Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Laïcité

Polémique autour des jours fériés

Dans l’attente du discours que Jacques Chirac doit prononcer mercredi pour indiquer de quelle manière il entend trancher dans le débat sur la laïcité en France, toutes les parties intéressées ont donné leur point de vue concernant les conclusions du rapport de la commission Stasi. Et c’est autour de la proposition de créer deux nouveaux jours fériés pour les fêtes musulmane de l’Aïd el-Kebir et juive du Kippour, que les principaux désaccords sont apparus.
Jean-Pierre Raffarin est contre la proposition de la commission Stasi de mettre en place dans les écoles deux jours fériés supplémentaires, histoire de rétablir un peu l’équilibre entre les fêtes catholiques et celles des deux autres religions les plus représentées en France : l’islam et le judaïsme. Il l’a dit clairement : «J’ai été surpris de cette proposition… Je ne sais pas si la commission Stasi a beaucoup réfléchi à sa mise en œuvre… Une étude de faisabilité serait nécessaire». Ce pragmatisme du Premier ministre par rapport à une mesure symbolique mais qui aurait de nombreuses implications dans la gestion des calendriers scolaires, a rencontré celui du patron du Medef, Ernest-Antoine Sellière, qui a estimé que cette idée «ne peut être approuvée sous l’angle de l’activité économique».

Il est clair que dans un contexte où depuis plusieurs mois, le gouvernement tente de faire passer auprès des Français l’idée d’abandonner un jour férié au profit de la solidarité avec les personnes âgées, la proposition d’en rajouter deux paraît déplacée. Alain Juppé, le président de l’UMP, a même été jusqu’à qualifier cette idée de «proposition tout à fait à côté de la plaque».

D’autre part, certains observateurs estiment même qu’en tentant d’appliquer une mesure de ce type, on courrait le risque de renforcer les animosités et les replis identitaires. Pour François Bayrou, le président de l’UDF : «C’est le communautarisme en plein». Dans le même ordre d’idées, le député UMP Christian Estrosi a qualifié l’instauration de deux jours fériés supplémentaires de «dangereuse» et a affirmé qu’elle ne ferait que «renforcer le fait religieux». L’Union des familles laïques (UFAL) craint pour sa part que «la boite de Pandore» ne soit ouverte et ne puisse «plus se refermer», si on accepte «cette proposition communautariste».

Une mesure «gadget»

Au sein même des communautés sensées bénéficier de ces dispositions, on s’interroge. Le président de la mosquée de Lyon Kamel Kabtane, par exemple, a jugé qu’il s’agissait d’une mesure «gadget» et que ce jour de congé donné aux musulmans et aux juifs risquait «de faire naître des ressentiments et remonter à la surface les sentiments cachés de beaucoup de gens». La philosophe Elisabeth Badinter, elle-même de confession juive, n’est pas convaincue de l’utilité d’une telle disposition : «La communauté juive, c’est à peine 1 % des Français. Dans ce pour cent, à peine la moitié pratique la religion juive. Est-ce qu’il est vraiment raisonnable que tous les enfants de France soient en vacances une journée entière pour 300 000 pratiquants qui ont toute latitude aujourd’hui de faire leur Kippour

Certes, il existe aussi des voix pour approuver cette proposition. François Hollande, le premier secrétaire du Parti socialiste, a fait part de son approbation de principe en déclarant : «Cela ne me gêne en aucune façon qu’on puisse reconnaître d’autres fêtes religieuses dans notre pays que les fêtes catholiques». Le président du Conseil français du culte musulman (CFCM), Dalil Boubakeur, a quant à lui, parlé concernant cette proposition de la commission Stasi d’«élément positif». Mais ce point de vue semble minoritaire.

Dans un tel contexte, tout laisse penser qu’il y a peu de chances pour que le président de la République, qui doit faire le point sur le dossier laïcité avec Jean-Pierre Raffarin mardi soir, arbitre en faveur de la création de deux nouveaux jours fériés. Par contre, le recours à une loi qui porterait notamment sur l’interdiction des signes religieux «ostensibles» à l’école et dans les services publics, préconisé à la fois par la commission Stasi et la mission d’information de l’Assemblée nationale présidée par Jean-Louis Debré, semble probable. Malgré tout, sur cette question le président devra tenir compte de l’opposition des représentants de la communauté musulmane. Le bureau du CFCM a adressé, lundi, une lettre ouverte à Jacques Chirac pour exprimer son «inquiétude» face à une loi qui «apparaît comme prioritairement discriminatoire à l’égard de l’islam». Il accuse la commission Stasi de «reléguer la question du foulard dans le champ unique des affaires d’ordre public». Même si selon un récent sondage, 53 % des musulmanes sont opposées au port «de signes visibles d’appartenance religieuse» à l’école, Fouad Alaoui, vice-président du CFCM et membre de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF), craint «la montée en puissance d’une colère de la part des femmes qui pratiquent librement leur religion et sentent dans le rapport Stasi une volonté de les exclure».

Les membres de la commission Stasi et le président qui les a mandatés pour réfléchir aux moyens de faire respecter le principe de laïcité en France, ont insisté sur le fait que la question des signes religieux en général, du voile en particulier, n’était pas au cœur de la problématique. Il n’en demeure pas moins que les décisions du chef de l’Etat, qui a annoncé dès la semaine dernière que sa position serait guidée par le souci du «respect des principes républicains et l’exigence de l’unité nationale et du rassemblement des Français», sur ces questions sont très attendues. Malgré tout, le discours solennel qu’il doit prononcer à l’Elysée mercredi ne s’en tiendra vraisemblablement pas là. On attend notamment la présentation du projet d’autorité chargée de lutter contre les discriminations dont la mission devrait dépasser le strict cadre religieux et toucher l’ensemble des aspects de la vie sociale.



par Valérie  Gas

Article publié le 16/12/2003