des conclusions des experts, que le choix de proposer une loi pour interdire les signes religieux à l’école et dans les services publics partait du constat d’une très grande «dégradation de la situation sociale en France».

Au fil des auditions, les membres de la commission se sont rendus compte de la généralisation des situations de «souffrance». Qu’il s’agisse des petites filles qui sont obligées de porter le foulard à cause de la pression familiale ou communautaire, des jeunes filles qui se cachent dans des vêtements asexués pour éviter la violence verbale ou même physique des hommes dans les cités, des femmes musulmanes que l’on contraint à refuser les soins prodigués par des médecins de sexe masculin sans leur demander leur avis, des enfants juifs victimes d’un «nouvel antisémitisme» soumis à la brutalité de leurs camarades d’école et dont on n’arrive plus à assurer la sécurité dans les établissements publics. Les membres de la commission ont entendu de nombreux témoignages, dont certains à huis clos pour permettre aux langues de se délier sans peur des conséquences, dans lesquels les personnes ont demandé la «protection» de l’Etat.

Au-delà des affaires de voiles islamiques très médiatisées, il y a aussi un ensemble de comportements inadmissibles de la part de jeunes gens de confession musulmane qui exercent des pressions sur les enseignants, leur manquent de respect, empêchent le déroulement des cours lorsqu’ils abordent des thèmes comme celui de la Shoah, refusent de passer des examens devant une femme, de participer aux cours de sport…

Ni croix, ni kippa, ni bandana

Mais les dérives n’ont pas lieu seulement à l’école. Comme l’explique l’historien René Rémond : «Le problème est général. Il ne se pose pas que dans les collèges mais à tous les âges et dans tous les secteurs». Par exemple, dans l’accès aux équipements publics dont la mixité est parfois remise en cause d’une manière inadmissible du point de vue des membres de la commission. C’est pour cela que le projet de loi qui vise à redéfinir les «règles», ne concerne pas seulement les établissements scolaires mais l’ensemble des services publics dans lesquels la commission préconise d’interdire le port «de signes ou de tenues» qui montrent une appartenance «religieuse ou politique» de manière «ostensible». Le choix de ce dernier terme ne doit rien au hasard. Il a été préféré à «visible» ou «ostentatoire» et veut différencier le port d’une petite croix, étoile de David ou main de Fatma, qui relève de l’intimité et se fait dans la discrétion, de celui d’un voile islamique ou même d’un bandana affiché délibérément pour affirmer une appartenance religieuse ou politique et se démarquer des autres. Dans ce cas, il s’agit selon les membres de la commission Stasi «d’un acte implicite de prosélytisme» qui est en contradiction totale avec le principe de laïcité.

Mais dans l’esprit de membres de la commission, il ne s’agit pas d’une loi «d’exclusion ou de sanction», mais d’une loi de «protection» essentiellement destinée à préserver les femmes et les jeunes filles vis à vis des pressions extérieures de groupes politico-religieux. Pour René Rémond, la loi doit assurer «l’égalité entre hommes et femmes» et permettre à ces dernières d’avoir «l’autonomie d’échapper aux conditionnements de groupe» en garantissant «la prépondérance de l’appartenance à la Nation par rapport aux solidarités particulières».

D’autre part, les propositions de la commission vont dans le sens de «l’ouverture». Car la laïcité c’est aussi et surtout «le respect de la différence». De ce point de vue, les experts appellent le gouvernement à mieux prendre en compte le nouveau paysage «spirituel» et social de la France qui n’a plus rien à voir avec celui qui existait en 1905, date de l’adoption de la loi sur la séparation de l’église et de l’Etat. L’Hexagone abrite aujourd’hui la première communauté musulmane et la première communauté juive d’Europe. Dans ce contexte, les experts estiment qu’il faut «faciliter la pratique de la religion» en favorisant la construction de lieux de culte (mosquées, synagogues) et les pratiques rituelles des uns et des autres. Ils proposent aussi le respect des grandes fêtes musulmanes (Aïd el-Kebir) et juives (Kippour) dans les entreprises et les écoles où l’enseignement du «fait religieux» pourrait être amélioré. Ils demandent encore la création d’un établissement national d’étude de l’islam susceptible de mener une réflexion «intellectuelle, rationnelle et laïque» sur cette religion.

Pour défendre la laïcité et lutter contre les «logiques communautaristes» qui aboutissent à «exclure les individus du pacte social», la commission Stasi croit aux vertus de la prise de conscience mais aussi à l’intégration pour mettre un terme à la dégradation de la situation sociale qui a été favorisée par la multiplication des phénomènes de «discrimination et d’exclusion» dans les «ghettos urbains» où, bien souvent, les jeunes «se heurtent à un refus d’embauche en raison de leur patronyme ou de leur lieu de résidence».

A écouter également :
Rémy Schwartz, rapporteur de la commission (11/12/2003, 1'03")
L’Invité matin: Jean Baubérot, membre de la commission Stasi sur la laïcité. Il répond aux questions de Pierre Ganz (12 décembre 2003, 8'02").



par Valérie  Gas

Article publié le 11/12/2003