Société
Comment votent les Français issus de l’immigration ?
(Photos: Cevipof)
Les auteurs présentent, sur le site du Cevipof, les grandes lignes de leur enquête: ils y définissent le choix de la population étudiée. L’étude porte sur les Français immigrés d’origine africaine et turque : «immigrés devenus Français par acquisition et Français nés en France d’au moins un parent ou un grand-parent immigré d’Afrique ou de Turquie.» L’ambition du projet étant clairement comparative, les spécificités -ou la non spécificité- du rapport au politique de cette frange de la population est éclairée par une «comparaison de [ses] caractéristiques avec celles du reste de la population française.» Les auteurs affirment également que le projet a une «vocation comparative internationale et vise à créer des indicateurs fiables et pertinents susceptibles d’être répliqués à intervalle régulier pour permettre un suivi longitudinal de la population considérée et, à l’avenir, de comparaisons dans le temps.»
Le multiculturalisme et les problématiques de l’intégration étant souvent au cœur des débats, les auteurs ont radiographié les comportements de vote et les prises de position sur les grands débats sociétaux de ces Français issus de l’immigration ayant un lien affirmé avec l’islam. Pour la première fois les contours d’une identité musulmane à la française sont dessinés à travers des questions fondamentales parmi lesquelles : ces Français «se sentent-ils intégrés dans la politique française ou bien ont-ils le sentiment d’en être exclus ? Dans quelle mesure se distinguent-ils du reste de la population quant à leurs attitudes et préférences politiques ?».
D’après l’étude, ces Français issus de l’immigration africaine ou turque sont très attachés au système démocratique, et la gauche est largement plébiscitée dans leurs préférences partisanes, bien que les valeurs qu’ils défendent soient plus conservatrices. Les auteurs soulignent que : «ce tropisme de gauche est quasiment indépendant du revenu, du patrimoine, du niveau de diplôme et de la catégorie socio-professionnelle des individus». Pour mieux sonder le sentiment d’adhésion à la laïcité, Sylvain Brouard et Vincent Tiberj ont affiné plusieurs questions portant sur les appartenances confessionnelles mais aussi sur la pratique religieuse comme, par exemple: «D’habitude allez-vous à un office religieux ?», «Vous arrive-t-il de boire de l’alcool ne serait-ce qu’une bière ou un verre de vin ?», «Vous êtes invité à manger chez un non musulman : quelle est votre attitude ?», «En France, la laïcité est un obstacle à la liberté religieuse», «En France, seule la laïcité permet à des gens de convictions différentes de vivre ensemble».
La laïcité n’est pas considérée en opposition avec la religionSurprise : il se dessine un rapport «particulièrement distant à la pratique religieuse dans le cadre institutionnel des églises, des temples, des mosquées.» Les Français issus de l’immigration africaine ou turque ne sont pas, d’après les résultats du sondage, «massivement intégrés dans les pratiques collectives de leur religion», mais entretiendraient «un rapport étroit à l’islam dans le rapport individuel aux prescriptions religieuses : consommation d’alcool, prière, jeûne qui structurent la vie individuelle.» Ceci étant, la laïcité n’est pas considérée en opposition avec la religion. Mieux, 81% des musulmans déclarés accordent à ce mot une valeur positive et seuls 5% de l’échantillon souhaiteraient, par exemple, que leurs enfants soient scolarisés dans une école privée coranique.
Bousculant encore les idées reçues, la question du port du voile islamique révèle que les Français d’origine africaine ou turque seraient majoritairement contre (de 53 à 59% contre). De même, plus de 65% de la population immigrée consultée se dit favorable à la mise en place du Conseil français du culte musulman et souhaite l’«aide de l’Etat» pour construire les lieux de culte musulman et pour former des imams.
«ce ne sont pas des Français contre les autres ! »
Quant aux enjeux politiques, ces populations -qui accordent peu de confiance à l’entreprise- mettent le chômage au premier rang de leurs préoccupations, suivi de la sécurité et de l’intégration. «Les personnes interrogées dans l’enquête sur les Français issus de l’immigration sont 77% à considérer que la réussite matérielle est très ou extrêmement importante (contre 62% dans l’enquête miroir) et 82% à penser de même pour l’ambition et pour travailler dur pour réussir (contre 55% dans l’enquête miroir)».
Au terme de leur exposé des résultats, les deux chercheurs de conclure : ces Français issus de l’immigration «sont bien des Français, et ce ne sont pas des Français contre les autres !». L'intégralité de ce rapport donnera lieu à un premier ouvrage à paraître aux Presses de Sciences-Po en novembre 2005, sous le titre «Des Français comme les autres ?».
Confiée à l’institut de sondage TNS-Sofres, cette enquête a été conduite avec le soutien du service d'Information du gouvernement, du centre d'Etudes et de Prospectives du ministère de l'Intérieur, de la fondation nationale des Sciences politiques, du fonds d'Action et de soutien pour l'Intégration et la lutte contre les discriminations et de la fondation Jean Jaurès.
par Dominique Raizon
Article publié le 06/09/2005 Dernière mise à jour le 06/09/2005 à 08:33 TU
Pour en savoir plus :
www.cevipof.msh-paris.fr