Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Laïcité

En attendant la loi

Après le discours prononcé mercredi soir par Jacques Chirac, les réactions de la classe politique et de la société civile sont majoritairement positives. Les propos du chef de l’Etat sur les valeurs républicaines et les fondements de la nation française ont globalement suscité l’adhésion. Il n’en demeure pas moins que tous ceux qui avaient manifesté leur scepticisme ou leur opposition à l’adoption d’une loi sur les signes religieux à l’école, au premier rang desquels figurent certains représentants de la communauté musulmane, dénoncent une mesure à l’efficacité limitée qui a peu de chances d’atteindre ses objectifs.
Pour certains, il a été trop loin, pour d’autres pas assez. Mais pour la plupart, le chef de l’Etat a bien parlé des valeurs républicaines au premier rang desquelles figure la laïcité. Le discours de Jacques Chirac, qui avait pour objectif premier de réaffirmer les grands principes qui animent la nation française, a touché juste. Bien sûr, c’est dans le camp politique du président de la République que les réactions ont été les plus enthousiastes. Même le ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy, qui avait fait part de son opposition concernant l’adoption d’une loi sur les signes religieux, y a trouvé son compte: «L’intervention de Jacques Chirac a manifesté une volonté de rassemblement, de la hauteur de vue et une préoccupation d’équilibre à l’endroit des grandes religions, toutes choses qui sont profondément nécessaires à la France». Quant à Luc Ferry, le ministre de l’Education nationale, il a tout simplement estimé que ce discours avait été «un petit moment de ferveur».

Du côté de l’opposition socialiste aussi, c’est plutôt la satisfaction qui prévaut. Jean-Marc Ayrault a jugé que le président avait fait une «bon» discours. Jack Lang s’est dit «satisfait». Dominique Strauss-Kahn a donné un bon point au chef de l’Etat en déclarant qu’il «avait cueilli les fruits de la commission Stasi, et seulement ceux qu’il fallait cueillir», en coupant court aux inquiétudes suscitées par la proposition de créer deux jours fériés pour les fêtes juive et musulmane «qui n’avait pas fait l’unanimité».

Jacques Chirac a aussi obtenu une très forte adhésion auprès des femmes. Fadela Amara, la présidente de l’association «Ni putes, ni soumises» qui se bat pour faire respecter les droits des femmes dans les cités, a fait part de sa satisfaction: «Nous n’avions pas le choix, il fallait réaffirmer la neutralité de l’espace public… Je souhaite que tout le monde entende le message, particulièrement à ceux qui appartiennent à des mouvances intégristes et qui nuisent à la cohésion nationale». Les signataires de l’appel au chef de l’Etat publié dans l’hebdomadaire Elle, ont aussi adhéré aux propos de Jacques Chirac sur le port du voile qu’elles combattent. La réalisatrice Yamina Benguigui a ainsi déclaré: «Là, on n’est plus dans le non-dit, maintenant il faut travailler».

«La loi ne dispensera pas du travail éducatif et pédagogique»

Concernant les représentants des différentes religions qui étaient plutôt opposés à l’adoption d’une loi, les propos de Jacques Chirac ont dans l’ensemble eu un effet apaisant. Le grand rabbin de France, Joseph Sitruk, s’est dit «globalement très satisfait» et «rassuré». Monseigneur Stanislas Lalanne, le secrétaire général de la Conférence des évêques de France, a quant à lui déclaré: «La conception de la laïcité que le président a évoqué paraît une laïcité de dialogue, une laïcité ouverte et non pas une laïcité de combat.» Le choix d’interdire simplement les signes religieux «ostensibles» le conduit à espérer une application de la loi «dans un climat de dialogue».

Il n’empêche que des interrogations demeurent. Notamment sur la capacité des enseignants et des chefs d’établissement à assumer sereinement la mission qu’on leur confie dans le cadre de l’application de la future loi. Pour Monseigneur Lalanne, cette tâche est ardue: «Les chefs d’établissement auront toujours les responsabilité de l’appréciation… L’équilibre est subtil». Le son de cloche est le même chez Gérard Aschiéri, le secrétaire général de la FSU, le principal syndicat de l’Education: «La loi ne dispensera pas les enseignants d’apprécier ce qui est ostensible ou pas. La loi ne dispensera pas du travail éducatif et pédagogique». A ce niveau, tous les intéressés attendent avec impatience de connaître les termes du projet de loi que Luc Ferry doit préparer «en urgence» et dont il a déjà annoncé qu’il serait très «bref».

Quel que soit le contenu du texte, il paraît clair que certains représentants politiques ou religieux qui en ont, dès le départ, contesté l’utilité ne seront pas convaincus. C’est notamment le cas du secrétaire général de l’Union des organisations islamiques de France, Fouad Alaoui, qui n’a vu dans l’allocution du président et dans la proposition de légiférer, qu’une «volonté de réduire la liberté religieuse musulmane». Cette position rejoint l’opinion d’une partie des musulmans qui ont le sentiment que le débat sur la laïcité offre un prétexte pour stigmatiser leur communauté. Dans ce contexte tendu, Dalil Boubakeur, le président du Conseil français du culte musulman, a tenté de dépasser ses réticences face à une proposition de loi sur le voile, en déclarant: «Il nous appartient en tant que responsables musulmans d’expliquer la position du président… La loi de l’Etat est notre loi».

Si la nécessité de réaffirmer fermement les limites dans lesquelles peut s’exercer la liberté de chacun, religieuse ou autre, n’a pas été contestée, c’est donc au niveau de l’efficacité de l’adoption d’une loi sans mesures concrètes d’accompagnement que certaines interrogations persistent et que l’on attend le gouvernement au tournant. Car si Jacques Chirac a annoncé la création rapide d’une autorité indépendante chargé de mener le combat contre toutes les discriminations, il n’a pas évoqué un véritable plan de lutte contre l’exclusion sociale et en faveur de l’intégration. Et c’est bien là que le bât blesse. Enseigner plus et mieux le fait religieux à l’école, sur le principe tout le monde est d’accord. Mais dans la pratique, certains posent une question importante: qui s’en chargera ? Dans quelles conditions ? Dénoncer l’existence de ghettos urbains, c’est un pas en avant. Mais après, comment mettre en oeuvre une politique efficace pour désenclaver des populations d’exclus sociaux ? Le porte-parole du Parti socialiste, Julien Dray, a critiqué Jacques Chirac sur ce plan: «Il a compris la fracture sociale, il a compris la fracture urbaine mais les politiques qu’il mène ne créent pas les conditions d’une lutte réelle contre ces ghettos… On ne peut pas dénoncer le communautarisme, si on ne dénonce pas, en amont, les inégalités sociales, si on n’a pas une politique active de lutte contre les ghettos». Pour Marie-George Buffet, qui affirme qu’elle ne «pouvait que partager» la réaffirmation des principes de laïcité et d’égalité, il a manqué au discours de Jacques Chirac l’annonce d’«un plan de campagne contre le communautarisme, l’intégrisme et les discriminations».



par Valérie  Gas

Article publié le 18/12/2003