Loi sur la laïcité
La quadrature du cercle
(Montage : AFP/RFI)
- Dans un long préambule, les principes de laïcité et les valeurs de la République qu’il «appartient à l’école de faire vivre» sont rappelés, à savoir: l’égale dignité de tous, l’égalité entre hommes et femmes, le droit pour chacun de choisir son mode de vie, et la nécessité de vivre ensemble en dépassant les appartenances particulières.
- Le document explicite ensuite le champ de l’interdiction: sont «interdits signes et tenues qui manifestent ostensiblement une appartenance religieuse dont le port conduit immédiatement à se faire reconnaître». Sont cités: «voile islamique, kippa, grande croix», et il est précisé que «la liste n’est pas exhaustive». Toutefois, le texte ne remet pas en cause le port de «signes discrets en particulier en raison de leur dimension» ni «les tenues traditionnelles». Il n’interdit pas non plus «accessoires et tenues qui, même s’ils peuvent être portés dans certains cas pour des motifs d’ordre religieux, sont aussi portés communément en dehors de toute signification religieuse».
- La circulaire souligne que la loi de 2004 ne concerne pas les signes politiques, mais rappelle des instructions datant de 1936, mais toujours d’actualité, qui les interdit, même lorsqu’ils sont discrets.
- Le texte stipule en revanche avec fermeté que «les convictions religieuses ne donnent pas droit à s’opposer à un enseignement ni à refuser l’obligation d’assiduité».
- Cette loi, qui s’applique aux élèves de l’enseignement public -et donc ni au privé ni au supérieur- doit également être respectée par les enseignants et l’ensemble du personnel de l’Education nationale, tenus à la neutralité. Toutefois, la loi ne s’applique ni aux parents ni aux candidats libres venant passer des examens dans l’établissement.
- La circulaire aborde «l’exigence d’un dialogue préalable à tout mesure disciplinaire», relevant du chef de l’établissement. Ce dialogue, qui doit être poursuivi «pendant un temps suffisant» sans qu’en soit fixé la durée, ne doit pas être «une négociation» mais un «moyen de faire comprendre à l’élève la nécessité du respect de la loi». Il est enfin précisé que, si «l’échec du dialogue peut mener à l’exclusion», «pendant la phase du dialogue, l’élève doit être accepté et doit pouvoir suivre les cours dans les mêmes conditions que ses camarades».
Ne souhaitant pas que soient ravivées les tensions communautaires, les représentants de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF) avaient demandé que la loi soit appliquée avec souplesse. Lhaj Thami Breze, président de l’UOIF, avait évoqué devant les journalistes «la solution du bandana»: «nous ne parlons plus de foulard islamique, mais de tenues discrètes», ajoutant«si les modalités d’application de la loi ne prévoient pas de souplesse, la constatation se vérifiera» que la France est passée d’une «laïcité d’intégration» à une «laïcité d’exclusion».
Si le texte porte la mention «provisoire», on ne cache pas au cabinet du ministre qu’il ne devrait guère être remanié dans ses grandes lignes. Pourtant, il est fort mal accueilli dans le monde enseignant. Philippe Guittet, secrétaire général du syndicat des personnels de direction de l’Education nationale estime que ce texte «donne tous les moyens pour contourner la loi (…) le projet de circulaire ouvre toutes les possibilités de recours devant les tribunaux et va conduire à nouveau à de la jurisprudence sur les affaires de voile». Ce syndicat considère que les chefs d’établissement, qui vont devoir gérer les problèmes rencontrés, sont face à un «texte[qui] entretient la confusion» et qui va «ouvrir la porte à toutes les interprétations contradictoires» (…) «Interdire le port de signes montrant une appartenance religieuse mais autoriser les tenues traditionnelles liées à une coutume ouvre les portes à toutes les interprétations».
Les deux autres principales organisations syndicales, FSU et UNSA-éducation, dénoncent le même flou. Nulle part n’est cité nommément le port éventuel du «bandana», nom que les jeunes musulmanes donnent maintenant, non plus à un bandeau retenant les cheveux pendant le sport ou en cas de grand vent, mais à un carré de tissu enserrant les cheveux, voire les oreilles et le sou, mais ne retombant pas en pans devant. Ce passage pose tout particulièrement problème aux syndicats, se demandant si le «bandana» devra être considéré comme un «signe discret», et donc autorisé, ou «religieux» et donc interdit! Le distingo entre religieux, culturel et traditionnel «ne veut rien dire, et va mener à l’impasse».Pour Patrick Gonthier, secrétaire général de l’UNSA-éducation, «ce texte est impraticable dans l’état, (…) il appelle au respect de principes et donne ensuite toutes possibilités de les contourner».
De la même manière, le passage relatif au «dialogue préalable à toute mesure disciplinaire», que devra effectuer tout chef d’établissement en cas de problème, a suscité une vive réprobation: «considérer qu’une tenue est contraire à la loi, mais autoriser un élève à la porter pendant un temps de dialogue est aussi imbécile» (…) «On n’a pas voulu trancher de façon nette sur le problème dans la loi et voici maintenant une circulaire qui ajoute à la confusion» a déclaré le responsable des questions de laïcité à la FSU.
La concertation proposée jusqu’au 6 mai s’annonce donc difficile. Il ne restera qu’un mois pour modifier le texte avant sa publication pour être effectif à la rentrée prochaine.
par Dominique Raizon
Article publié le 22/04/2004 Dernière mise à jour le 22/04/2004 à 15:41 TU