Tchad – Soudan
Deby accuse el Bechir de déstabiliser le Tchad
(Photo: ONU)
Le chef d’état-major des armées françaises rencontrait ce vendredi le président tchadien Idriss Deby, avant de passer quelques heures avec des soldats français déployés à l’est du pays. En d’autres circonstances, on aurait pu penser qu’il s’agissait là d’une visite de routine : le patron des troupes françaises venant saluer ses hommes présents sur des théâtres d’opérations. Sauf que le moment choisi par le général Henri Bentégeat n’est peut-être pas anodin. La France a renforcé sa présence militaire dans la région. Paris donne l’impression de réaffirmer son soutien au président tchadien, à un moment où celui-ci est en position délicate.
Depuis plusieurs semaines, le régime d’Idriss Deby est en proie à des défections, notamment dans les rangs de l’armée. Par dizaines, peut être par centaines, ces individus viennent gonfler les effectifs des mouvements de dissidences, de rébellion. Parmi ces groupes, certains réclament ni plus ni moins la démission d’Idriss Deby de son poste de président de la République. N’Djamena y répond par le déploiement de troupes gouvernementales, ce qui occasionne des accrochages parfois violents. En tout cas, la contestation est particulièrement active dans l’est du pays, dans la région frontalière du Soudan.
Au Soudan justement, la région ouest, à proximité du Tchad, connaît aussi des tensions depuis deux ans. C’est la province du Darfour, où des affrontements opposent depuis bientôt trois ans, des rebelles et des forces gouvernementales soudanaises, appuyés par des milices. Ces violences auraient fait près de 300 000 victimes et plus de deux millions de déplacés. Actuellement, 200 000 Soudanais ont trouvé refuge dans l’est du Tchad.
Les combats à Adré
On l’aura compris, chacun des pays, le Tchad et le Soudan, doit faire face à des mouvements de contestation internes, des rébellions. Et en fait, chacune des deux capitales, N’Djamena et Khartoum, considère l’autre comme soutenant plus ou moins directement ces groupes rebelles.
En mai dernier, N’Djamena avaient officiellement accusé les autorités soudanaises d’armer plus de 3 000 rebelles tchadiens dans des camps d’entraînement au Darfour. Démenti de Khartoum. Puis, la montée en puissance des groupes dissidents tchadiens, installés dans l’est du pays a été considérée par N’Djamena comme favorisée par son grand voisin. En retour, Khartoum accuse alors son voisin de traverser la frontière et de commettre des vols au Soudan. Par ailleurs, le ministre soudanais des Affaires étrangères déclare que des avions militaires tchadiens ont survolé son pays sans autorisation. Démenti de N’Djamena, qui à son tour, accuse le Soudan d’utiliser des déserteurs de l’armée tchadienne pour lutter contre les rebelles au Darfour.
Dimanche dernier, de violents combats se sont déroulés dans la ville d’Adré, sur la frontière tchado-soudanaise. D’après les officiels de N’Djamena, cette localité, investie par des rebelles tchadiens, puis reprise par l’armée régulière a été le théâtre de deux nouvelles offensives rebelles, repoussées par les troupes gouvernementales. Toujours selon le gouvernement tchadien, l'armée nationale a traqué les rebelles sur le sol soudanais où elle aurait détruit leurs bases. N'djamena a avancé un bilan de 300 tués dans les rangs rebelles. La version tchadienne est contestée par le mouvement, baptisé Rassemblement pour la démocratie et la liberté (RDL), qui affirme n'avoir perdu que neuf combattants.
Dès lundi, le Tchad a officiellement accusé le Soudan d’être derrière ces attaques. Ce jeudi, l’ambassadeur du Tchad auprès de l’Onu a adressé une lettre aux quinze pays membres du Conseil de sécurité des Nations unies pour les exhorter à tout faire pour éviter une extension des violences à la frontière tchado-soudanaise, tout en faisant porter à Khartoum la responsabilité des tensions actuelles. Quelques heures plus tard, le président Idriss Deby a accusé directement son homologue soudanais Omar el Bechir de vouloir délibérément semer le trouble au Tchad. «L’attaque d’Adré, perpétrée par le régime de Khartoum, c’est pour déstabiliser notre pays, pour enfoncer notre peuple dans la misère, pour créer le désordre et exporter la guerre du Darfour au Tchad, voilà le dessein que nourrit le président el Bechir», a expliqué Idriss Deby, ce jeudi, au micro de la radio nationale. De son côté, le Soudan dément officiellement toute implication. En tout cas, la tension atteint ainsi un niveau jamais atteint.
L’UA, possible médiateur ?
Si le Conseil de sécurité des Nations unies dit suivre l’évolution du dossier, les regards se tournent aussi vers l’Union africaine. Un sommet de l’UA doit se tenir fin janvier à Khartoum. Et le chef de l’Etat soudanais pourrait assurer la présidence tournante de l’instance. Dans le contexte actuel de tensions régionales, cette perspective suscite une vive réaction de la part d’Idriss Deby qui a affirmé jeudi que «le président el Bechir ne mérite pas d’être le président de l’Union africaine, il ne mérite pas d’abriter le sommet de l’UA en janvier prochain».
Les passes d’armes entre les deux capitales, N’Djamena et Khartoum, sont restées verbales jusqu’à présent. Mais de part et d’autres de la frontière, chacun prévient qu’il est sur ses gardes, au cas où…
par Olivier Péguy
Article publié le 23/12/2005 Dernière mise à jour le 28/12/2005 à 17:34 TU