Libye
Bientôt libres ?
(Photo: AFP)
La plus haute juridiction libyenne a siégé dimanche pendant une heure. Elle «a accepté le recours des infirmières bulgares et ordonné qu’un nouveau procès se tienne devant la cour pénale de Benghazi». La cour suprême annule donc les condamnations à mort et annonce la tenue d’un nouveau procès dans la ville du nord du pays où toute l’affaire a commencé, en 1999. C’est d’ailleurs la justice de cette ville qui avait condamné à mort les 5 infirmières bulgares et le médecin palestinien, le 6 mai 2004. Tous étaient accusés d’avoir inoculé le virus du sida à 426 enfants, en soins à l’hôpital de Benghazi. Des actes qui auraient, à ce jour, causé la mort de 51 de ces enfants.
«Les peines de mort injustes ont été annulées. Nous espérons que la rapidité et l’efficacité dont a fait preuve la justice libyenne au cours des derniers jours permettra un aboutissement du procès aussi tôt que possible». C’est ce qu’a déclaré à Sofia le président bulgare, Gueorgui Parvanov, après l’annulation des condamnations à mort. Les cinq ressortissantes bulgares sont emprisonnées depuis sept ans pour des faits qu’elles ont toujours nié, sauf deux d’entre elles, qui ont avoué, puis se sont rétractées. Leurs avocats avaient alors expliqué qu’elles avaient avoué sous la torture.
A l’occasion de sa séance du 25 décembre, la cour suprême libyenne pouvait, soit confirmer la peine de mort, soit demander un nouveau procès. La plus haute juridiction du pays a choisi la clémence. Ces derniers mois, les condamnés avaient fait appel de la sentence. Plusieurs spécialistes du sida étaient venus témoigner en Libye, notamment le français Luc Montagnier, co-découvreur du virus du sida, ou encore le professeur italien Vittorio Colizzi, spécialiste de cette maladie. Ces sommités médicales avaient expliqué que si des enfants ont attrapé le virus du sida à l’hôpital de Benghazi, c’est essentiellement en raison de problèmes d’hygiène dans l’établissement, notamment la réutilisation de seringues.
Des négociations entre gouvernements
L’avocat libyen des prisonniers a indiqué qu’il allait demander, le mois prochain, à l’occasion du nouveau procès, la libération des cinq infirmières et du médecin palestinien. «Peut-être que le tribunal accédera à notre demande», a espéré maître Othmane al-Bizanti. En revanche, du côté des familles des enfants malades ou décédés, on accepte mal l’annulation des condamnations à mort. L’avocat de ces familles, maître Abdallah al-Moghrabi a regretté une décision «faite aux dépens des familles». Elles ont d’ailleurs manifesté devant le tribunal, à l’annonce des décisions prises par la cour suprême.
Le revirement de la justice libyenne est intervenu deux jours après l’annonce d’un accord entre la Bulgarie et la Libye. Un fonds de compensation international va être créé pour venir en aide aux enfants libyens atteints du sida, et aux familles qui ont perdu un enfant à cause de cette maladie. L’Union européenne, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne ont voulu la mise en place de ce fonds. La Bulgarie estime qu’il permettra «d’assurer des soins médicaux permanents aux patients contaminés, contribuer à la mise aux normes de l’hôpital de Benghazi, et fournir une aide financière aux familles des enfants malades ou décédés».
La Libye avait essayé de monnayer la liberté des infirmières contre le paiement de 10 millions d’euros en dédommagement de chaque personne infectée. La Bulgarie avait refusé. Dans une interview publiée samedi par le journal 24 Tchassa, le président bulgare indique cependant que «la libération aura un prix élevé». Il est encore question de compensations pour les familles des enfants contaminés.
Selon la télévision bulgare, Tony Blair, Premier ministre britannique et président en exercice de l’Union européenne, s’est entretenu samedi avec le président Kadhafi. C’était avant la remise en cause des peines de mort. Le professeur italien, qui était venu expliquer à la justice libyenne d’où venait la contamination, l’a pour sa part indiqué : la présidence britannique de l’Union européenne veut obtenir la libération des infirmières avant le 31 décembre, date à laquelle Tony Blair abandonnera la présidence de l’Union à l’Autriche.
Le scénario des mois à venir
Les Etats-Unis ont salué la décision «positive» prise dimanche par la justice libyenne. Un porte-parole du département d’Etat a estimé que cette décision levait «le risque que la peine de mort soit appliquée. La communauté internationale travaille avec la Libye pour trouver une solution globale», a encore indiqué le responsable américain. Le Conseil de l’Europe, qui avait également participé à l’enquête, s’est lui aussi «félicité» de l’annulation des sentences de mort.
Un diplomate occidental, en poste en Libye, fait le scénario de la suite des événements. Selon lui, les infirmières pourraient prochainement regagner leur pays. Pour commencer, les familles libyennes accordent leur pardon aux cinq infirmières et au médecin palestinien. Ensuite, la justice prononce des peines de prison à vie. Enfin, le gouvernement libyen trouve un accord avec la Bulgarie, les cinq infirmières sont extradées dans leur pays où elles devraient purger leurs peines de prison. L’incertitude demeure sur le sort du médecin palestinien.
Pour revenir sur la scène internationale, la Libye a déjà versé des indemnités aux victimes de l’attentat de Lockerbie, au Royaume-Uni. Tripoli a également abandonné l’idée de se lancer dans le nucléaire. Ces pourparlers ont été menés par la Grande-Bretagne et les Etats-Unis, impliqués aujourd’hui dans ces efforts pour trouver une issue à l’affaire des infirmières bulgares. La Libye sait que la plupart des pays occidentaux attendent le retour de relations normales avec elle. Les entreprises du bâtiment et des travaux publics, les compagnies pétrolières, les constructeurs d’équipements militaires souhaitent repartir à l’assaut du marché libyen.
par Colette Thomas
Article publié le 26/12/2005 Dernière mise à jour le 26/12/2005 à 16:58 TU