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Economie

L’Afrique grande perdante de l’OMC

Cueilleurs de coton au Mali.(Photo : Monique Mas/RFI)
Cueilleurs de coton au Mali.
(Photo : Monique Mas/RFI)
Qu’il s’agisse des organisations syndicales africaines ou des organisations non gouvernementales parlant habituellement au nom des plus pauvres, l’ambiance est morose après le sommet de Hong Kong. Une fois encore, les pays riches ont mesuré leurs forces sans faire de place aux pays du Sud.

«Les pays développés ont une fois de plus échoué à tendre une main solidaire aux pays pauvres». C’est ainsi que la Cosatu, une puissante organisation syndicale sud-africaine, a réagi à l’accord de Hong Kong, à l’issue de la conférence ministérielle de l’OMC. Le syndicat sud-africain a qualifié cet accord d’«échec abyssal». Ce syndicat a fait une comparaison très dure pour parler de la situation économique de l’Afrique par rapport aux pays riches, estimant que «nous restons dans la situation où il vaut mieux être une vache au Japon, subventionnée à hauteur de 7 dollars par jour, qu’un être humain en Afrique». Sur ce continent et ailleurs, on le sait, les plus pauvres vivent souvent avec un dollar par jour.

A part quelques grands pays leaders comme l’Afrique du Sud, le Nigeria ou l’Algérie, la plupart des pays africains se caractérisent par une agriculture de subsistance, avec une forte population rurale. Ces pays cherchent cependant à exporter des denrées alimentaires. S’ils ont des accords préférentiels avec l’Union européenne, ces pays souhaiteraient partir à l’assaut d’autres marchés. Les Africains attendaient donc beaucoup de la disparition des subventions agricoles des pays riches. Mais cette disparition sera négociée en 2013 seulement, année où la Politique agricole commune actuelle (PAC européenne) prendra fin, ce qui entraînera une remise à plat mondiale des subventions agricoles.

Rien ne change pour les aides à la production

Comme les pays africains avaient menacé de ne pas signer l’accord final si leur demande d’ouverture des marchés du Nord n’avançait pas, les Américains ont fait un geste concernant le coton produit en Afrique de l’Ouest. Dès 2006, ce coton aura accès au marché américain, sans taxe ni droit de douane. Les Africains ont donc obtenu que les aides à l’exportation du coton américain disparaissent dès l’année prochaine. Ces aides représentent 250 millions de dollars par an. En revanche, rien ne change pour les aides à la production dont bénéficient les grands concurrents des producteurs africains. Ces aides internes représentent 90% des subventions, elles sont évaluées à 4 milliards de dollars. Les spécialistes des matières premières dont le coton, présents à Hong Kong, ont indiqué que Rob Portman, le représentant américain pour le Commerce, a été, pendant la conférence, l’otage de plusieurs groupes de pression américains, dont celui du coton.

Les pays industrialisés, qui avaient promis de se pencher sur le développement des plus pauvres, ont fait un autre geste en proposant d’ouvrir leurs marchés, sans taxes, sans droit de douanes, et sans quotas, aux 49 pays les moins avancés, essentiellement des Africains. L’ouverture concerne 97% des marchandises africaines. Chiffre au premier abord impressionnant, mais les 3% restants sont cruciaux. On y trouve du textile africain, dont les Américains veulent limiter les importations. Le Japon, de son côté, tient à protéger son marché du riz. L’organisation Action Aid a calculé qu’à travers ces 3% restants, Etats-Unis et Japon notamment, continueront de bloquer à leurs frontières environ 400 produits venant des pays les plus pauvres de la planète. «En pratique, les pays riches pourront toujours éviter d’ouvrir leur marché aux produits qui comptent véritablement pour les pays pauvres comme le textile, le cuir, ou certains produits agricoles», a commenté Action Aid, organisation britannique spécialisée dans le développement, très présente en Afrique.

Oxfam, autre organisation non gouvernementale britannique installée en Afrique, estime qu’au final, le texte adopté à Hong Kong par la conférence ministérielle de l’OMC est «une trahison» pour les pays pauvres. En 2001, lors de la conférence de Doha, l’OMC avait promis de mettre la libéralisation des échanges au service du développement, indique encore Oxfam.

Une petite ouverture et de grandes pressions

Dans les négociations qui vont se poursuivre en 2006, les pays du Nord vont, en plus, pousser leur avantage dans les secteurs de l’industrie et des services des pays du Sud. C’est la contrepartie de cette percée des 49 pays les plus pauvres sur les marchés des pays développés. «Le monde en développement a été forcé d’avaler la pilule amère d’une ouverture radicale au secteur des services», estime Action Aid. L’association estime que le secteur de la distribution (notamment le géant américain Walmart et le français Carrefour) sera le grand gagnant de ce processus. «Les pays feront face à de fortes pressions pour permettre l’arrivée des hypermarchés. Les perdants seront les plus pauvres qui vendent dans les pays en développement leurs produits dans la rue, les marchés et les petits commerces».

L’Afrique représente actuellement 1% seulement du commerce mondial, un chiffre à comparer avec la population du continent qui représente 14% de la population mondiale. Le continent africain espère un abaissement des barrières douanières un peu partout à travers le monde. Cet abaissement permettrait aux exportations africaines de progresser, ferait rentrer des revenus supplémentaires.

Pour Chileshe Mulenga, directeur de l’Institut de recherche économique et sociale de Zambie, les progrès limités enregistrés à Hong Kong ne sont pas à la hauteur des besoins économiques vertigineux de l’Afrique. «Le statu quo demeure et cela signifie que les affaires continuent, c’est-à-dire que l’on continuera à ne pas aider l’Afrique», a-t-il déclaré.

«Nous sommes évidemment déçus que l’Union européenne ne soit pas allée suffisamment loin. Même si les Etats-Unis ont fait certaines propositions sur le coton, je crois personnellement qu’ils n’ont que très peu contribué à un relèvement des cours», a estimé Lourie Bosman, responsable du syndicat sud-africain AgriSA. Le Bénin, le Burkina Faso, le Tchad et le Mali avaient réclamé, avant la conférence de Hong Kong, la suppression immédiate des aides à l’exportation instaurées par les pays riches pour soutenir leurs producteurs de coton. Ces mêmes quatre pays veulent également que l’année prochaine, d’autres aides aux producteurs de coton des pays du Nord disparaissent. Elles sont considérées comme une distorsion à la concurrence et contribuent à l’effondrement des cours mondiaux.

Le revers de médaille du coton

Quatre pays d’Afrique de l’Ouest ont donc réussi à faire «monter» le dossier du coton dans la négociation mondiale sur l’ouverture des marchés, dont un round s’est joué à la conférence de l’OMC. Plus généralement, les spécialistes de l’économie africaine se demandent si un jour les pays riches accepteront de laisser de la place aux pays les plus pauvres. «En fait, libéraliser de manière spectaculaire le commerce mondial sert les intérêts des pays riches, et pas uniquement à court terme», résumait un éditorialiste du quotidien sud-africain Business Day.

Les agriculteurs africains sont mécontents, les européens aussi. Même si les subventions accordées dans le cadre de la PAC sont pérennisées jusqu’à 2013, les organisations agricoles françaises craignent que les négociations avancent, à Genève, au siège de l’OMC, dans la plus grande discrétion. L’Europe pourrait faire des concessions aux pays émergents, notamment au Brésil. S’il pouvait exporter plus de viande de bœuf, de sucre et d’éthanol en Europe, il achèterait certainement des Airbus et des produits de luxe européens. «Le problème de l’accès au marché (agricole) européen est dix fois plus important que les subventions à l’exportation», a souligné un économiste de la Fédération nationale (française) des producteurs de lait. Bruxelles a en effet proposé de réduire les droits de douane sur des produits agricoles extérieurs à l’UE dans une fourchette allant de 35% à 60% de baisse de ces droits. La précédente proposition de baisse de la Commission se situait dans une fourchette allant de 20% à 50%.

Les Etats-Unis ont les mêmes craintes que les Européens, analysées par Peter Morici, professeur d’économie : «S’il n’y a pas de progrès de l’Union européenne, de l’Inde, de la Chine ou du Brésil, les Etats-Unis n’ont pas grand-chose à gagner et le Congrès ne sera pas tenté de ratifier un accord à sens unique qui expose les agriculteurs américains à davantage de concurrence mais n’offre pas plus d’accès aux marchés pour les industriels», a souligné le spécialiste américain.

A Hong Kong, les pays du G20, groupe mené par de grands pays émergents comme le Brésil et l’Inde, ces pays du G20 ont annoncé qu’ils allaient avoir une «approche commune», à l’avenir, avec les pays en développement du G90, comprenant notamment les pays ACP (Afrique-Caraïbes-Pacifique) et les pays les moins avancés (PMA). Pour Sally Baden, représentante de l’ONG Oxfam et conseillère pour l’Afrique de l’Ouest, «cette manifestation d’unité est encourageante, c’est un coup de semonce». Même si la plainte déposée par le Brésil contre le coton américain a eu des conséquences favorables pour les pays africains producteurs, il semble difficile de croire que les grands pays du Sud, dont le développement explose actuellement, parviendront à entraîner dans leur sillage les plus petits. Ils n’auront pas la carrure pour concurrencer les grands, qu’ils soient ou non dans leur camp, sauf pour quelques produits qui leur seront spécifiques.


par Colette  Thomas

Article publié le 20/12/2005 Dernière mise à jour le 21/12/2005 à 15:22 TU